En photographie aussi le plagiat est un délit.
C’est l’histoire d’une photo. Un visage de femme partiellement immergé dans une eau sombre. Un beau cliché, techniquement maîtrisé, signé du photographe Marc Lamey. Fin 2012, ce photographe découvre qu’un cliché utilisant les mêmes codes est publié en une d’un magazine photo. Le cliché a été réalisé par un amateur dans le cadre d’un concours organisé par ce magazine. Ni une ni deux, le photographe téléphone au magazine concerné. L’accueil qui lui est réservé par le rédac’ chef de la publication est particulièrement glacial. On lui demande s’il est professionnel, comme si seul le statut de pro pouvait être le postulat indispensable à ce genre de revendication, puis on lui avance l’argument définitif : « En photo, tout le monde copie tout le monde. » C’est sans doute cette forme de dédain, exprimée à haute voix, qui va motiver le photographe pour dégainer une procédure. En temps que photographe, je le comprends. Il n’est jamais agréable, pour un créateur, de se faire insulter, d’autant que l’affaire fait les choux gras des délateurs zélés que sont les haters de tout poil sur les forums et les réseaux sociaux. Excédé, Marc Lamey contacte Maître Joëlle Verbrugge, l’avocate et la photographe qu’on ne présente plus. Il s’en suit une procédure judiciaire, longue (dix-huit mois) et coûteuse car Marc Lamey doit prendre deux avocats. C’est l’éditeur qui est assigné en justice, pas le photographe accusé de plagiat. L’éditeur tentera de démontrer qu’il n’y a pas préjudice au titre que Marc Lamey avait un autre métier que photographe ou qu’il n’y a pas lieu de revendiquer une œuvre originale. « Le déni de l’originalité est sûrement ce qui est le plus douloureux dans ce type de procédure. » dit Marc Lamey dans l’interview qu’il a accordé aux Cahiers de la Photographie (la revue de l’UPP). Avant d’ajouter : « Il s’agit d’une atteinte profonde : dans auteur-photographe, il y a auteur… Alors qu’une simple excuse aurait peut-être, en amont, résolu le problème. »
• Le plagiat, la contrefaçon et le dédain.
C’est sans doute ce qui me touche le plus dans cette affaire, le dédain avec lequel le photographe Marc Lamey a été traité. S’entendre répondre que, de toutes façons, on n’est pas pro, qu’on a d’autres sources de revenus, que l’oeuvre n’est pas originale, ça a un singulier goût de déjà vu. Un goût amer. La négation de ce que chaque photographe tente d’être quand il passe l’œil derrière le viseur. Je compatis et je me dis que Marc a eu les corones d’aller au charbon et de ne pas se laisser insulter. Je me réjouis aussi, naturellement, que Maître Verbrugge ait su imposer le barême UPP comme référence. L’éditeur condamné n’ayant pas fait appel, ce jugement pourrait donc faire jurisprudence. Et cela pose question. Est-ce à dire que désormais tout photographe réalisant un cliché montrant un visage de femme émergeant d’une eau trouble pourrait faire l’objet d’une procédure judiciaire pour plagiat ou contrefaçon ?
• De P.J. Harvey à Christophe Miossec
J’ai cherché dans ma mémoire de photographe, car il me semblait bien avoir déjà vu des clichés répondant à ces codes. J’ai d’abord fouillé dans mes archives musicales. Quand on me dit visage émergeant hors de l’eau, je pense immédiatement à Bashung, Fantaisie militaire en 1998. Quelques années auparavant, en 1995, P.J. Harvey signait To bring you my love avec une photo de ce type. Plus récemment, en 2014, le brestois Miossec présentait un visage émergeant avec son album Ici bas ici-même. Est-ce à dire qu’il y avait plagiat ? Je me souviens d’une discussion avec Christophe Miossec me disant qu’après que Richard Dumas ait signé la photo de son premier album « Boire » (dans la chambre 304 de l’hôtel Vauban en 1994), de nombreux artistes avaient sollicité le photographe en lui réclamant un portrait en noir et blanc « du style Boire de Miossec ».
• Un classique de la beauté
Je me suis ensuite tourné vers des photographes du milieu de la mode, contactant d’abord Mathieu Galfré, photographe du sud de la France. Sa réaction, immédiate, fut de me dire que ce type de cliché, un visage de femme plongeant ou émergeant hors de l’eau était un schéma standard connu dans le milieu de la mode et que techniquement c’était assez simple à reproduire. À l’appui de ses arguments, Mathieu me citait Stéfan Bourson, photographe de mode. En parcourant le (splendide) portfolio de Stéfan, je suis tombé en arrêt sur un cliché réalisé par le photographe parisien. Un visage de femme, bouche entrouverte, émerge hors d’un liquide ressemblant à du lait. Les similitudes sont assez troublantes avec le cliché réalisé par Marc Lamey. Poussant encore un peu plus mes investigations, j’ai trouvé une série de portraits réalisés pour Vogue par le photographe de mode américain Akos Simon. Des visages de femmes émergeant d’une eau limpide. Pour en savoir plus, j’ai décidé de contacter Stéfan Bourson. Le photographe parisien est à l’image de ses clichés, joyeux, créatif et à l’enthousiasme communicatif. On sent la passion de ce photographe de mode à fleur de peau.
« Tout a été fait. Tout a déjà été fait. C’est un peu le problème en photo. » me dit d’emblée Stéfan Bourson. « Alors revendiquer la paternité d’un cadrage, d’une prise de vue, d’un élément de décor, ça me semble vraiment compliqué » ajoute Stéfan. « Le type de prise de vue dont tu me parles, le visage émergeant ou plongeant dans un liquide, il faut savoir que c’est un classique de la beauté ! » avant d’ajouter : « On peut jouer la carte de l’originalité sur le make-up, l’attitude de la fille, moi c’est ce que j’essaie de travailler. Des make-ups originaux, un peu décalés. » Quant à attribuer la paternité d’un cadrage ou d’un décor à un photographe, ça ne semble pas raisonnable pour Stéfan. « Dans ce cas, un cliché en noir et blanc d’une jeune fille déshabillée, allongée sur un lit en lumière naturelle, on va t’accuser d’avoir plagié tel ou tel photographe connu au prétexte que c’était son style ? » J’entends bien les arguments de Stéfan, ils confortent mon questionnement. Car, finalement, en 2015, il me semble que tout a déjà été essayé, ou presque en matière de photographie. La définition du plagiat est la suivante : « Le plagiat consiste à s’inspirer de tout ou partie d’une œuvre pour en réaliser une autre, en omettant délibérément ou non de mentionner sa source d’inspiration. » Le problème, dans le cas qui m’intéresse, c’est que la frontière entre l’inspiration, la culture visuelle, la volonté délibérée ou non de copier me semble particulièrement ténue. Le jugement, quant à lui, est là. Définitif. Incontestable, car on ne conteste pas une décision de justice, pas plus qu’on ne la commente. En revanche, quand on est photographe, directement concerné, on peut légitimement s’interroger. Finalement, je garde de cette affaire le sentiment qu’on ne peut pas se permettre de balayer avec dédain, d’un revers de main, le travail d’un photographe. Et son honneur aussi. Et ça c’est plutôt une bonne nouvelle, pour tous les photographes.
• voir le site de Marc Lamey photographe
• voir le site de Stéfan Bourson photographe
• voir le site de Akos Simon photographe
• voir le site de l’UPP, Union des photographes professionnels
Fred dit
Lisant avec avidité votre blog, je me permets quelques réflexions sur cet article.
– Sur la photo de l’album de bashung, elle me fait penser au clip de Peter Gabriel « Digging in the dirt », datant de 1992 Et si on remplaçait le sable par de l’eau… on peut voir des choses proches dans l’esprit du cliché de Mark Lamey. Evidemment, je ne suis pas certain du tout que le Gab ne se soit pas inspiré de d’autres travaux.
– Concernant la contrefaçon, il s’agit d’un acte frauduleux, faisant passer pour un original ce qui n’est qu’une copie. Elle s’apprécie en fonction des ressemblances et non des différences.
– Le plagiat consiste à imiter, à s’inspirer d’un auteur originel en omettant, délibérément ou par négligence, de le dire ou de le désigner. Et Stéfan Bourson a raison de dire « que tout a déjà été fait » (ou presque). Nous avons souvent tellement lu, vu, entendu de choses que nous subissons une influence cachée. Oui on va reproduire ce qui a été fait déjà par d’autres. Parfois consciemment, souvent sans le savoir. Quand on prend un cliché de la Tour Eiffel ou du Jet d’eau du Lac Léman, combien l’on fait de manière similaire ou identique. Qui a plagié qui ? Pareil pour les photos de concert… N’y a t-il pas des clichés pris par vous qui sont similaires à vos confrères ?
– La frontière est tenue et il est difficile pour le droit de trancher, quelque soit le pays. Et à aller trop loin, on voit arriver de gros soucis comme les procès des « patent troll » aux USA.
– Dernier point, un décision de justice se commente en France. Si effectivement, elle est incontestable, le commentaire est autorisé. Et heureusement. Sinon les avocats seraient bien embêter quand il font appel (ils ne pourraient ne vanter la décision attaquer). De plus, quand on fait nos études de droit, on passe notre temps à commenter, à disséquer sans fin de nombreuses décisions de justice. Par contre, il est interdit de jeter le discrédit, à porter atteinte à l’autorité de la justice ou à son indépendance. L’article 434-25 du Code Pénal est clair : Le fait de chercher à jeter le discrédit, publiquement par actes, paroles, écrits ou images de toute nature, sur un acte ou une décision juridictionnelle, dans des conditions de nature à porter atteinte à l’autorité de la justice ou à son indépendance (…) ne s’appliquent pas aux commentaires techniques ni aux actes, paroles, écrits ou images de toute nature tendant à la réformation, la cassation ou la révision d’une décision.. Tordant donc le coup à cette légende urbaine !
Alors je vous rejoins sur le fait qu’on ne doit pas ni minimiser nibalayer le travail d’un photographe ou son honneur. C’est trop important. Mais attention d’aller trop loin. Si on se met à breveter un cadrage, un éclairage, une pose, une composition, alors très rapidement on ne pourra plus rien faire.
Sophie dit
C’est effectivement très compliqué de savoir où s’arrête l’inspiration et où commence le plagiat. Cela reste un débat passionnant mais comme vous le dites, finalement, ce qui comptait pour Mark Lamey c’est qu’on respecte son travail, et qu’on reconnaisse la paternité de son cliché. Dans ses dessins, par exemple, le regretté Cabu mentionnait le dessinateur qui l’avait inspiré. Une sorte de gentleman agreement à proposer en photo ?
Fred dit
@Sophie
Mentionner l’inspirateur serait une bonne idée… Sauf que l’on ne sait pas toujours qui est réellement l’inspirateur. Une image vue au détour du web, d’un livre, d’une galerie (ou autre) et elle s’imprime. Plus tard, on fait un truc similaire, mais on a oublié d’où cela vient.
Et puis, est-ce vraiment Mark Lamey qui a inventé cette façon de prendre cette photo ? Y’a t-il pas un autre qui l’a fait avant lui quelque part dans le monde. Les clichés de Simon pour Vogue datent de 2006 et il y a un air de ressemblance entre ces clichés et celui de Lamey.
Autant l’attitude de l’éditeur me semble injurieuse vis à vis Mark Lamey et sa condamnation juste, autant l’idée d’une propriété intellectuelle me semble inquiétant. Si ce jugement fait office de jurisprudence, cela revient à dire que tout cliché montrant un visage de femme émergeant d’un liquide est désormais une contrefaçon du cliché de Lamey.
C’est un sujet qui me parait bien délicat, avec des frontirèes floues. Comment va t-on évaluer les ressemblances et où va se mettre le curseur qui fera qu’il y a aura plagiat/contrefaçon ou pas ? Comment évaluer de manière juste l’apport personnel dans un cliché ?
Je pense qu’il y aura d’autres jugements à l’avenir, pas forcément dans le même sens. Cela veut dire aussi que le législateur va devoir se pencher sur la protection des oeuvres photographiques et des photographes. De manière plus sérieuse que ce qui a été fait jusqu’ici. Car les photographes méritent protection.
Merci à Hervé Le Gall.
Marc lamey dit
Je ne commenterai pas specialement vos interrogations , juste pour vous dire que je trouve SURPRENANT de ne pas prevenir l’interressé avant de publier sur lui; que ce soit l’UPP , ou un autre blog qui ont fait un article ils ont tous deux demande une autorisation .. Mais a minima prevenir me semblerait la courtoisie de base .
Je sais que la resultat du jugement ne vous plais pas specialement avec le tout a ete invente , fait, .. Qui est a la mode donc dans le deni du droit d’auteur mais bon le jugement est etaye par 18 mois qui ont dû etre suffisant au magazine (PHOTO) pour poser leur arguments qui ont ete balayes par le tribunal;
Emmanuel Briot dit
Pour ma part, nous avons tous des inspirations, plus ou moins copiés d’autres artistes dans nos recherches, volontairement, involontairement ou par ignorance. Je ne prendrais pas part au débat sur la paternité de cette photo, le débat est trop vaste.
La différence dans cette histoire est que Marc Lamey n’a pas assigné le photographe mais le magazine. Ce magazine spécialisé dans la photo à fait preuve d’un manque de courtoisie, de finesse et d’intelligence.
Ils auraient d’ailleurs pu faire un article sur le sujet et en débattre avec ce photographe entre autres.
Bref, tout cela aurait pu être évité juste avec un peu de diplomatie et sans heurter les égos des uns et des autres.