Cette fois ça y est, vous avez craqué. Vous avez peut-être suivi mon conseil, dans le premier volet consacré à la photographie argentique et vous avez acheté un reflex vintage. Quand je vous disais qu’on pouvait trouver un excellent matériel, solide et résistant, pour trois fois rien ! Vous avez logé une pellicule noir et blanc, une Kodak TriX 400 ou peut-être une TMax 400 et vous êtes parti à l’aventure cramer vos trente-six poses. Au passage vous avez remarqué, naturellement, que la respiration et le tempo en argentique n’ont rien à voir avec la photo numérique. C’est normal et c’est sain. C’est ce qui fait, à mon sens, tout l’intérêt de la démarche vers l’argentique. Trouver un nouveau souffle, découvrir une approche différente de l’acte photographique. Bref. Vous êtes sorti, vous avez déclenché, vingt-quatre ou trente-six fois et vous avez adoré ça, vous retrouver avec vous-même. Prendre le temps du cadrage, de la composition et de la réflexion. Vous êtes prêt à attaquer le second chapitre, au moins aussi passionnant. L’œil derrière viseur, vous étiez cadreur, directeur de la photo, metteur en scène de vos émotions. Les mains dans la chimie, vous allez devenir magicien, alchimiste. Ça vous semble compliqué, voire ésotérique parce que vous en ignorez peut-être tout ? Vous allez voir. Développer soi-même ses pellicules, ça tient un peu de la magie et c’est absolument fascinant !
Développez vous-même votre pellicule
Le processus de développement
Le développement d’une pellicule photo se fait en cinq phases distinctes (et chronométrées) dans une cuve de développement, à l’abri de la lumière. D’abord, il y a la révélation. C’est le moment où l’image fixée lors de l’exposition à la lumière sur la pellicule va apparaître, c’est la naissance du négatif. Pour cette première phase, on utilise une solution chimique, le révélateur. Il faut ensuite interrompre le processus de révélation, en vidant la cuve et en remplaçant le révélateur par un produit permettant d’arrêter l’effet du révélateur, c’est le bain d’arrêt. Puis on vide à nouveau la cuve, pour la remplir d’un produit qui va fixer le négatif, c’est le fixateur. Une fois l’opération terminée, on vide la cuve pour la remplir d’un produit qui va permettre de laver la pellicule. C’est assez rapide et c’est presque fini. Enfin, on va faire tremper la pellicule dans un produit qui va éviter les traces et les coulures disgracieuses sur la pellicule. Et voilà ! Le processus, qui dure un peu moins de vingt minutes est terminé. Vous êtes prêt à ouvrir la cuve pour la découverte de votre film développé. Une pince à chaque extrémité du film et on le met à sécher dans une pièce tempérée, à l’abri de la poussière. Ensuite, il faudra découper le film et le ranger soigneusement dans une pochette en papier cristal. Puis viendra le temps du développement ou du passage au scanner. Facile, rapide. Et pour tout dire, magique !
Les produits de développement
Il existe de nombreux produits disponibles sur le marché. Travaillant avec des pellicules Kodak, j’utilise des produits Kodak qui sont parfaitement compatibles avec ma pellicule. Je vous conseille d’acheter vos produits en petite quantité, surtout au début. Certains produits se jettent, une fois utilisés (bains perdus), d’autres peuvent être réutilisés plusieurs fois.
• Le révélateur, Kodak D76 (bain perdu)
Il est commercialisé en sachet sous forme de poudre, en deux conditionnements. En sachet de 109g permettant de faire un litre de solution, ou bien en sachet de 415 g pour réaliser 3,8 litres (soit un galon) de solution. Je parle de solution car pour préparer une dose de révélateur en bain perdu, on coupe la solution pour moitié avec de l’eau. Une cuve de développement contenant environ 450ml de révélateur, on ajoute une dose de solution (250ml) et une dose d’eau (250ml) pour obtenir 500ml de révélateur en bain perdu. En clair, avec un sachet permettant de faire un litre de révélateur, on peut développer 4 pellicules.
• Le bain d’arrêt, Tetenal Indicet (bain récup)
C’est le produit qui permet d’interrompre l’action du révélateur. Il est commercialisé en bouteille d’un litre et se récupère à chaque utilisation. On sait qu’on doit le jeter quand il change de couleur. Pour obtenir un litre de produit utilisable, on mélange 50ml à 950ml d’eau. Autant dire qu’un litre de produit permet de traiter de très nombreuses pellicules.
• Le fixateur, Kodak (bain récup)
Il est commercialisé en sachet poudre de 700g permettant de réaliser 3,8l de fixateur, mais une fois entamé le produit se conserve bien, au sec et à l’abri de la lumière. Pour réaliser un litre de fixateur réutilisable, il suffit de mélanger 185g de poudre avec de l’eau. C’est le seul produit dont je trouve l’odeur particulièrement désagréable.
• Lavaquick (bain perdu)
Le produit Lavaquick de Tetenal est vendu en bouteille d’un litre. Il permet de laver la pellicule pour la débarrasser de ce qui reste de fixateur. On ajoute 20ml de Lacaquick à 430ml d’eau pour obtenir une dose pour une cuve de 450ml. C’est un produit efficace et économique.
• Kodak Photo Flo (bain perdu)
C’est le produit qu’on ajoute à la dernière eau de rinçage. Il permet de limiter les traces et les coulures sur le film et accélère le séchage du film. C’est un liquide très concentré qui se dilue à 1+200. Autant dire qu’on en met très peu, environ 10 gouttes pour 500ml. Avec une bouteille de 473ml, vous aurez de quoi voir venir !
Le matériel de développement
Un premier conseil, soyez bien organisé. Vous avez besoin de cinq produits (révélateur, bain d’arrêt, fixateur, produit de lavage, produit de rinçage) et de l’eau du robinet. Salle de bain, cuisine sont des pièces tout indiquées pour travailler. Un tablier peut être pratique pour éviter les projections sur vos vêtements, ayez aussi à portée de main une éponge et un torchon (qui ne serviront qu’à ça). Vous allez aussi avoir besoin de bouteilles qui vont contenir vos produits.
Pour le révélateur, j’utilise des petits bidons plastiques de 500ml, ce qui correspond à une dose pour un film. Si vous préparez un litre de solution révélateur, vous aurez donc besoin de quatre bidons de 500ml qui seront prêts pour quatre développements à venir. Pour mémoire une dose de 500ml de révélateur c’est 250ml de solution plus 250ml d’eau, en bain perdu.
Pour le bain d’arrêt et le fixateur, j’utilise des bouteilles en accordéon. Elle ont l’avantage de se replier pour éviter l’oxydation par l’air, ce qui permet de conserver les produits dans de bonnes conditions.
Pour les produits en bain perdu comme Lavaquick ou Photo Flo, j’utilise des bouteilles en plastique de récupération d’un litre (des bouteilles de jus de fruits par exemple). J’identifie mes bouteilles avec des gommettes de couleur pour éviter de me tromper. Quand mes produits sont prêts, je les positionne par ordre d’utilisation : mon petit bidon de révélateur, ma bouteille de bain d’arrêt, de fixateur, de lavage (Lavaquick) et de rinçage (Photo Flo).
Vous allez aussi avoir besoin de quelques ustensiles indispensables. Une éprouvette graduée 1000cc, un compte-gouttes, une petite bassine d’un litre, un broc d’un litre gradué, un thermomètre, deux pinces films en inox et, évidemment, d’une cuve de développement.
La cuve de développement (Jobo, Patterson)
Introduire le film dans la cuve de développement est la seule étape un tant soit peu délicate dans le processus de développement de la pellicule, car elle nécessite de se réaliser dans le noir absolu. Ou pas. Première option, vous utilisez une cuve « classique » et là vous n’avez pas le choix. Vous devez charger le film sur la spire dans la totale obscurité, ce n’est pas compliqué, juste un coup à prendre. L’idéal c’est d’utiliser un pellicule perdue pour se familiariser avec la manipulation en plein jour, pour comprendre le mécanisme qui permet d’envoyer la pellicule sur la spire puis de la couper, d’insérer la spire dans la cuve et de refermer la cuve. Il faudra faire toute cette manipulation dans le noir complet. Inutile de préciser que si la pellicule voit le moindre soupçon de lumière, elle est voilée et c’est foutu ! Pour les cuves, vous avez le choix, les deux marques les plus connues sont Patterson et Jobo.
Pour ma part, j’utilise une cuve Jobo Daylight 2400 qui permet de charger une pellicule dans une cuve à la lumière du jour. Que dire de ce système sinon qu’il tient du génie ? Je lui consacrerai un article ici-même très bientôt. Avec Jobo Daylight, on amorce le début de la pellicule sur la spire, on ferme la cuve puis un ingénieux système permet de dérouler la pellicule sur la spire et une fois que c’est fait, de couper la pellicule et de récupérer la bobine vide. La cuve est alors prêt pour le traitement. Évidemment, Jobo ne commercialise plus cette cuve depuis des lustres. On en trouve parfois avec un peu de chance sur les sites de vente aux enchères, malheureusement à des prix souvent rédhibitoires…
Une fois que la pellicule est en place sur la spire bien à l’abri de la lumière dans la cuve de développement, le travail de développement peut commencer. C’est une procédure qui ne laisse aucune place au hasard, qui doit suivre un timing précis tout en répondant à certaines conditions de température. Dans un prochain article, je vous expliquerai cette procédure dans le détail ! Ça vous laisse le temps de préparer vos chimies…
• photo : le matériel et quelques accessoires pour développer la pellicule noir et blanc soi-même (cuve Jobo 2400 Daylight, bidons et bouteilles plastiques, thermomètre, éprouvette graduée, broc, compte-gouttes, extracteur de film).