L’info est tombée discrètement, tout en douceur, l’air de rien, au cœur de l’été. Et pourtant c’est une info qui n’a rien d’anecdotique. Nikon rappelle D810 en atelier pour d’obscures raisons qui affecteraient le nouveau reflex haut de gamme de la marque jaune. Un défaut qui ne concernerait pas toute la production, mais certains numéros de série seulement, probablement les premiers exemplaires sortis. J’ai vérifié sur la page dédiée par Nikon Europe et le numéro de série du D810 que j’ai eu en test pendant le Festival des Vieilles Charrues est effectivement concerné par le problème en question. Au fait, c’est quoi le problème ? Selon Nikon, une anomalie touche le D810 dans des cas très spécifiques. Des tâches apparaissent en cas de poses longues, ainsi que dans la cadre de l’utilisation du mode recadrage 1,2. Autant dire deux cas de figures très particuliers que, pour ma part, je n’ai pas eu l’occasion de vérifier, n’utilisant ni la pause longue, ni le crop. En revanche, ce qui est intéressant dans la démarche de Nikon, c’est l’empressement que la marque a mis à réagir.
Il y a eu, par le passé, des précédents fâcheux, des cafouillages, des incidents techniques notamment sur des boîtiers majeurs. Chacun se souvient avec angoisse de l’épisode EOS 1D Mark III, d’ailleurs si vous voulez contrarier un membre de chez Canon France, la seule évocation du nom EOS 1D Mark III suffit à tirer les visages vers le bas. Non, de vous à moi, évitez ça. Parler de EOS 1D Mark III chez Canon, c’était comme parler d’Alesia aux irréductibles gaulois. Alésia, connait pas ! Le cas EOS 1D Mark III pourrait faire école, un cas d’étude sur la façon de gérer une crise. Lorsque les incidents ont commencé à se déclarer sur ce boîtier, que des photographes connus et réputés ont évoqués les difficultés rencontrées dans l’utilisation de leur matériel, la réaction première de la marque rouge a été de dire qu’il s’agissait, évidemment, d’un problème d’utilisation. C’est bien connu. Les mauvais photographes blâment toujours leur matériel. Et puis la crise a enflé, les plaintes se sont accumulées et Canon s’est rapidement retrouvé submergé, confronté à une crise majeure. Une crise d’autant plus délicate qu’elle ne concernait pas tous les modèles, mais seulement certains numéros de série. Quand des photographes pleuraient sur leurs galères, d’autres s’en étonnaient. Et Canon a longtemps nié. Une attitude qui lui a coûté très cher, d’autant qu’un autre reflex de la marque rouge (EOS 5D Mark II) fut lui aussi, quelques années plus tard, touché par une série de problèmes. L’empressement de Nikon à rappeler certains numéros de série de D810 s’explique sûrement par les incidents passés…
Car chez Nikon aussi, il y a eu des galères. On a tous en mémoire les problèmes de poussières sur le capteur de D600, un incident majeur qui a créé des vagues de mécontentement chez les clients de la marque jaune. Un incident que les anglo-saxons désignent sous le terme de dustgate, allusion au célèbre Watergate, psychodrame politique mâtiné d’espionnage qui avait entraîné la démission de Richard Nixon en 1974. Le dustgate n’a entraîné aucune sanction, en tout cas si sanction il y eut, elles sont restées confidentielles. Mais l’incident a salement écorné l’image de marque de Nikon, qui s’était empressé de proposer rapidement un successeur (D610), histoire d’effacer l’ardoise. Le problème c’est que l’ardoise met des années à s’effacer. Alors le rappel de D810 s’explique clairement. Nikon veut absolument éviter un nouveau dustgate et préfère jouer la carte de la transparence. Une opération qui va lui coûter très cher et qui, accessoirement, va aussi coûter aux photographes qui vont devoir se séparer de leur matériel pendant quelques jours. Les premières victimes de cet incident sont ceux qu’on désigne sous le terme de « early adopters », même s’il convient de relativiser singulièrement la portée de l’incident. N’empêche, le syndrome 1D Mark III et le dustgate sont passés par là et les marques ont pris conscience de la portée négative d’un incident pour leur image.