En ce moment, c’est Waterloo morne plaine. La couleur du ciel, désespérément gris, est au moins aussi peu motivante que l’actualité photographique. On bosse en studio, là où le soleil est toujours présent, il suffit d’appuyer sur l’interrupteur et en extérieur on n’oublie pas d’emporter son flash. Bref, vous l’aurez remarqué, en ce moment sur SHOTS c’est un peu silence radio. D’autant qu’avec ce virus made in China qui nous est tombé sur le coin de la gueule comme la vérole sur le monde, on a l’impression qu’une chape de plomb nord coréenne s’est abattue sur le pays, fermant les portes des musées, des évènements sportifs et des salles de concerts. Bonne ambiance, donc. Sans même évoquer le gel hydroalcoolique qui vaudra bientôt plus cher qu’un Dom Pérignon millésimé. Bref, ce matin en allumant mon Mac je me disais que la journée se présentait comme les autres, morne et insipide mais c’était sans compter sur Facebook qui distille ses publicités ciblées. Et ce matin, la firme de Monsieur Zuckerberg s’est mis en tête de me vendre un t-shirt, mais pas n’importe quel t-shirt !
Les bons photographes bossent en mode manuel. Ou pas.
Une mention en anglais affirme : « Tout le monde est photographe jusqu’à… » Sous la mention, une molette de réglages et la lettre M écrite en rouge. Vous pigez le message ? En gros ça veut dire que si tu bosses pas en mode manuel, t’es pas un vrai photographe. Je regarde le prix (21 euro et des brouettes) et ma première réaction c’est de me demander si des gens achètent vraiment ce genre de t-shirt ? Mais surtout, comment peut-on porter un t-shirt qui prétend que si tu ne travailles pas en mode manuel, tu n’es pas un vrai photographe ? C’est un débat vieux comme le monde, c’est presque enfoncer une porte ouverte mais je vais tenter de vous donner mon avis sur le sujet.
• Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse
J’ai eu l’occasion de cotoyer nombre de photographes, des pros vachement connus autant que des amateurs dont la photographie était leur madeleine de Proust. Je me souviens en particulier d’avoir croisé un soir, au Vauban, un photographe pour lequel je nourrissais une admiration sans borne (et c’est toujours le cas aujourd’hui). On avait parlé de Brest, de Molène et d’Ouessant et naturellement de photographie. De sa poche, mon interlocuteur avait sorti un petit compact Canon numérique bon marché. Sur le coup, j’étais très désappointé, mais il m’avait expliqué qu’avec l’âge, il ne voulait plus s’imposer du matériel lourd. Mais étant photographe, il ne supportait pas l’idée de ne pas pouvoir fixer une image que son regard lui imposait. Il avait donc toujours dans sa poche ce petit boîtier prêt à fixer des images. Quant au débat du mode manuel, on n’avait même pas abordé le sujet. Un autre photographe, presque aussi connu que le précédent, qui venait d’acheter à l’époque un reflex Nikon D3s, m’avait confié qu’il travaillait souvent en reportage en mode P (comme programme). « Aujourd’hui, cet appareil photo est suffisamment évolué pour appliquer lui-même les réglages qui vont bien. Ça me permet de me concentrer sur l’essentiel, le cadrage, la composition. » C’est un argument qui tient debout, on y reviendra.
• Le salut existe en dehors du mode manuel.
Résumer l’acte photographique au choix du mode manuel est d’une bêtise abyssale. À tout prendre, je préfère une photo réussie, réalisée en mode programme, à une photo ratée réalisée en mode manuel. Ce qui ne signifie pas que le mode programme va vous permettre de réussir toutes vos photos. Gardez en mémoire qu’en photographie, la seule règle c’est qu’il n’existe aucune règle. Et surtout, il n’y a aucune règle imposée. Pour ma part, je travaille quasiment exclusivement en mode manuel. Pourquoi ? Parce que je viens d’une époque où seul le mode manuel existait. Sur mon premier reflex, il y a fort fort longtemps, aucune forme de mode automatique n’était disponible, on n’avait donc pas le choix. Prendre une photo imposait la mise en adéquation du diaphragme, de la vitesse et de la sensibilité du film. On bossait en mode manuel parce qu’on n’avait pas d’autre alternative et il nous arrivait de chier nos photos plus souvent qu’à notre tour. Les matériels ont évolué et ont progressivement permis d’accéder à l’ouverture automatique. Autant vous dire que nombre de photographes ne se sont pas privés d’utiliser les automatismes qu’on leur proposait. Quand le numérique est arrivé, on a découvert les joies du modes PASM et la possibilité de modifier la sensibilité à la volée. Et quand on chiait une photo, on pouvait désormais la visualiser en temps réel et l’effacer. N’empêche. Quelque soit le mode choisi, on restait des photographes.
• Program. Aperture. Speed. Manual.
En gros, votre appareil photo vous propose quatre modes. Et là vous me dites quel mode je dois choisir ? J’ai envie de vous répondre que, d’abord, vous ne devez rien, qu’ensuite ça dépend de pas mal de paramètres. Car la réponse ne sera pas la même selon que vous utilisez un APN à visée reflex ou un appareil à visée réelle. Dans le second cas, vous constatez de visu l’effet de vos réglages dans votre viseur, ce n’est donc radicalement pas la même approche. La visée réelle est plus pédagogique dans le sens où vous réalisez instantanément vos actions sur l’ouverture (le diaphragme) de votre optique, sur la vitesse de votre boîtier, la sensibilité que vous avez choisie. En ce sens, la visée réelle, non contente de vous montrer une image en temps réel est aussi une forme d’enseignement en continu. Vous débutez la photo, vous n’y connaissez rien, mais vous avez envie de capturer des images, de montrer votre vision du monde sans trop vous prendre la tête avec ces histoires de diaphragme, de vitesse et d’iso ? Pas de problème. Choisissez le mode P et concentrez-vous sur des notions aussi essentielles et fondamentales que le cadrage, la composition. Prenez votre temps pour observer, composer avant d’appuyer sur le déclencheur. Une belle photo se mérite mais je veux bien vous assurer que personne ne vous demandera, en regardant vos clichés, dans quel mode vous avez réalisé vos photos. Sauf peut-être si votre interlocuteur porte ce genre de t-shirt crétin…
• Science sans conscience.
Vous vous souvenez de ce que disait Rabelais ? C’est une de mes citations préférées. « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. » Si l’on admet que la photographie est un art, la conscience en est assurément un ingrédient. Comprendre les mécanismes qui aboutissent à l’image, cette merveilleuse alchimie, la rencontre entre la lumière et la mise en œuvre de techniques qui permettent de la dompter, c’est quelque chose qui, je vous le promets, va, à un moment ou à un autre vous titiller. Vous allez pouvoir aller plus loin dans la réalisation de vos images en adaptant certains mécanismes qui constituent l’acte photographique. Selon le choix de l’ouverture (le diaphragme), selon que vous laissez entrer plus ou moins de lumière en clair, l’effet sur votre image sera différent. Utilisez le mode A (comme aperture, ouverture) et découvrez les joies de la profondeur de champ (le fameux bokeh). Si vous faites de la photo sportive ou animalière, vous aurez besoin de vous assurer que votre appareil applique une vitesse d’obturation suffisante, vous utiliserez le mode S (comme speed, vitesse). Vous pouvez aussi mixer votre réglage avec des modes bien pratiques, comme la sensibilité automatique. Le mode iso auto permet de choisir et d’adapter la sensibilité selon la lumière dont vous disposez tout en fixant la limite maximale de votre choix.
Et si vous voulez être le seul maître à bord, que vous vouliez absolument tout contrôler vous-même, vous passerez en mode manuel. Gardez en tête que bosser en mode manuel ne fera pas de vous un meilleur photographe que les autres. Il n’y a pas un mode de prédilection en photographie. Moi qui vous parle, je vous l’ai dit, je bosse la plupart du temps en mode manuel, mais passer en mode program ne me pose pas d’état d’âme particulier. En revanche, je n’utilise quasiment jamais les modes A ou S. L’important n’est pas le mode dans lequel on fait des photos. C’est surtout de se sentir bien et sans contrainte. En résumé, on peut être un bon photographe et utiliser le mode P ou n’importe quel autre mode qui vous convienne. Le mode, on s’en fout au moins autant que ce t-shirt ridicule et son message qui l’est tout autant. En photographie, comme dans toute autre forme d’art, l’important c’est l’intention et le résultat. C’est l’image et le plaisir qu’on a eu de la faire.
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Christophe Blanquart dit
« Parce que je viens d’une époque où seul le mode manuel existait ». En fait, je pense qu’il s’agissait plus du mode semi-automatique. En effet, on bénéficiait de l’aide précieuse d’une cellule intégrée pour mesurer la lumière. Ce qui n’était pas le cas des Leica M (au moins jusqu’au M4), Nikon F, F2 et Canon F1 avec leurs prismes basiques. Mais tout ça, c’est de l’histoire ancienne. En tout cas, merci pour vos papiers toujours intéressants à lire.
Hervé LE GALL dit
Pour la petite histoire (ancienne), mon tout premier reflex ne disposait pas d’une cellule TTL. C’était une cellule en façade qui mesurait la lumière ambiante, autant dire un système très casse-gueule. Sur Canon F1 aucun automatisme mais une cellule TTL, autant dire le luxe.
Zenati dit
J’ai commencé la photo en amateur en 1976 avec un Mamya 6X6, sans cellule, j’ai gâché 30 films en suivant les consignes de la pellicule. pour comprendre le couple diaphragme et vitesse
titus dit
Mon premier reflex débutant, j’ai suivi les conseils des pro des forums, des sites, de youtube, etc.
Et là, tout le monde disait : utiliser le mode M. En fait, je ne comprenais pas grand chose, mais obstinais à utiliser ce mode M (pour faire comme on me disait). Finalement, mes photos, presque 98% étaient mauvaises. Et j’ai été dégouté de l’appareil, de la photo, et de tout ce qui va avec.
Puis un jour, j’ai tout repris à zéro, pour comprendre,… et finalement, j’ai compris, que c’est un peu comme ceux qui disent : les véhicules en boîte auto, c’est de la grosse M et les vrais conduisent en boîte manuelle. Sauf quand tu es dans les bouchons dans une grande ville, et tu fais travailler tes cuisses en poussant l’embrayage. En photo c’est plus où moins la même chose. Le mode semi-auto c’est parfait, un gain de temps et d’énergie précieux.
Oui, j’utilise le mode M occasionnellement, lorsque la lumière ne change pas trop. Par exemple un paysage, une pose longue, etc.