Ça pourrait presque faire rire cette histoire. Seulement voilà. Il y a des symboles auxquels on ne touche pas dans ce pays, comme ailleurs. Petit rappel des faits. Pour réaliser la publicité pour le jardin d’enfants d’un festival de musique renommé, un journal local fait appel à un graphiste. Un graphiste, franchement ? Ça court les rues, il y a tant de jeunes gens pleins de talent qui ne demandent qu’à bosser gratuitement, on ne va quand même pas se payer un graphiste pro puisqu’on peut en avoir un à l’œil qui va bosser pour nous, comme ça plus tard il pourra écrire sur son CV qu’il a travaillé pour nous, non mais sans blague ! Aussitôt dit, voilà notre jeune graphiste, issu d’un centre de formation dans la place. Petit bémol, il est étranger et ne maîtrise pas trop la langue de Molière, mais on s’en fout hein ? Puisqu’on vous dit qu’il est graphiste et qu’il bosse à l’œil. Fin du premier acte. Notre graphiste en herbe doit faire une pub pour un enfant, que fait-il ? Naturellement il va sur internet, tape « enfant » dans Google images, trouve la photo d’un gamin adorable, ni une ni deux il copie la photo, la bidouille sans doute un peu dans Photoshop et en avant Guingamp ! En deux temps, trois mouvements l’annonce est prête, avec la photo du petit garçon en arrière-plan, légèrement floutée. Le rédac chef ne voit rien et se dit que, décidément, c’est quand même bien pratique les centres de formation des jeunes qu’on paye pas et il bénit Google images. Le journal est publié. Fin de l’acte 2.
Seulement voilà. La photo de l’enfant n’est autre que celle du petit Grégory Villemin. L’affaire Grégory, l’une des plus épouvantables affaires judiciaires qui se soit déroulée en France, en 1984. Grégory, l’image même de l’enfant-martyr, utilisé pour illustrer une publicité pour des jardins d’enfants. Quelle effroyable méprise, quelle stupidité sans nom, quelle indécence absolue ! Alors bien sûr, les gens se sont indignés, ils ont baissé la tête et se sont regardés, gênés, interloqués. Quant à moi, cette lamentable et pitoyable histoire m’inspire deux réflexions. La première, c’est qu’à force d’utiliser des graphistes à l’œil, issus de centres de formation, en lieu et place de graphistes professionnels qui connaissent et maîtrisent parfaitement leur métier, on arrive à produire des situations dramatiques de ce calibre. La seconde, qui me touche évidemment de très près, c’est que la technique qui consiste pour un journal à chercher du matériel photo gratuit via Google images est désormais largement répandue. Seul hic, c’est que les droits d’utilisation et de diffusion des photos de Google images sont détenus par leurs auteurs respectifs et ne peuvent donc être utilisés librement. En l’occurrence la photo du petit Grégory est estampillée AFP, même s’il s’agit sans aucun doute d’une photo de famille.
Il y avait tant d’autres solutions, pour trouver une jolie photo d’enfant. Il existe des stocks d’images, accessibles par internet ou des photographes professionnels qui sont capables de fournir des clichés de qualité, dont les droits sont garantis. Ces images sont payantes, certes, mais elles assurent aux médias qui les utilisent d’être dans une parfaite légalité. L’autre solution, c’est d’engager un stagiaire qu’on ne paye pas, qui bosse gratuitement, corvéable à merci, qui ferme sa gueule sinon c’est la porte et qui pompe allègrement le travail d’un tiers sans lui demander son avis. Le résultat aujourd’hui est là, sous nos yeux. Je suis scandalisé et pour moi, photographe, comme pour mes amis graphistes, cette effroyable méprise, c’est un peu comme la double peine. Permettez-moi, pour conclure, d’avoir une pensée pour Christine Villemin, dont la douleur est encore une fois ravivée, par la faute imbécile d’un média peu regardant, un de plus. Pardonnez leur Madame. Ils ne savaient pas.
Didier dit
Je me suis fait exactement la même réflexion en lisant cette actu. Comme souvent dans le monde de la musique le graphisme et la photographie sont considérés comme des choses gratuites…
Thomas dit
!!! Effrayant !!!
Erminig Gwenn dit
A noter que Google Image a aussi un bon côté : il permet de retrouver une image non pas à partir de mot clef, mais a partir du fichier d’origine, même quand celui ci a été largement modifié et intégré dans un autre fichier, voire une vidéo. Très pratique pour retrouver des contrefaçons et faire passer à la caisse les délinquants…