Acte 1. Où un photographe se fait traiter d’ordure par tout ce que les réseaux sociaux comptent de haters, de justiciers masqués, de ménagères de moins de cinquante ans bien intentionnées. Franchement, on dirait un sketch, cette histoire. Un sketch de Coluche mais pas drôle. Allez, je vous fais le pitch. Il y a longtemps, je vous parle d’une époque que les moins de vingt ans etc… une époque où on payait encore en francs, où on devait avoir quatre ou cinq chaînes de télé, guère plus. On était au début des années quatre vingt, il y avait ce comique avec sa salopette, son t-shirt jaune et son nez rouge, celui qui avait voulu se présenter aux présidentielles et que finalement il l’avait pas fait parce qu’il voulait pas être emmerdé. Coluche, notre déconneur national, allait avoir cette idée saugrenue de donner à bouffer à ceux qui crevaient la dalle, dans ce joli pays de France. Une belle idée, généreuse, humaniste qui allait donner naissance aux Restos du Cœur. Voilà pour le décor. Un jour de 1985, Coluche va croiser la route d’un photographe, Gaston Bergeret. Gaston ferait bien une petite photo de ce garçon bien sympathique. « Le temps qu’on se croise, que je lui demande les faveurs d’un portrait, et bien ça m’a pris dix secondes. Je crois que c’est le portrait le plus rapide que j’ai fait de toute mon existence. » confessait Gaston dans un reportage en 2011. Clic clac, c’est dans la boîte. Le portrait est très chouette, Gaston a réussi a capter l’essence même du personnage, sa bonté, son humanité, sa jovialité. Ce cliché est un excellent cliché, comme un petit miracle, un instant de grâce. C’est tout naturellement que Coluche sollicite le photographe pour l’utilisation de sa photo dans le cadre de la communication des restos. Gaston donne son accord, il y a entre les deux hommes une parole donnée. Seulement voilà. Un an plus tard, en 1986, Coluche va croiser la route d’un camion. Il casse sa pipe et devient une icône. La crise, elle, ne se calme pour autant et les restos du cœur sont plus que jamais d’actualité. Pour financer la machine, il faut de l’argent, beaucoup d’argent. Les enfoirés sollicitent le public qui répond présent. L’idée devient un business, un gros business : marketing, produits dérivés, t-shirts, goodies, tickets-restaurant, DVD, … Sans compter les droits télévisuels, l’image de Gaston est partout, mise à toutes les sauces. Tout est prêt pour l’acte 2.
Acte 2. Où le photographe se fâche, s’explique et où on le comprend. Que dit Gaston Bergeret ? Qu’il en a marre de se faire gruger, rien de plus. Qu’il constate, tout simplement, que dans cette histoire où se brassent des sommes de pognon considérables (il rappelle à juste titre qu’un spot de pub de trente secondes diffusé pendant la diffusion des Enfoirés sur TF1 coûte 130 000€) lui, le photographe ne touche pas un kopek. Est-ce moral ? Sûrement pas. Finalement, le nœud de toute cette histoire, c’est qu’un photographe a donné un accord initial d’utilisation d’un de ses clichés à une association et que les choses ont pris une ampleur, une dérive qu’il était loin d’imaginer, en 1985. Entre l’utilisation de son cliché pour une affiche et sa dénaturation pour faire du profit, il y a un fossé qui a été franchi au fil des ans. Sans compter l’absence de crédit photo, mais ça, c’est presque accessoire. D’ailleurs, de vous à moi, qui savait que ce cliché cultissime était signé Gaston Bergeret ? Ce que demande le photographe, c’est ni plus ni moins que le respect de l’accord initial. « Je continue à autoriser gratuitement l’association des Restos du Cœur à utiliser ma photographie sans modification et créditée sur les lieux de distribution des repas : c’était mon engagement initial et je m’y tiens. » Ça a le mérite d’être clair, il me semble.
Épilogue. En tant que photographe, je ne peux évidemment que soutenir Gaston Bergeret. J’espère que la justice reconnaîtra son droit d’auteur inaliénable, sa qualité de photographe et qu’il sera indemnisé à la juste valeur de son cliché. Parce que, au risque de me répéter, ce portrait de Coluche est un excellent cliché. Je me sens solidaire du photographe, parce que, moi aussi, il m’est arrivé de me faire enfler, plutôt deux fois qu’une, donnant gratuitement un cliché pour faire « un simple flyer » et de voir ensuite le cliché en question utilisé à toutes les sauces. Et puis hein ? Tout ce foin pour une photo, non mais franchement. Les commentaires et ce que Pierre Desproges appelait la haine ordinaire n’ont pas manqué de déferler sur les réseaux sociaux, véritable café du commerce à l’échelle d’internet. Outre les noms d’oiseaux dont le photographe a fait l’objet, j’ai lu quelques commentaires pas piqués des vers sur Facebook, dont ce définitif : « Tout ça pour une photo qu’il a mis quelques secondes à faire ! » Ça me rappelle l’anecdote de Renoir (le peintre) qui, excédé par l’insistance d’une rombière fortunée à posséder une œuvre signée Renoir, avait accepté de lui peindre une toile. Il avait fait venir la dame dans son atelier, posé une toile blanche sur son chevalet, saisi ses pinceaux. En un quart d’heure, montre en main, Renoir avait terminé la toile. Il la signa et annonça un prix, exorbitant, à sa cliente. Celle-ci, offusquée par le prix demandé avait dit : « C’est beaucoup d’argent, Maître, pour un quart d’heure de travail ! » Et Renoir répondit : « Ce n’est pas un quart d’heure de travail, Madame. C’est toute ma vie. »
• crédit photo : Coluche par Gaston BERGERET (1985)
buonomo dit
Merci pour cet article: un minimum vital !
Gaston est un homme généreux.
Vitale est sa requête pour le respect de l’artiste quel qu’il soit.
Qu’on se le dise!!
Arnaud dit
Faut il donc donner des photos ou faut il systématiquement refuser ?
Grande question, surtout quand le photographe apparaît toujours comme un gratteur de première, là où l’on ne demande jamais de service à un ingé son ou lumières.
Concernant le cas présent, la présentation hier par les médias semblaient tout orienter pour faire passer ce brave Gaston comme le dernier des enfoirés (sans jeu de mots). Son recadrage aujourd’hui permet de mieux comprendre les tenants et les aboutissants.
Olivier dit
Bonjour,
En tant que photographe (depuis 30 ans) je trouve le comportement de Gaston Bergeret tout à fait lamentable.
Acte 1 : il donne un accord oral (qui soit dit en passant n’a aucune valeur juridique, donc il ne donne rien) dont on ne saura jamais la teneur, puisque ce sera toujours sa parole contre celle d’un mort.
Acte 2 : quelques années plus tard (il y a une vingtaine d’années !!) la photo est utilisée par des tiers. Au lieu d’aller les voir à ce moment là, il laisse faire durant tout ce temps. C’est une forme de consentement tacite.
Acte 3 : Il se réveille un jour, et découvre à la fois son pouvoir de nuisance et le pactole possible et décide, 20 ans après, de faire valoir ses droits.
Oui des tiers l’utilisent mais toujours en partie au bénéfice des restos. Cette photo fait intégralement partie de l’image des restos et de tout ce qu’il y a autour. Décider 30 ans après que ça suffit est un foutage de gueule sans nom. Il fallait dès l’apparition de la photo sur le 1er DVD des « Enfoirés » entamer une procédure. Aujourd’hui, ça n’a aucun sens sauf à vouloir s’enrichir sur le dos des français les plus démunis.
Alors non, je ne peux être d’accord avec ça. Demander à être cité sur les utilisations hors restos, totalement OK. Négocier, en background, l’utilisation de l’image en contre partie de contrats sur les concerts et autres, je suis ok aussi et même pour et ça aurait été une bonne manière de rentabiliser et de se faire connaitre en tant qu’auteur du cliché. Mais là, foutre en l’air 30 ans de com et d’image d’une asso dont tellement de gens dépendent, c’est lamentable.
Et le pire de tout, c’est qu’il jette l’opprobre sur toute une profession aux yeux du public et qu’il élargit le gouffre d’incompréhension des français sur le droit d’auteur. Au final, c’est totalement contre productif !
harvey dit
@Olivier On ne peut être que d’accord avec le fait que Gaston Bergeret a attendu longtemps avant de revendiquer son droit d’auteur. C’est d’ailleurs sans doute le point qui risque de jouer en sa défaveur, devant les tribunaux.
En revanche, on peut pas nier le droit d’auteur, par définition inaliénable. D’ailleurs c’est un principe fondamental qui pourrait bien être remis en cause, si l’on n’y prend garde.
Paul dit
Oui pour le droit inaliénable, mais ….
la photo de Coluche ne se trouve pas sur tout les DVD, elle n’est pas diffusée en permanence pendant 1h30 sur TF1 (c’est le spectacle, pas la photo)…
En fait c’est juste l’histoire d’un homme qui veut sa part du gâteau.
Il y a quelques années j’ai été bénévole des resto. J’ai passé un peu de temps pour la collecte, la distribution. Juste un peu de temps, pour une cause, une bonne action.
et l’attitude de ce photographe me fait vomir….
Oui il a son droit moral, mais il méprise tout le travail des bénévoles, la cause qu’il a voulu aider à un moment donné. Goldman n’a jamais réclamé (a ma connaissance) les droits d’auteur pour sa chanson des enfoirés, il a servi plutôt que se servir.
Désolé pas je n’ai pas de respect pour cet artiste
Patrice dit
Il faut quand même écouter ce que l’artiste a a dire … d’après ses dires, c’est parce que la photo a été dégradé qu’il s’est enfin décidé a intervenir …
Il dit :
« Le dernier spectacle des Enfoirés, diffusé sur TF1 le 15 mars 2013, où la photographie que j’ai réalisée est affublée d’une moustache, sans aucun lien avec l’activité des Restos du coeur, mais pour l’intégrer dans une collection de tee-shirts édités par une société commerciale, Eleven Paris, m’a convaincu que je devais agir pour arrêter ces dérives. »
Source : http://www.7sur7.be/7s7/fr/1505/Monde/article/detail/1663248/2013/07/04/Photo-de-Coluche-bannie-le-photographe-s-explique.dhtml
Et si tous les média semblent se « mutiner » contre lui c’est parce qu’ils ont tous a un moment donné ou a un autre utilisé sa photo …