Organisez des concours-photos gratuits. Le Conseil Général vous fournit le lubrifiant.

Je reçois beaucoup de communiqués de presse et je vous avoue que je dois faire le tri, alors je survole, j’ai mes mots-clés, je sélectionne, je disperse. Tout ce qui touche à la photo (Nikon, Canon et consorts) est traité prioritairement. Le reste tient un peu de l’accessoire, mais je rassure les attachés de presse qui lisent Shots avec la plus grande attention (qu’ils soient bénis entre tous), oui, je lis tous les communiqués de presse. C’est ainsi que la semaine dernière je recevais un CP au titre peu engageant : « Le CG41 partage un nouveau plugin WordPress« . À un autre moment de l’année, j’aurais sans doute rangé ce communiqué dans le dossier « à lire plus tard quand j’aurai du temps » mais là c’était juste avant le week-end de Pâques, donc du temps j’en avais. Ce qui m’a d’abord intrigué, qui a attiré mon attention, c’est qu’un conseil général prenne l’initiative de développer un plugin pour WordPress, d’une part et, surtout, de le mettre à la disposition de la communauté WordPress sous licence GPL. Un CG branché, ça donne envie. J’ai voulu regarder ça de plus près. j’aurais pas dû.

Simple photo contest. C’est le nom du plugin développé par le CG du Loir-et-Cher. Pas la peine de me faire un dessin, j’ai compris tout de suite, rien qu’en lisant le nom. Les concours-photos sont dans l’air du temps, tout le monde s’y met et les services presse de nos institutions républicaines (mairies, conseils généraux, …) ont flairé là un excellent moyen de récupérer à bon compte des clichés gratuits pour illustrer leurs sites web ou pourquoi pas leur lettre communale, leurs flyers, brochures, publicités en tous genres. Un panier garni en guise de lot, voire le nom du photographe et la petite flatterie à l’égo qui va bien (on va mettre ton nom sous la photo ! Alors ? Heureuse ?) et en avant Guingamp ! C’est toujours ça qu’on n’aura pas à payer aux photographes dont c’est le métier et dont toute une profession crève dans l’indifférence générale… Mais encore une fois je me laisse emporter par ma colère qui, comme chacun sait, est une folie de courte durée.

Le CP du CG41 ne manque pas de piment, je cite : « La volonté du Conseil général est de permettre au plus grand nombre de profiter des outils numériques développés par la collectivité, mais aussi de profiter des connaissances et de la créativité de la communauté WordPress. » Donc, en clair, ce plugin qui a été développé par les développeurs d’une « coopérative d’activités et d’emploi culturelle » permet, je cite encore « la gestion simple et efficace d’un concours photo en ligne sous wordpress (carrousel photos, votes sécurisés, partage sur les réseaux sociaux, export des résultats, backoffice indépendant…) ». En clair, vous êtes une collectivité locale, vous avez besoin de matos photo à pas cher parce que vous n’avez pas le budget pour illustrer qui un site web, qui la revue communale, qui une plaquette de pub pour vanter les mérites de votre foire au boudin, la solution est toute trouvée. Organisez un concours-photo ouvert à toutes et à tous, promettez une récompense faramineuse (gagne ton poids en boudin) sans oublier la citation au mérite. Rends-toi compte, ta photo sera créditée de ton nom et de ton prénom et tu seras célèbre dans tout le Loir et Cher. Comme Michel Delpech ? Peut-être pas, mais pas loin. Le plugin, gratuit lui aussi, se charge de tout le reste. Alors ? Elle est pas belle la vie ?

Je me marre. Le sens de l’humour, c’est le dernier truc qui me reste, finalement. D’ailleurs, j’ai gardé le meilleur pour la fin. Pour illustrer cette « démarche expérimentale et novatrice », le CG41 a cru bon d’utiliser une photo tout droit sortie des cartons de stock-photos à deux balles, parce que finalement une photo ça ne vaut guère plus de nos jours. Un homme tient un reflex entre ses mains, le doigt sur le déclencheur. Le boîtier est un appareil argentique très en vogue au début des années 70, un reflex d’origine soviétique à cellule frontale, le fameux Zenit avec lequel j’ai fait mes premiers pas de photographe, quand j’étais minot. Le reflex valait que dalle, certes, mais il fallait réfléchir à deux fois avant de déclencher. Bref, quarante ans plus tard, on en est là. Des images banales, vides de sens, qu’on sollicite en organisant des concours-photos bidons, en espérant finalement faire d’une pierre deux coups. Récupérer du matériel à bon prix et flatter l’égo de son électorat. No offense mais ce sera sans moi, si ça ne vous dérange pas. Et ne comptez pas sur moi pour payer le lubrifiant.