Vendredi 9 novembre 2018. J’arrive sur le parvis du hall d’exposition de la porte de Versailles pour un énième salon de la photo. À l’entrée gauche du salon, une queue immense, un long serpentin patiente déjà pour pouvoir entrer dans le saint des saints. Mazette ! On se croirait devant une épicerie de l’ère soviétique, revenu au temps de Brejnev. Je fais quelques photos avec mon iPhone et je trace vers la droite, direction l’entrée presse et professionnels. Là, bizarrement, il n’y a personne, à part deux mecs de sécu qui tapent la causette en attendant le chaland. Je me dis que finalement, l’absence de photographes professionnels à l’entrée d’un salon de la photo est bien un signe des temps, de la crise profonde qui secoue ce métier. Car oui, la profession de photographe est salement en crise, d’ailleurs je me demande toujours ce que je fais là et surtout pourquoi je sacrifie chaque année une journée pour un salon qui ne m’apprend strictement rien. La réponse est simple. Je viens voir mes ami·e·s, je fais le tour des stands (quasiment toujours les mêmes), je claque quelques bises et poignées de main, je m’assure que tout va bien dans le meilleur des mondes et je m’en vais. Désabusé ? Oui, sans doute un peu. J’entre dans le salon, je pose ma veste au vestiaire (deux euro) et c’est parti. Le stand Hahnemühle est face à moi, j’ai l’impression chaque année d’être dans un jour sans fin et que je vais croiser Phil, la marmotte et Madame Lancaster (qui fait du déjà vu). J’ai préparé mon programme. On respire un bon coup. C’est parti. Suivez le guide.
Salon de la photo 2018. Ce qu’il faut voir
• Dans ta cuve, radio nostalgie
Je passe voir les membres de l’association Dans ta cuve, une bande d’irrésistibles gaulois qui résiste encore et toujours à l’envahisseur. Un tout petit stand de quelques mètres carrés et un enthousiasme inversement proportionnel. Il en faut de l’enthousiasme pour continuer d’y croire. Sur la petite table, la carcasse d’un appareil photo trône au milieu de quelques diapos. Justement, parlons-en de l’Ekta. Ça tombe bien, Maximilien de Nation Photo est là. On parle de la Bretagne, de galettes saucisse (un truc de rennois), de crêpes, de kouign amann et du retour de la pellicule mythique. Elle est dispo chez Nation Photo au prix de 14€ la pellicule 36 poses. Comptez 12€ de développement, assuré également par la même boutique. Lorsque vous achetez de la Kodak E100 chez Nation, on vous donne une enveloppe port payé pour le retour de la pelloche au labo. Et une dernière chose, d’après mes infos, la pellicule est bien produite par Kodak dans son usine de Rochester (USA). Je n’aurai pas fait le voyage pour rien, merci Dans ta cuve.
• Eyrolles, girl power
Je file vers le stand Eyrolles Photo, devenu au fil du temps l’éditeur de référence en matière de livres consacrés à la photographie en France. À leur catalogue, les signatures de référence telles que Michael Freeman ou David Duchemin. L’équipe éditoriale est majoritairement constitué de filles, ce qui explique peut-être (sans doute) la qualité de la ligne tenue par cet éditeur. Je ne vais pas vous refaire le match, si vous lisez Shots, vous connaissez déjà mon enthousiasme pour cette collection. Sur une étagère trône L’âme de l’image, probablement le meilleur livre publié cette année en France. Un livre que je conseille à tout photographe, débutant, amateur éclairé ou professionnel. Une bible, la philosophie de la démarche photographique résumée en un (excellent) bouquin.
• Expo Bernard Plossu. Splendide
Avant d’affronter l’étage supérieur (les constructeurs), je passe jeter un œil à l’expo consacrée à Bernard Plossu. Autant vous le dire tout net, les échappées américaines de ce photographe m’ont subjugué. Les photographies présentées sont comme un road trip à travers les US des années soixante dix et quatre vingt. Bernard Plossu a posé son regard plein de malice (et parfois un brin cynique) sur la belle Amérique. Le résultat est assez éblouissant, non seulement dans le fond mais aussi dans la forme. La qualité des tirages argentiques m’a laissé pantois. L’an passé c’était Salgado, cette année Plossu. Un régal pour les yeux.
Il est temps pour moi d’affronter le second étage, qui réunit les poids lourds de la photographie, constructeurs de matériels, acteurs majeurs du secteur. Je m’amuse de croiser de nombreux visiteurs qui profitent du salon pour promener leur matériel photo. Franchement, apporter son APN au salon de la photo me semble aussi crétin que de trimballer sa canne à pêche au salon de la pêche et des loisirs aquatiques. Ce n’est pas encore la grande affluence, face à moi il y a Nikon, juste en face il y a Sony, de l’autre côté Canon. Je choisis de commencer par Sony qui est la marque que je connais le moins bien.
• Sony. La gifle.
J’arrive pile au moment où débute une présentation de la gamme Sony Alpha 7 par Guillaume Cuvillier. Je ne connais pas vraiment la gamme Sony alors j’écoute, consciencieusement. Le moins qu’on puisse dire, c’est que la présentation est des plus convaincante, autant par la liste hallucinante des specs de cette gamme mirrorless que par la qualité éblouissante des images présentées. Avec Sony Alpha, on est vraiment dans la perfection visuelle poussée à l’extrême. Ce « petit » boîtier permet de produire des images d’une précision et d’un piqué razor cut et ce dans tous les domaines. Photo sportive, animalière, street, … Les images présentées, réalisées par la gamme Sony Alpha sont particulièrement percutantes. Les specs sont tout aussi convaincantes, en particulier pour tout ce qui touche à la mise au point, l’autofocus. La fonction Eye-AF par exemple, permet de verrouiller l’AF sur l’œil du sujet et de ne plus le lâcher, même (et surtout) si le sujet est en mouvement. Sidérant. Sony appuie là où ça fait mal, en particulier pour l’épicerie d’en face. Le double slot (sur carte SD soit dit en passant), la gamme optique « jusqu’à 800mm en utilisant le doubleur ». N’empêche, la gamme optique G master est une proposition des plus sérieuses, des optiques premium couvrant la quasi totalité des besoins du photographe. Autant en zooms (avec un trio parfait constitué du 16-35mm, 24-70mm, 70-200mm f/2,8) qu’en focales fixes (24mm, 85mm f/1,4 ou 400mm f/2,8). Quant au sujet qui (me) fâche, l’autonomie, Sony a déjà tout prévu avec un grip adaptable et même un rack externe (sur lequel on peut aussi, luxe suprême, recharger son smartphone). Je dois avouer que je suis sorti de la présentation Sony un peu sonné. Rien d’étonnant de voir la marque japonaise caracoler en tête des ventes sur le segment photo mirrorless fullframe. Et je ne parle même pas des fonctionnalités vidéo. Bref. Sony m’a mis une bonne petite claque. On en reparlera, peut-être au printemps…
• EOS R et Z. Choisis ton camp.
Je vais vous faire un aveu, j’ai à peine aperçu EOS R sur le stand Canon, pas plus que je n’ai touché Nikon Z, tant j’avais encore la tête dans les nuages, après le choc visuel ressenti sur le stand Sony. J’ai croisé un vieil ami, membre de Canon France, qui m’a demandé ce que je pensais de la proposition du nouvel EOS mirrorless fullframe et je dois à la vérité de dire que j’ai été bien embêté pour lui répondre. Naturellement, ce qui fait la singularité de la proposition de la marque rouge, et c’est aussi valable pour Nikon, c’est la capacité d’adapter les optiques du parc reflex sur la gamme hybride. C’est aussi, à mon sens, une pierre d’achoppement. Les photographes professionnels équipés en reflex Canon ou Nikon, semblent particulièrement frileux, pour une majorité d’entre eux, à l’idée de passer au mirrorless. C’est un nouveau monde et comme tout ce qui est nouveau, ce monde provoque des craintes. Sans même évoquer la crise qui secoue la profession de photographe, malmenée de tous les côtés. Alors ? Bazarder ses reflex à vil prix pour passer sur un nouveau standard qui impose autant de problématiques (je pense en particulier à l’autonomie, voire au simple slot de Nikon Z qui fait hurler de nombreux photographes) qu’une nouvelle façon de travailler, je ne suis pas sûr que cette perspective enchante beaucoup de photographes professionnels. C’est la raison pour laquelle on ressent chez les deux marques historiques un flottement, une attente prudente mâtinée de frilosité. Sans compter qu’une part non négligeable de photographes choisit de switcher directement pour Sony. Tant qu’à passer en mirrorless, sur de nouvelles optiques et investir un nouveau monde, d’aucuns choisissent leur camp. Et c’est particulièrement vrai pour la jeune et nouvelle génération…
S’il y a une marque, elle, qui ne change pas, c’est bien Leica, fantasme définitif de tout photographe biberonné aux légendes estampillées Magnum et consorts. Oui, j’ai vu le nouveau Leica Q10 et sa jolie courroie en cuir à 4690€ TTC. Je ne sais pas si ce compact expert vaut le prix qu’on y met, mais il tient ses promesses esthétiques, d’une sobriété toute teutonne. Et pour ce prix-là, pas de logo Leica. Les acheteurs de la marque de Wetzlar ont un singulier sens de l’humour.
• En conclusion, j’irai plus.
Quatre heures. J’ai tenu quatre heures. Je suis content d’être venu, ne serait-ce que pour y revoir mes ami•e·s. Je pensais ne rien y apprendre (comme à peu près chaque année depuis que je fréquente les allées du salon de la porte de Versailles) et m’y emmerder comme à un enterrement de première classe. J’avais tort et cette année la surprise est venue de manière très inattendue de chez Sony. La gamme Sony Alpha vaut vraiment qu’on s’y attarde, avec une liste de specs assez éblouissante, une capacité de mise au point fulgurante, une gamme optique dédiée complète de qualité premium. Un « petit » boîtier fullframe, aussi brillant en photo qu’en vidéo, c’est une proposition qui en séduit plus d’un. Sauf évènement majeur dans le monde de la photographie, je pense que je ferai l’impasse sur l’édition 2019 du salon de la photo. Dans les allées du salon, il se murmurait que le salon allemand (la Photokina de Cologne, qui se déroule désormais chaque année) aurait tendance à phagocyter le salon parisien, ne serait-ce qu’en pratiquant, semble-t-il, des prix nettement d’exposant plus accessibles.