Le toile s’enflamme pour une photo. Ah ! Je les reconnais bien là, nos chers journalistes, toujours prêts, comme les scouts, à faire feu de tout bois. La photo ? Oui, vous savez ? LA photo. Finalement on aura vite fait d’oublier que Twitter est composé de gens, de ces gens normaux qui ont aussi le droit de donner leur avis. On en revient encore et toujours aux fondamentaux. Une photo, ça se consomme. Un regard et on sait. C’est vrai, bien souvent on ne sait pas trop se l’expliquer, on regarde un cliché et on se dit « ah ouais. » Et puis parfois, c’est l’inverse. On regarde une image et rien ne se passe, on ne sent rien, niante, nibbe, nada. Pas d’émotion, électro-encéphalogramme plat. Un jour, après un concert de Placebo, une petite nana – elle devait avoir quinze ou seize ans guère plus – est venue me voir pour me dire qu’elle était fan de Brian Molko, de Placebo et de moi, oui, dans cet ordre-là, excusez du peu. Qu’elle avait imprimé, sur sa petite imprimante à jet d’encre, toutes les photos que j’avais faites de son idole et qu’elle en avait couvert les murs de sa chambre. C’était dit avec une telle candeur et une telle sincérité que j’avais été très touché par ce témoignage brut de pomme. Et puis, elle s’en était repartie en gloussant avec sa bande de copines avant de revenir me voir au galop et de me dire une dernière chose. « Je voulais vous dire aussi… Quand je regarde vos photos de Placebo, j’entends la musique de Placebo ! » Cette gamine avait tout dit, tout résumé, en une phrase définitive elle avait parfaitement résumé l’acte photographique. Et finalement, dans la photo de Depardon, le seul problème est là. Cette photo est banale, mais à y regarder de plus près, elle est magnifiquement banale. C’est du grand Depardon. Une certaine option de la normalité tant souhaitée par ce Président. Je respecte. Je dis simplement que cette photo ne me parle pas. Je n’entends pas, je ne perçois pas. Pas sur l’instant, comme disait ce cher Henri.
Ce qui m’amuse beaucoup dans ce débat, c’est d’observer les réactions. J’ai savouré avec beaucoup de plaisir la réaction de Philippe Warrin (auteur de la photo de Sarkozy) dans Sud-Ouest, affirmant sans ambage, et là je cite Warrin in extenso : « A l’époque, Raymond Depardon m’avait pas mal allumé, il disait que lui, il l’aurait fait sans éclairage supplémentaire, en lumière naturelle… Il s’est peut-être aperçu que ce n’est pas si facile que ça, car au vu du backstage publié par LeMonde.fr, même pour une prise de vues à l’extérieur, il a d’énormes panneaux réflecteurs, preuve qu’il a eu besoin de lumière supplémentaire. Il me semble qu’il y a en revanche une légère surexposition en arrière-plan. » Ça balance pas mal, bonne ambiance. J’ai vu le making of, sur le site du Monde. Depardon avec un reflex faisant les repérages, testant une prise de vue du Président en mouvement pour finalement opter pour la position sage et posée. Je vais vous dire, moi, la photo politique, j’ai donné, il y a quelques années. C’est l’exercice le plus casse-gueule qui soit. Ça et photographier Miossec en basses lumières au Cabaret Vauban.
Et puis il y a les réseaux sociaux partagés entre ceux qui aiment d’un côté (assez peu nombreux, il est vrai) et plus majoritairement ceux qui n’aiment pas. Et entre les deux, comme toujours, il y a les schtroumpfs à lunettes (oui, des schtroumpfettes aussi), les moralisateurs, celles et ceux qui voudraient nous interdire de gueuler en rond, de ceux qui viennent vous balancer des argument aussi définitifs que « t’es qui toi d’abord pour juger Depardon ? » Moi, je ne juge pas Depardon. Je regarde un cliché et je dis si ça me parle ou pas, mais finalement le problème n’est pas là. Le problème c’est juste au fond ce putain d’ego qui vous pourrit le groove et on revient encore et toujours à l’essentiel, à ce petit plaisir égoïste et solitaire qu’est la photographie, à ce don de soi, à cette vision des choses, des gens. Aimez-vous, faites des photos qui vous semblent jolies, qui vous ressemblent et ne vous préoccupez pas trop du regard des autres. Et puis, tout compte fait, la photo du Président a, à mes yeux, une grande qualité, au delà de sa simplicité, de sa normalité, de son classicisme y compris dans le format carré. Elle est la vision d’un photographe qui a passé sa vie entière à capturer, avec un regard pétri d’humanité et de simplicité, les gens. Un nom associé aux deux agences parmi les plus prestigieuses qui soient, Gamma puis Magnum. Mais surtout Depardon, qui vient du monde paysan, a gardé toute sa vie ce bon sens de la terre, récompensé par le prix Louis-Delluc pour son film « Profils paysans ». Alors, avec le recul, le choix de Depardon n’était certainement pas anecdotique. Parce que la grande qualité de cette image, quand on la regarde, c’est qu’on sait instinctivement que c’est du Depardon. Quelque chose me dit qu’un jour peut-être, sans aucun doute, l’histoire rendra justice à Raymond Depardon sur la valeur d’un cliché trop vite consommé, à une époque où les réseaux sociaux régnaient en maître de l’image banale.
• photo officielle de François HOLLANDE, Président de la République par Raymond DEPARDON, photographe. Source : site officiel de la Présidence de la République.