En photographie, il y a un truc essentiel, c’est d’être en phase avec ses outils. Comme je le suis avec Nikon D4s, entre autres. Vous allez me dire que ce n’est pas quelque chose de spécifique à la photographie, c’est valable pour n’importe quel corps de métier. C’est important d’avoir un bon outil, mon grand-père me répétait sans cesse qu’un bon ouvrier doit avoir un bon outil. Le métier d’ouvrier de l’image ne fait pas exception à la règle. Quand j’ai commencé la photo, au siècle dernier, mon premier boîtier sérieux a été un reflex Canon. Pourquoi Canon ? Sans doute parce que le photographe chez qui ma mère a acheté ce reflex lui avait conseillé Canon et puis voilà. Avec le recul j’aurais pu tout aussi bien avoir du Nikon ou du Leica. Non, pas du Leica. Ma chère mère avait quelques moyens, mais pas à ce point-là. Ce fut donc Canon, parce que c’était une marque réputée et que ma mère, fan de Super 8, avait une caméra Canon. Ainsi donc j’étais estampillé marque rouge, que j’ai gardée pendant des années, d’abord en argentique, puis au début des années 2000 en numérique. De mes années Canon j’ai gardé la passion définitive des belles optiques, vous savez ? Par où passe la lumière et de ce point de vue là, chez Canon, il n’y a vraiment rien à redire. Du côté des reflex, en revanche, il était écrit que nos chemins devaient se séparer, au terme de plusieurs décénies de bons et loyaux services. Il faut dire qu’en face, ils ne sont pas du genre à rester les bras ballants…
Nikon D4s. Comme une évidence.
• Premiers contacts avec Nikon D3s
J’ai découvert Nikon au salon de la photo, en 2009. C’est là que je l’ai vu la première fois. Il était là, négligemment posé sur une tablette, dans l’espace pro, l’air de rien, entre un D700 et un D3x. Lui, il était la star du salon, il avait une liste de specs longue comme le bras et il pesait trois tonnes. Il avait la capacité de monter au delà de 100Kiso. La première fois que j’ai eu cette info, j’ai cru qu’il y avait une coquille dans la fiche technique. Plus de cent mille iso, les ingénieurs de chez Nikon avaient dû faire un travail de fou pour en arriver là. Mais, surtout, surtout ! Nikon D3s était doté d’une arme de séduction massive, hérité de la longue lignée de reflex de la marque jaune. Il portait en lui cet autofocus miraculeux, capable d’aller accrocher un point de netteté dans des conditions de lumière dégueulasses et comme disait l’autre, les conditions de lumière dégueulasses, dans mes domaines de prédilection, c’est ce qui manque le moins. Avec D3s, Nikon a clairement franchi un pas, une proposition de polyvalence comme la marque n’en n’avait sans doute jamais eu. Le qualité de ce boîtier premium c’était ça. Un reflex capable de vous suivre partout, totalement polyvalent, aussi capable d’assurer en photo d’action (sport, animalier), qu’en évènementiel (danse, photo de concerts) ou en studio (portrait, packshot). Autonomie large, reflex tout terrain par excellence. J’avais fini par lâcher : « On dirait que ce boîtier est fait pour moi ! » et une voix m’avait soufflé « Il ne vous reste plus qu’à l’essayer. » Ma vie de photographe a basculé à ce moment précis. Et mes certitudes avec.
Je pensais que Nikon D3s serait le boîtier d’une vie, de ma vie, mais ce qui était vrai avec l’argentique ne l’est plus avec toute cette électronique embarquée. Les reflex d’aujourd’hui sont de véritables ordinateurs de bord avec une obsolescence quasi-programmée. Finalement, avec le recul, les quatre années passées avec Nikon D3s, je réalise qu’il ne manquait qu’une chose à ce boîtier de légende. Une définition de capteur sensiblement plus large. Il a hérité du capteur de 12mp du D700 et avec une taille comme celle-là, le photographe n’a que très peu de latitude s’il souhaite opérer un recadrage, même léger. En fait j’ai toujours pensé que la taille idéale pour un capteur est de 16 mégapixels, mais si on fait abstraction de ce détail, il ne manque rien, absolument rien à Nikon D3s. À dire vrai, ce reflex aura non seulement modifié ma trajectoire, mais il aura aussi influencé ma façon de travailler. J’ai souvent pesté contre son poids de mammouth, surtout lorsqu’il est plombé par l’ajout de Nikkor 70-200mm f/2.8 VRII, l’une des optiques premium de la marque jaune et mon optique de référence. Mais bon sang ! J’ai besoin d’en avoir plein les mains, de sentir mon reflex, comme un prolongement naturel de mes bras. C’est pour ça que j’aime Nikon D3s. Il fait partie de moi et quand je travaille avec lui, je deviens autiste. Plus rien n’existe dans ma bulle. Rien d’autre que mon reflex, mon œil gauche et mon sujet. Cette symbiose m’est nécessaire, c’est ça pour moi être photographe. Et il n’y a finalement que dans ces moments-là où je suis vraiment bien.
• Nikon D4s, le second effet kiss cool
L’impression qu’on ne changera jamais de matos. Puis vint Nikon D4. Un caillou dans la chaussure de Nikon, un acte manqué sans doute. L’impérieuse nécessité pour Nikon, après les terribles événements climatiques sur le Japon, d’envoyer un message fort, de dire à ses clients professionnels « Nous sommes toujours debout, nous faisons le job. » Nikon D4, un reflex sorti dans le chaos, était certes un bon reflex mais pas la perfection qu’on était en droit d’attendre du navire amiral de Nikon. Finalement, je réalise avec le recul que Nikon D4 m’a conforté dans l’idée que mon histoire avec D3s ne finirait jamais, tant ce reflex était brillant, surclassant même les boîtiers récents. Il n’aura guère fallu de temps pour que Nikon ne corrige sa copie et propose Nikon D4s. Et là, je dois admettre que j’ai pris en pleine gueule le second effet kiss cool. Nikon D4s proposait tout ce que Nikon D3s savait déjà faire avec brio, accompagné d’une réécriture globale du firmware et d’une montée en puissance d’un hardware sévèrement burné, le tout arrosé de quelques goodies dont j’imaginais qu’ils avaient été créés rien que pour me taquiner, moi l’heureux propriétaire du jurassique D3s. Comme l’illumination du tableau de bord arrière, entre autres. Mais surtout, avec D4s, Nikon réussissait l’impensable. Améliorer encore ce que l’on croyait être une définitive perfection, un must. La perfection de l’autofocus, cette capacité à faire la mise au point dans à peu près toutes les conditions de lumière. Et je passe sur des points de détail comme la taille du capteur – 16mp – la présence de cartes XQD aux débits pharaoniques capables d’engloutir les flux vidéos que D4s était désormais en mesure d’engranger. J’ai eu l’occasion d’amener Nikon D4s avec moi sur le terrain, notamment aux Vieilles Charrues, de taper des clichés avec des optiques aussi dantesques que Nikkor 300mm f/2.8 (doublé à 600mm par la grâce d’un TC20-EIII). Mis à part une autonomie légèrement en recul par rapport à D3s, je ne voyais pas objectivement ce qu’on pouvait reprocher à D4s.
Et pourtant, j’ai attendu et j’ai vécu sans Nikon D4s. J’ai observé, j’ai écouté avec attention les échos recueillis auprès des nombreux photographes de mon entourage équipés en jaune. Je dois à la vérité de dire que les commentaires autour de D4s sont particulièrement élogieux et pourtant, je connais quelques spécimens de photographes singulièrement exigeants. Aux Vieilles Charrues par exemple, j’ai doté mon jeune et talentueux équipier Pierre Hennequin (membre du staff des photographes officiels du festival) de deux Nikon D4s. Les images ramenées par Pierre valent mieux que tous les discours ! Les tandems D4s et Nikkor 14-24mm f/2.8 ou D4s et Nikkor 70-200mm f/2.8 se sont avérés absolument redoutables d’efficacité, dans toutes les conditions de shooting. De mon côté aussi j’ai pu apprécier les qualités de ce reflex, sa vélocité et son dynamisme, conjugués aux optiques Nikkor permettent de travailler sereinement, sans se demander si le matos va suivre. D’ailleurs, c’est la principale qualité de Nikon D4s. Il vous suit.
« La quintessence du reflex professionnel ». « Reflex d’exception. Sans limite ». Rien d’étonnant, donc, que Nikon D4s ait reçu le prix TIPA (Technical Image Press Association) du meilleur reflex pro en 2014. Quant à moi, je crois que j’ai suffisament attendu. En janvier 2015, après quatre années passées avec lui et quelques dizaines de milliers de clichés glanés sur tous les terrains d’opération, du studio packshot à la gadoue de Lanarvily, de l’ambiance feutrée des salles de concerts aux chaudes ambiances des Vieilles Charrues, mon D3s devrait prendre une retraite méritée. Pour lui succéder, quoi d’autre que Nikon D4s ? Comme une nécessaire évidence.
• photo : Carhaix Calling. Arctic monkeys feat. Alex Turner, Vieilles Charrues juillet 2014 (crédit photo : Hervé LE GALL). Nikon D4s, Nikkor 300mm f/2.8 + TC20-EIII.