Bonjour, je m’appelle Thibaut, j’ai trente-cinq ans, je suis comptable. J’ai fait comptable parce que ma mère me répétait sans arrêt que dans la vie, il faut avoir un métier sérieux, qui assure de faire bouillir la marmite. Elle a raison ma mère, alors j’ai fait comptable. Aligner des chiffres dans des colonnes débit, crédit, toute la sainte journée, c’est pas ce qu’il y a de plus excitant, mais au moins, comme dit maman, ça paye les factures. Je fais mon taff, mes trente cinq heures, j’ai un bon salaire, des congés, des RTT, je bosse dans une bonne boîte, j’ai une certaine sécurité de l’emploi, tout va bien. Normalement, j’ai tout pour être heureux. Mais qu’est-ce que je m’emmerde ! Parce que moi, voyez-vous, mon grand truc, l’aventure de ma vie, c’est la plomberie. C’est le métier de mes rêves, celui que j’aurais toujours voulu faire, mais le destin (et ma mère) en auront décidé autrement. Alors pendant trente-cinq heures chaque semaine, je suis comptable. Le reste du temps, je suis plombier. Je vis mon rêve, ça ne s’explique pas.
La plomberie, clé de 12 en mains.
Au début, j’étais pas vraiment équipé. Un petit jeu de clés chromées vanadium, une paire de gants et je partais à l’aventure. Je dépannais les éviers chez ma mère, je vérifiais des conduits de douche chez mes potes, gratuitement bien sûr. Grâce à ça, mes potes en parlaient à leurs potes, j’ai commencé à me faire une jolie réputation dans mon coin. J’étais de plus en plus sollicité, on m’a demandé des interventions de plus en plus complexes, sur des chantiers de plus en plus importants. J’ai vécu là mes plus beaux instants, mes plus belles vibrations de plombier. Moi, clé de douze en main, face au robinet récalcitrant, j’existais enfin. Et puis ça me permettait de sortir le soir, après ma journée, de voir des gens, de me bâtir une réputation. Un jour, j’ai franchi le cap, je me suis créé une page Facebook, Thibaut plomberie que ça s’appelait. Oui, je n’osais pas afficher Plombier (avec un P majuscule), parce que c’était pas vraiment mon métier et je ne voulais pas faire de l’ombre aux professionnels. Chaque fois que je faisais une intervention, je la mentionnais dans ma page. Je me suis fait beaucoup d’amis Facebook, récoltant à chaque fois beaucoup de likes. Je vivais mon truc, j’étais heureux. Enfin.
Le temps a passé, les chantiers devenant de plus en plus importants et lointains, j’ai dû franchir le pas et demander une petite participation financière, histoire aussi de payer le matériel dans lequel j’ai dû investir. J’ai un matos de rêve aujourd’hui, du poste à souder Rothenberger qui dépote à la panoplie complète de chez Facom, j’investis toutes mes économies et tout mon salaire y passe, et quand ça ne suffit pas, il y a toujours Cofidis comme dirait mon pote Gaston ! C’est comme ça que j’ai pu acheter mon Berlingo aménagé. Vous allez me dire, ça fait des longues journées ! Partir sur la route après huit heures d’écritures journalières, il faut vraiment aimer ça. La plomberie, c’est plus qu’une passion, c’est toute ma vie, ça me rend heureux et ça ne s’explique pas. Bien sûr, ça rend moins heureux les plombiers professionnels, dont c’est le métier et leur unique moyen de subsitance. On m’accuse plus ou moins ouvertement de concurrence déloyale, on me reproche d’être payé au black (comme si eux, les pros, ne faisaient jamais de black hein ?), de casser les prix, ou parfois de bosser gratuitement. Je comprends bien, mais j’ai envie de leur dire aux pros qu’on est en 2015, que les temps ont changé, qu’il faut vivre avec son temps et que c’est pas de ma faute s’ils n’ont pas évolué. Je les soupçonne aussi d’être un peu jaloux de la qualité mon travail…
Moi je vis ma passion, à travers la plomberie et le reste n’a aucune importance. Je passe tout mon temps libre chez Leroy Merlin, le beau matos c’est mon truc. Un jour, je serai complètement équipé, aussi bien qu’un pro et même mieux qu’un pro, c’est l’avantage de ne pas avoir à déclarer ses revenus au fisc. Pas d’impôts, pas de charges, pas de TVA, ça aide. Je vais bientôt fêter les 5000 amis sur ma page Facebook Thibaut Plombier et mes 1000 followers sur Twitter. Au fil du temps, la plomberie, c’est devenu beaucoup plus qu’une passion. Le soir, après ma journée, quand je tombe la chemise-cravate, que j’enfile mon bleu et que je pars sur les routes au volant de mon Berlingo, je suis dans la lumière. J’existe enfin. J’évite de penser aux dommages collatéraux que mon activité paralèlle provoque sur les plombiers professionnels. Comme dirait ma mère, après tout, on ne fait pas d’omelette sans casser des oeufs.
• Quelques précisions…
Cette histoire est une fiction. Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé serait purement fortuite. Et j’ai le plus grand respect pour les professionnels de la plomberie. Si le cœur vous en dit, vous pouvez relire cet article, en remplaçant les mots plomberie et plombier par photographie et photographe.