Voici le troisième et dernier volet du dossier consacré à la photographie instantanée, suivant le procédé mis au point par Polaroid. Après le test consacré au génial Lomo Instant et de la pellicule Fufi, puis au SX-70 avec la pellicule signée Impossible Project, voici le dernier chapitre dédié au mythique Polaroid 250 avec un film qui ne l’est pas moins, le film pack FP-3000B de Fujifilm.
Le souvenir que je garderai de l’Atlantique Jazz festival 2015 ? C’est ce moment d’après-concert, au Family de Landerneau, quand j’ai ouvert et déployé mon Polaroid 250, ma vieillerie, ma deLorean, ma machine à voyager dans le temps tout droit sortie des années soixante. Le même appareil que celui que Patti Smith utilisait pour immortaliser ses souvenirs de jeunesse ! Mon projet c’était de réaliser des séries de clichés pendant le festival de jazz, confronter l’argentique, le traditionnel avec ce que la technologie propose aujourd’hui de plus abouti en photographie numérique. Dans le même sac Polaroid 250 et Nikon D4s. Une confrontation ? Pas tout à fait. Je ne pense pas qu’on puisse opposer argentique et numérique puisque finalement le processus, quelqu’il soit, aboutit à la réalisation d’une image. Dans les deux cas, la photographie règne. J’étais donc là à attendre que Andrea Motis et le Juan Chamorro Quintet en aient fini de leur interminable signature d’autographes pour les faire poser devant mon objectif antédiluvien. En attendant, je me suis fait la main en réalisant un portrait de mon assistant de luxe en la personne de mon ami et compagnon de route Guy Chuiton, photographe à l’ancienne, grand amateur de Contax et de Leica réunis, même s’il ne rechigne pas à utiliser son EOS numérique. Et le premier résultat était déjà très encourageant…
Polaroid 250, retour dans les sixties.
• Fujifilm FP3000B. Quel putain de bon film !
Pour ce projet j’ai utilisé un Polaroid 250 avec du film pack 100, le désormais mythique Fujifilm FP-3000B, film noir et blanc exceptionnel à tout point de vue. Tellement exceptionnel que Fujifilm a décidé d’en cesser la production. Ce film, qui coûtait habituellement autour de 12 euro la boîte, se négocie désormais à des prix astronomiques, suivant l’adage que tout ce qui est rare est cher. Je voulais vivre l’expérience de ce film qui donne des résultats remarquables. Haute sensibilité (3000iso), développement ultra rapide (15 secondes à température ambiante) et une qualité de noirs, de blancs, de gris à tomber à la renverse. J’imagine que des raisons économiques ont poussé la marque Fuji à cesser la production. Les marchés de niche n’intéressent pas les multinationales, c’est bien connu ! Et pourtant, Dieu sait si ce film présente de très grandes qualités, capable de produire une image magnifiquement contrastée, durable et de manière instantanée. C’est la vie et c’est bien triste de voir disparaître un tel monument, car c’est ce que ce film représente à mes yeux. Un monument.
• Polaroid 250, la qualité premium
J’ai donc réalisé le portrait de mon ami Guy Chuiton, sous les yeux ébahis des gens présents dans le hall du Family. On avait, Guy et moi, la réputation de deux photographes un peu barrés, je pense que cette session à l’ancienne nous a définitivement classés au rayon des doux-dingues de la photographie. Polaroid 250 est un appareil photo instantané de très grande qualité. Commercialisé à la fin des sixties, dans les années 1967, il dispose de lentilles en verre, quand les autres modèles étaient équipés de lentilles en matière plastique ainsi que d’un viseur télémétrique Zeiss Ikon. Le Polaroid 250 est un appareil compact lorsqu’il est replié sur lui-même. Mais lorsqu’il se déploie, il ne passe pas vraiment inaperçu ! Son soufflet lui donne une dégaine absolument inimitable. Du côté des réglages, c’est un peu service minimum. On peut régler la sensibilité, qui se limite aujourd’hui aux deux seuls films existants commercialisés par Fujifilm : 3000iso pour le FP-3000B et 100iso pour le FP-100C (film couleur). Une bague sur l’objectif permet de régler la luminosité (darken / lighten). Il est possible d’adapter un flash s’il dispose d’un cable de synchro. Des bagues optionnelles, spécifiques au Polaroid 250, permettent aussi de réaliser du close-up ou du portrait. Bref, non content de produire de la belle image pour peu qu’on utilise le film adapté, en noir et blanc comme en couleur, Polaroid 250 est l’appareil polyvalent par excellence, quoiqu’un peu limité en matière de paramétrage. Pour maîtriser le diaph et la vitesse, il faut passer à la gamme pro, Polaroid 180 à 195. En revanche, leur valeur sur le marché de l’occasion est nettement plus élevée, comptez de 300 à 600€ pour ce type d’appareil professionnel.
• Une autre approche de l’image
J’ai photographié de nombreux artistes avec mon Polaroid 250 pendant ce festival 2015. Ce que je craignais, c’est qu’on me demande de garder la photo, ce qui m’aurait obligé à en faire au moins deux (voire plus) à chaque shooting et compte tenu du prix de la pellicule et de sa rareté, ça aurait été compliqué. Eh bien non. Les artistes ont été très respectueux et fascinés par ce Polaroid. Si je ne dois conserver qu’un souvenir de ces prises de vue, c’est que la fascination pour Polaroid fonctionne toujours aussi bien. Mise au point délicate, ici pas d’autofocus, on fait le point dans le télémètre Zeiss Ikon en actionnant les leviers de chaque côté du Polaroid 250 et puis on bloque sa respiration, à l’ancienne, presque d’instinct et on déclenche. Là commence le tour de magie. On tire sur la languette papier, délicatement pour ne pas la casser (sinon on est mal) mais assez fermement pour voir apparaître la languette d’extraction de la photo. On s’en saisit, on tire fermement et on extrait la photo, sous les yeux ébahis des gens qui vous entourent. On n’est plus seulement photographe, on est grand sorcier. Guy déclenche son chronomètre, on patiente, on flippe un peu et finalement on décide que trente cinq secondes ça doit être bien. C’est le moment du peel apart, l’épluchage où on sépare le positif du négatif. On découvre l’image, on la montre aux artistes qui font « Wouah ! » La photo passe de main en main, l’image existe, elle est tangible. On est à des années-lumière de l’image numérique. Andrea Motis m’explique que son pianiste (qui est non-voyant) veut « voir » l’appareil. Il se saisit du Polaroid 250, en lit les contours avec ses doigts et comprend. Il éclate de rire et son rire restera finalement un magnifique souvenir.
• L’instantané, c’est magique.
J’ai une préférence marquée pour Polaroid 250 et le film pack 100. Au moment où j’écris ces lignes, les stocks de Fujifilm FP-3000B fondent et disparaissent aussi durablement que neige au soleil. Il ne faut guère compter sur cette pellicule à l’avenir et on ignore pendant combien de temps encore Fujifilm maintiendra le film pack 100. Le jour où la marque japonaise décidera de cesser la fabrication de son film couleur, il en sera fini des Polaroid 250 et de tous les appareils utilisant ce type de pellicule et bien sûr c’est dommage. Car la photo instantanée inventée par Edwin Land, c’est de la pure magie. Fuji semble y croire puisque la marque produit le film Instax et Instax Wide pour sa propre gamme d’appareils, un format adopté par la gamme Lomography. À tout prendre, je préfère nettement la gamme Lomo Instant qui permet d’aller plus loin dans l’aspect créatif. Quant à Polaroid SX70 et le film Impossible Project, je suis nettement plus dubitatif. À l’occasion il faudra que je teste les films couleur de leur gamme. Il faut cependant reconnaître à Impossible Project le fait d’y avoir cru, de ne pas accepter de renoncer, d’abandonner, de lâcher l’affaire comme l’avait fait Polaroid au milieu des années 2000. Les plus fous caressent le rêve qu’un jour, peut-être, la firme Polaroid décidera de relancer une petite production de films instantanés… C’est peu probable mais on ne sait jamais. Un rêve d’enfant, ça n’a pas de prix.
Christian dit
Je me souviens du film Pack 105. Ce pack permettait d’obtenir des positifs papier noir et blanc ainsi que les vrais négatifs correspondants, donc au format 85 x 108 mm, que l’on récupérait directement sans avoir rien d’autre à faire que de jeter le papier de protection au dos.
Au final, on avait donc une épreuve Polaroid nb classique et un superbe négatif, qu’il était vivement conseillé de fixer comme n’importe quel négatif argentique noir et blanc si on voulait l’archiver. On pouvait en réaliser autant de tirages qu’on avait envie, le problème étant d’avoir à disposition un agrandisseur ad hoc (format et optique). Outre le fait de parvenir à n’importe quelle taille d’agrandissement, ce négatif produisait une qualité d’image supérieure.
L’emballage contenait, en plus du pack lui-même, une espèce de tampon, de la même largeur que la photo et d’environ 10 mm de diamètre, inséré dans un profilé en plastique ouvert sur le tiers du diamètre sur toute la longueur. Ce tampon était une espèce de mousse imbibée d’un liquide : c’était un « vernis » qui servait à protéger la surface de la photo. En tenant le tampon par le profilé, on appliquait le « vernis » sur la photo en le faisant glisser une fois ou deux sur la surface. Le tampon était suffisamment imbibé pour traiter toutes les photos du pack.
Le tampon sur son profilé était livré dans un tube en plastique avec bouchon – et heureusement car c’était quand même bien poisseux –, qui en assurait la livraison à sec et la conservation entre chaque prise de vue.
harvey dit
C’est marrant Christian que vous parliez de ça… J’ai acheté une vieille malette Polaroid il y a quelques années et dans une trappe j’avais trouvé un tube en plastique contenant ce fameux tampon qui était naturellement tout sec, depuis le temps…