Avant toute chose, je dois vous faire un aveu. Rarement la chronique d’un livre publié par Eyrolles photo m’aura autant posé de problèmes, d’interrogations. À tel point que je me suis demandé, pendant plusieurs jours, si j’allais vous parler de ce livre ou pas. Son titre ? Acquérir une culture photo par Jean-Christophe Béchet et Samuel Decklerck, respectivement photographe et prof de philo.
La première pensée qui m’est venue à l’esprit a été de me confronter à ma propre expérience et par voie de conséquence à me poser nombre de questions parmi lesquelles une question essentielle. L’acquisition d’une culture photo fait-elle le photographe ? Est-ce qu’on nait bon photographe ou est-ce qu’on le devient ? La qualité du regard est-elle innée ou bien le fruit de l’expérience ? Doit-on arpenter les expositions photos, se gaver de livres de référence, connaître sur le bout des doigts l’œuvre d’un Cartier-Bresson ou d’un Ronis et que doit-on en tirer ? Quels enseignements ? Avant même d’ouvrir ce livre, avant même d’avoir envie d’ouvrir ce livre, j’avais plus de questions que de réponses.
Acquérir une culture photo. Ou pas.
• Acquérir une culture photo, un passage obligé ?
Car de réponses, il n’y en a pas. Comme à chaque fois, en pareil cas, je me suis tourné vers un ami photographe pour lui poser cette question. Acquérir une culture photo, est-ce un passage obligé ? Est-ce que c’est la culture photo qui fait d’un photographe ce qu’il est ? Doit-on s’inspirer du travail d’un autre, voire d’une autre pour progresser, évoluer, réaliser une image intéressante ? Et puisque je parle d’une autre, je pense à Diane Arbus, à Martine Franck ou encore à Vivian Maier. Cette nounou qui a arpenté des années durant les rues de New York puis de Chicago, réalisant des clichés, avec pour seul compagnon son Rolleiflex autour du cou. À l’époque, personne ne parlait de street photography, d’ailleurs le terme, il me semble, n’existait même pas.
Vivian Maier avait-elle une culture photo ? Avait-elle seulement l’impression de réaliser une œuvre, de composer un cadrage ? Assurément non. Vivian Maier prenait des photos pour son plaisir. Comme le résumait si joliment François Truffaut dans « La nuit américaine » elle s’efforçait de rendre à l’image quelque chose de joli, d’élégant, d’amusant. C’est d’abord cette simplicité touchante, empreinte de naïveté, de candeur, à laquelle s’ajoute le témoignage historique qui font du travail photographique de la nounou américaine (d’origine française) un œuvre remarquable.
• Mémoires d’expos
Les expos, la lecture de portfolios, de livres consacrés à la photo forgent-elles notre culture photo ? Je ne sais pas. Je garde le souvenir de l’expo de Peter Hujar (au Jeu de Paume en 2019), de Salgado (au salon de la photo 2017), de Sabine Weiss (en 2015, il me semble)… La base de ma culture photo se confond avec ma culture musicale et puise dans la fin des années soixante. C’est l’époque des grands reporters, de Life, de Paris Match, des grandes agences de presse comme Magnum. L’adolescent que je suis à cette époque découvre, ébloui, le travail de photographes comme Larry Burrows, Jacques Lartigue, Robert Capa, Henri Cartier-Bresson, Martine Franck, Elliott Erwitt, Steve McCurry. Feuilletant les pages de papier glacées du magazine Photo, j’ai vu passer des clichés qui m’ont marqué, parfois sidéré. Ceux de Richard Avedon, de Diane Arbus, d’Andy Warhol, d’Albert Watson, entre autres. Et pour la musique, Henry Diltz, Claude Gassian, Antoine Le Grand, … Ont-ils influencé mon regard, à dire vrai je n’en sais rien. Ce que je sais c’est que pour chacune et chacun que je viens de citer (et tous ceux que j’ai oubliés), j’ai une grande admiration.
• Quatre thématiques pour un dialogue à deux voix
Mais je m’égare, revenons au livre de Béchet et Decklerck. En préambule, on peut lire ceci : « Si la maîtrise de la technique photographique est indispensable à tout photographe, elle ne sera jamais un moyen d’expression personnelle, ni d’affirmation d’un regard d’auteur si elle n’est pas accompagnée par une culture photographique nourrie par la fréquentation des musées, des expositions et des livres photo. » Le propos est illustré en quatre thématiques. Le portrait, le paysage, la photo de rue, la photo créative, plasticienne et conceptuelle. Ce livre est la transcription d’un dialogue entre un photographe et un philosophe. Il casse les codes de ce qu’on a l’habitude de lire. Si vous appréciez le ton léger d’un Scott Kelby par exemple, je veux bien parier que ce livre ne sera pas votre tasse de thé. Pour apprécier ce livre à sa juste valeur, il faut temporiser, être patient. Je regrette que les exemples ne soient pas plus nombreux, car leur côté didactique me semble nettement plus pertinent qu’un dialogue entre deux interlocuteurs. Bref, pour une fois, un livre publié par Eyrolles ne m’aura pas passionné. Sans doute parce que je suis de ces photographes qui pensent qu’on est chacune et chacun maître de son destin et de sa propre culture photographique.
• Acquérir une culture photo publié aux éditions Eyrolles
• cet article n’est pas sponsorisé
Thierry Dehesdin dit
Votre critique m’a donné envie de lire ce livre. 🙂 Un livre dont on ne partage pas les idées peut-être stimulant.
Sur le fond, j’ajouterais à votre propos qu’un photographe qui n’aurait d’autre culture que photographique, serait bien ennuyeux. Un peu comme ces concours de photographie amateur où l’on ne voit que des « à la manière de ».
C’est le reste qui va susciter notre attention à moins peut-être d’être un étudiant.