Il serait franchement illusoire de penser que la retouche photo date de l’ère numérique. De tout temps, depuis toujours, les photographes pratiquent la retouche. D’ailleurs il fut un temps où cette pratique était quasi systématique, tant il fallait se rapprocher au plus près de la réalité, voire d’une réalité fantasmée. Aujourd’hui, avec l’omniprésence de la photographie numérique et de ses outils, la retouche est partout. Elle est parfois légère, pour masquer une anomalie disgracieuse, tant sur un visage que sur un paysage. Au fond, la retouche photo est bien utile quand elle ne se remarque pas. Il n’y a rien de pire qu’une post production outrancière, où l’image disparaît au profit d’effets pour le moins malheureux. Un gros coup de contraste par ici, une désaturation des couleurs par là, un vignettage monstrueux, un grand coup de clarté. La photographie n’aime pas les extrêmes et elle n’est jamais aussi attirante que lorsqu’elle est le reflet d’une belle réalité et d’une technique maîtrisée. Si je vous parle aujourd’hui de retouche photo, c’est aussi pour vous proposer un petit voyage dans le passé. Un coup d’œil dans le rétro, dans le Brest de l’après guerre, au début des années 50. Une parfaite illustration d’une certaine réalité, comme le photographe aurait voulu l’imaginer. Un lieu cher à mon cœur, l’hôtel Vauban, où j’ai passé un bonne partie de mes nuits brestoises…
La retouche photo existe depuis toujours
• À l’Hôtel Vauban bat le cœur de Brest
Le Vauban… Un hôtel mythique, le premier endroit où j’ai posé mon sac en arrivant à Brest, il y a près de vingt ans. L’Hôtel Vauban est à Brest, ce que le Chelsea hotel est à New York. Un lieu où sont passées toutes les gloires du show biz, du jazz et du rock réunies. Un lieu cher au cœur de tous les brestois, qu’ils soient nés du côté de Recouvrance comme Miossec, ou pas, comme Tiersen, Daniel Darc, Stephan Eicher ou Rodolphe Burger. Un lieu adorablement sexy, pour reprendre les termes de Jane B. La chambre 206 et sa moquette écossaise du sol aux murs, la chambre 304 où Richard Dumas a photographié Christophe Miossec pour la pochette de son premier album, Boire. Un lieu où je suis entré par hasard, un jour de printemps, boire un Perrier tranche, croisant Éliane Muzy, affairée à fleurir les tables pendant que son fils Charles dévalait les escaliers de marbre, courant à hue et à dia pour organiser le service du soir. Car le Vauban ne se contente pas d’être un hôtel. C’est aussi une brasserie où on épluche encore les patates pour en faire des frites et où au sous-sol, au cœur de la Redoute, on vient écouter de la musique. Toutes les musiques, dans tous les styles, toutes générations confondues. Bref. Selon la formule consacrée « Si tu viens à Brest et que t’es pas venu au Vauban, t’as rien vu de Brest ». Vous l’aurez compris, j’aime cet endroit autant que la faune hétéroclite qui le fréquente. Mais revenons à notre sujet, la retouche photo. Ma passion conjointe pour l’histoire, le Vauban et la photographie a fait que je collectionne des cartes postales sur le sujet…
• Exigez la mention photographie véritable
La carte postale d’époque, la vraie en noir et blanc, signée Cap (Compagnie des Arts Photomécaniques) ou Jos, le célèbre éditeur Le Doaré basé à Châteaulin, qui existe encore à ce jour. La carte postale de qualité, portant la mention « photographie véritable », est un merveilleux témoignage du passé. C’est sans doute pour cela qu’elle est activement collectionnée par des amateurs passionnés, les cartophiles. L’Hôtel Vauban fut construit à la fin des années 40 sur le boulevard Clémenceau. C’était un en dommage de guerre, l’hôtel du Cheval Blanc qui appartenait à la famille Muzy ayant été détruit sous les bombardements, comme d’ailleurs la quasi totalité de la ville de Brest. Charles Muzy senior, père de Tonio, grand-père de Charles (l’actuel patron des lieux) entreprit la construction de son nouvel hôtel à une époque où tout était rare. Charles Junior, son petit-fils, me racontait qu’au tout début de l’hôtel, des caisses en bois faisaient office de tables. L’hôtel Vauban fut construit, bon an mal an, mais finances serrées et pénurie des matériaux obligent, Tonio dut réduire la toile et se contenter de deux étages sur la partie gauche de l’hôtel. Un hôtel de cinq étages, sauf sur la partie gauche, amputée de trois étages, il fallait faire avec. Un détail qui, semble-t-il, n’a pas été du goût du photographe qui combla ce trou disgrâcieux de trois étages supplémentaires. On avait inventé le copier coller avant l’heure. Mais l’histoire ne s’arrête pas là.
Ajouter trois étages, c’est bien mais l’éditeur s’est vite aperçu, une fois le tirage réalisé, qu’il manquait le nom de l’hôtel sur la partie ajoutée. Sur l’édition suivante, on compléta donc l’image en insérant le mot VAUBAN sur la façade imaginaire. Le tour était joué. Quelques temps plus tard, un autre éditeur entreprit de publier, lui aussi, une carte postale de l’Hôtel Vauban, en faisant appel cette fois à un dessinateur. Celui-ci n’eut pas bien loin à chercher pour trouver son inspiration. Sa représentation de l’Hôtel Vauban est une copie conforme de la carte postale modifiée des éditions Jos Le Doaré et il est probable que le dessinateur n’a jamais mis les pieds à Brest et encore moins au Vauban. Il ne sait pas ce qu’il a raté.
• Une réalité parallèle
Ce qui est à la fois amusant et intéressant, c’est quand on réalise que la retouche photo a créé une réalité parallèle. La version idéalisée d’une certaine réalité – la façade modifiée – a été reprise et relayée, pour véhiculer ce qui n’est au fond qu’un pieu mensonge. J’imagine l’amusement de certains touristes, passant rue Branda et réalisant la supercherie. Au delà de cette petite entourloupe bien sympathique, dans les années 50, il me semble important de rappeler que la retouche ne doit pas être utilisée pour masquer une défaillance technique. J’avais écrit, il y a quelques années un billet sur le sujet. Derrière votre écran, personne ne vous entendra hurler. On ne peut pas, on ne doit pas compter sur un logiciel de post-production pour rattraper ses erreurs ou son absence de maîtrise technique. On ne le répètera jamais assez. Prenez du temps avant d’appuyer sur le déclencheur et surtout comprenez ce que vous faites. Une technique maîtrisée, c’est beaucoup de temps gagné. Et si vous venez à Brest, n’oubliez pas de passer nous voir. À l’Hôtel Vauban.