Depuis une vingtaine d’années, j’ai vu les choses se dégrader progressivement dans le milieu de la photographie. Se dégrader à tous les niveaux et à une vitesse quasi exponentielle. Je ne parle pas uniquement de mon environnement de prédilection, la photo de spectacle, même si dans ce domaine il n’est guère plus possible, aujourd’hui, de gagner sa vie correctement. La faute à qui ? Ce billet d’humeur n’a pas vocation de désigner des coupables, d’autant que c’est un problème global. Mais une chose est sûre. Pour les photographes de la nouvelle génération, pour celles et ceux qui débutent dans cette branche d’activité, la vie s’annonce plus que difficile. On me demandait récemment le conseil que je pourrais donner à un•e jeune photographe qui se lance dans cette activité. Je serais bien gêné pour lui répondre. Au pire, je l’inciterais à la prudence. Au mieux je lui conseillerais d’envisager une autre voie.
Il y a peu, je lisais sur son compte Instagram un texte très touchant écrit par Jean-Marie Perier, un (grand) photographe pour lequel j’ai une infinie tendresse. Son témoignage évoque une période révolue, oubliée, dont il a été un grand témoin. « À un jeune photographe débutant aujourd’hui, je dirais qu’apprendre la photo c’est apprendre à regarder, donc c’est bien. Cela dit les choses ont beaucoup changé, le métier de photographe tel que je l’ai connu n’existe plus… » Oui, mon cher Jean-Marie, comme vous avez raison, les choses ont bien changé. Avec beaucoup de bon sens et d’intelligence, le photographe poursuit : « Si tu as la vocation, je te conseillerais de continuer avec un appareil permettant aussi de filmer. Je crois qu’il y a (pour le moment) plus de possibilités, ou de débouchés dans la chose filmée. » C’est tellement juste. Seul bémol, il est infiniment plus complexe, a priori, d’organiser des images filmées que de se contenter d’appuyer sur un déclencheur. C’est sans doute pour cela qu’il y a moins de vidéastes que de photographes ?
• Les photographes de l’ère numérique
Depuis l’avènement de la photo numérique, qui contrairement à la photo argentique ne coûte virtuellement rien, on a vu toute une génération spontanée de photographes envahir les salles de spectacles et les pits de festivals. Avec le temps, les accréditations sont devenues plus compliquées à obtenir. Les productions, étant souvent débordées par le nombre de demandes, sont devenues de plus en plus exigeantes. Les conditions drastiques imposées au fil du temps ont rendu le travail très difficile. Pour revenir à Jean-Marie Perier, on lui avait demandé, il y a quelques années, s’il faisait encore des photos de concerts. Il avait répondu que non, il ne voulait pas être fliqué par un mec de sécu parlant à sa manche en costard de men in black. Comme je le comprends ! Short list en festival, trois premiers titres sans flash, photographes parqués dans trois mètres carrés côté cour… Sans oublier la validation des clichés avant publication, limitation dans le temps, quand ce n’est pas l’interdiction de faire quoique ce soit des clichés. Compliquée la vie de photographe ? C’est rien de le dire.
Récemment, j’ai photographié un artiste de la scène française. Honnêtement, je n’attendais rien de cette prise de vue, c’était plus une curiosité de voir ce que cet artiste, que j’ai bien connu il y a une trentaine d’années, était devenu. J’ai signé plus de documents de confidentialité que si j’avais photographié un site nucléaire stratégique et à l’issue du concert j’ai envoyé mes photos pour validation. Que croyez-vous qu’il s’est passé ? Rien. Malgré plusieurs relances, je n’ai obtenu aucun retour. Jamais. Quantité négligeable.
• Les relations avec la presse
Et puis il y a la presse et là aussi, il y a des choses à dire. Laissez-moi vous compter une mésaventure récente. J’ai été contacté par un magazine musical pour obtenir des photos d’un festival auquel j’ai participé. On m’a demandé des photos « libres de droits », ce que j’ai naturellement refusé. J’ai donné un prix, qui a été accepté par le rédacteur en chef dudit magazine. J’ai envoyé une sélection de clichés en basse définition pour permettre au magazine de faire son choix sur une sélection de concerts. Et j’ai attendu le retour, qui n’est jamais venu. Le temps passant, j’ai pensé que le magazine avait trouvé son bonheur ailleurs. Plusieurs mois après cette demande, j’ai été informé que le magazine avait utilisé une de mes photos, pleine page, en recadrant l’image afin de faire, très opportunément, disparaître le filigrane situé en bas à droite. Inutile de préciser que la qualité d’impression d’une basse définition est déplorable. J’ai envoyé ma facture et j’attend mon paiement. No comment.
Alors, en conclusion, les photographes sont-ils effectivement devenus la cinquième roue du carrosse ? Déjà, les carrosses, de nos jours, ça n’existe quasiment plus et je pense que peu de photographes peuvent décemment vivre de leur passion aujourd’hui. Je croise assez régulièrement des photographes qui sont, comme moi, plus près de la porte de sortie que de l’entrée des artistes. On est tous d’accord, ce métier devient très, très compliqué. Pour conclure, je ne résiste pas au plaisir de citer à nouveau Jean-Marie Perier. « Le plus important, si tu as une véritable envie, si tu as des idées qui te tiennent vraiment à cœur, alors n’écoute personne. On n’écoute que les conseils dont on est déjà convaincu. » Et Jean-Marie d’ajouter, avec cet humour qui n’appartient qu’à lui : « N’écoute pas trop les adultes, surtout les vieux, l’expérience des autres ne sert pas à grand-chose. »
• Vous pouvez suivre le photographe Jean-Marie Perier sur son compte instagram