S’enflammer plutôt que se consumer. Je vois le vieux cow-boy, son Stetson vissé sur le crâne, repartir back home, fier du bon boulot accompli. Je le vois de dos, il lève la main gauche, comme un au revoir au public du Festival des Vieilles Charrues. Une petite voix intérieure, celle qui donne l’ordre à mon œil de cadrer et à mon index de déclencher, me dit que c’est maintenant. Dans le viseur de mon Nikon D3s, par la grâce d’un Nikkor 300mm doublé, je fixe ce moment pour l’éternité. One shot, mon Dieu, faites qu’elle soit bonne. À mes côtés, il y a Renée, qui m’a fait une place à ses côtés, sur la plateforme H. Elle me regarde, elle se marre et me dit, scrutant mon regard de photographe repu : « Celle-là, Hervé, je la veux bien pour Noël ! » Quel concert, mes aïeux ! Quel putain de concert ! Quel merveilleux moment. Disons-le sans ambages, ce concert de Neil Young and the Crazy Horse est simplement le meilleur concert que j’ai vu en dix ans de Vieilles Charrues et sans doute l’un de mes meilleurs concerts de tous les temps. Flashback. Samedi 20 juillet 2013. 21:20. Réunion des photographes accrédités. On n’est pas nombreux, répartis en petits groupes de cinq côté jardin et côté cour. Je sais déjà que la chance de ramener du bon matos est faible, alors j’y vais la fleur au fusil.
Me voilà dans la fosse. Neil, lui, descend de son tour bus. Le loner n’a rien demandé, sur le rider du cowboy, pas de petits fours, pas de champagne millésimé, rien. Il est à l’aise le vieux, le p’tit gars de la campagne qu’il est resté, celui qui a créé le Farm aid pour donner un coup de main financier aux fermiers en difficulté, à ceux à qui on donne d’une main et à qui on reprend de l’autre, tout cela fait qu’ici, en centre Bretagne, dans une région agricole, il est chez lui le Neil. Sur les écrans géants, juste avant le concert, sur une bande son de Neil Young apparaissent des photos de Jean-Philippe QUIGNON. Les souvenirs ressurgissent et brouillent ma mémoire, de l’émotion et quelques larmes qui s’invitent dans les yeux. Jean-Philippe, comment ne pas penser à toi, au moment où Neil Young foule la scène Glenmor ? Je me l’étais promis, mon premier déclenchement sur ce concert serait pour toi. Dans la fosse, où le temps ne passe pas comme dans la vie réelle, les clichés s’engrangent. Sur scène, les lascars du Crazy Horse envoient le gros son lourd et je me souviens de la tarte dans la gueule, quand en 1977 j’avais écouté pour la première fois American stars ‘n bars. J’imagine que les vieux babas cools, qui espéraient la soirée pépère old style autour du feu à chanter les tubes de Harvest en faisant griller des chamalows et en fumant des pétards, vont être singulièrement déçus. Neil Young et ses potes envoient du lourd, du gros son épais façon sudiste, moite et suintant. Les trois compères nous la jouent à l’ancienne, en trio, presque collés les uns aux autres, avec un soupçon de lyrisme débridé. On n’est plus à Kerampuilh, non, on est quelque part dans l’arrière cour d’une ferme et nos potes nous font un set rien que pour nous, au bout de deux ou trois titres les chevaux sauvages sont lâchés. Putain Jean-Phi ! Tu entends ce son ? Tu en as tellement rêvé, écoute-moi ce son à décorner les bœufs, dans la nuit étoilée les cowboys ne jouent que pour toi. L’orage menace, quelques gouttes viennent rafraîchir l’ambiance, le vieux Neil ahanne comme un bûcheron sur sa Gibson et semble aussi heureux que nous tous. Il nous a même servi un Blowing in the wind absolument flamboyant, comme un signe à Dylan, vu ici-même l’an passé.
Après quasiment deux heures et demi de concert, Neil Young s’apprête à tirer sa révérence. Il nous dit qu’il va encore nous en faire une petite et balance les premiers accords de Hey, hey, my, my. Des accords rageurs, arrachés sur la guitare dont quasiment toutes les cordes cèdent, sous les coups de butoirs du loner. C’est dans ces moments-là qu’on pense aux gens qu’on aime, que l’émotion monte, que le voile de larmes embrouille la vue. Ne pas se laisser envahir par la mélancolie, mais plutôt s’enflammer, se laisser emporter par le tourbillon des mots de Neil Young, probablement l’un des meilleurs songwriters que la pop music ait jamais enfanté. Je pense à Pauline, ma fille, qui évoquait si joliment la prophétie du vieux Neil. Il y a plus dans l’image que ce que l’œil peut y voir. Alors je savoure l’instant, je regarde ces milliers de bras tendus vers le ciel. Comme une offrande. Un grand merci à toi. En quittant Glenmor, je t’ai aperçu et tu m’as souri, comme tu le fais chaque année, depuis dix ans, comme chaque fois où nous te croisions, Hélène et moi, comme à chaque fois où tu nous demandais si ça nous avait plu, en remontant vers Kerouac. Plutôt s’enflammer que de rouiller. On s’est donné rendez-vous l’année prochaine, même endroit, même moment. Pour s’enflammer, encore et encore. My, my, hey, hey. Rock’n roll is here to stay.
• photo : Neil Young quittant la scène Glenmor, Vieilles Charrues 2013. Ce cliché est dédié à Jean-Philippe QUIGNON qui l’a tant mérité.
• merci à Nikon France pour leur soutien et le support apporté aux photographes officiels des Vieilles Charrues
Jean-Yves LESEC dit
J’y étais .
Mêmes impressions .
Jusqu’à la réaction de mes amis quinqua et presque sexa, qui malgré mes conseils de réviser leur Neil YOUNG , ont été un peu déçus de ne pas entendre Harvest ou The Needle ou Out on the week-end .
Mais moi qui ai toujours suivi la carrière du loner je n’ai pas été déçu .
J’ai au contraire adoré …