La scène se passe il y a quelques années, dans le pit des Vieilles Charrues, avant un set. Je demande innocemment à cette jeune photographe dans quel mode elle travaille, elle me répond goguenarde : « En mode M tiens ! » Avant d’ajouter immédiatement, dans un éclat de rire : « Si je ramène des clichés à la maison autrement qu’en mode M, c’est l’engueulade assuré avec mon chef ! » Petite précision utile, non content d’être son chef, c’était aussi son père, un photographe professionnel. Deux excellentes raisons, donc, de ne pas contrarier le taulier. En écrivant ce billet, ce matin, j’ai bien conscience que je ne vais pas améliorer mon score auprès d’une frange de mon lectorat. Mais qu’importe, je n’écris pas pour les obtus, encore moins pour les indécrottables, mais pour ceux qui veulent avancer et surtout comprendre. Posez-moi les bonnes questions, je vous donnerai les bonnes réponses ! Demandez-moi pourquoi je travaille en mode manuel et quasi exclusivement dans ce mode. Vous avez noté le mot « quasi », ce qui signifie que si je bosse en mode M la plupart du temps, il peut m’arriver d’utiliser d’autres modes. Comme le disait mon ami Géronimi (un autre adepte de la lettre M), la seule règle en photographie c’est qu’il n’y a pas de règles. Rien n’est imposé et surtout rien n’est figé, d’autant que les appareils photo numériques apportent aujourd’hui une grande souplesse de travail. Vous rendez-vous compte du pas franchi en matière de technologie ? Allez, je sens que ça vous tente, petit retour en arrière.
Back to seventies. À l’époque les deux marques, rendez-vous compte, rouge et jaune, sont déjà là. Les reflex sont déjà très évolués, ils sont équipés d’une cellule qui mesure l’exposition TTL, through the lens, alors qu’avant, il fallait analyser la lumière avec un posemètre et les erreurs dramatiques que ça pouvait entraîner. Parce que la lumière, ça voyage vite, c’est très changeant, ça peut évoluer de manière radicale d’un point A à un point B. Alors une cellule capable de mesurer l’exposition d’un lieu éloigné, rien que ça c’était un immense pas en avant. En revanche, pour la mise au point, il fallait faire confiance à son œil et pour le reste c’était à la main. En clair, si on n’avait pas pigé l’adéquation entre l’ouverture du diaphragme et la vitesse à laquelle le rideau s’ouvre et se ferme pour exposer la pellicule, on était aux fraises ! La pellicule, quant à elle en ces temps reculés, affichait sa sensibilité à la lumière en ASA (American Standards Association), avant d’être remplacé à la fin des années 80 par la norme ISO. Bref, ASA ou ISO, c’était pareil. Quand on avait choisi de commencer à une certaine valeur, on était condamné à finir. Cela dit, avec des pellicules standards de 36 poses, on arrivait rapidement au bout. C’était comme ça avant, mais ça, c’était le avant. T’avais pas franchement le choix, ou tu comprenais comment ce bouzin fonctionnait et tu sortais du matos potable ou tu étais à côté de tes pompes. Comprenons-nous bien, je n’ai aucune nostalgie de cette époque. Je suis le premier à trouver pratique le mode autofocus (quand il fonctionne) et à savourer le fait de pouvoir commencer un travail à 100iso et de pouvoir faire évoluer la sensibilité selon le besoin. En revanche, le truc sur lequel je ne transige pas, vieille réminiscence de mon passé, c’est le mode manuel. Caprice de diva ?
Non. Pour moi, je l’ai dit et répété, quand j’ai mon Nikon D4 entre les mains, le capitaine, celui qui dit où on va et comment on y va, c’est moi. Ici pas question de ghost in the shell. Si mon viseur indique que je suis sous-ex et que je déclenche, c’est mon problème. Si je décide de bosser à f7 plutôt qu’à f2 c’est parce que je l’ai décidé en conscience. Je ne supporte pas l’idée de travailler autrement, mais encore une fois, chacun voit midi à sa porte. Je me souviens d’avoir croisé un photographe de renom qui avait, à l’époque, acheté un reflex Nikon haut de gamme et quelques optiques sublimes (toute la collection f1,4 excusez du peu). Alors que je lui demandais innocemment dans quel mode il travaillait, il avait lâché, brut de décoffrage : « en mode programme. Maintenant les appareils sont assez évolués pour se démerder à produire une image correcte alors je vois pas pourquoi je continuerais de m’emmerder avec tous ces réglages ! » Et pourtant ce gars venait de l’argentique, mais il avait fait son choix et je ne lui jette pas la pierre. Encore une fois il n’y a pas de règle et l’aristocratie du mode M est une foutaise, ça n’existe pas. On n’a pas à se sentir meilleur parce qu’on utilise le mode manuel, de la même manière qu’on n’a pas à se sentir inférieur ou à développer un complexe d’infériorité parce qu’on utilise un mode semi-automatique. Récemment un photographe m’a demandé si j’utilisais le mode iso automatique. J’ai d’abord cru à une blague ou une ironie de second degré, mais non, la question était sérieuse. Mon interlocuteur ne comprenait pas comment il est possible de réaliser un cliché en mode manuel dans des conditions de lumière changeante comme le concert. En fait je pourrais volontiers retourner la question, tant pour moi (j’insiste sur le moi), il n’est pas possible de réaliser un bon cliché en concert en étant en priorité ouverture (ou vitesse). Est-ce pour autant que je conseillerais à un photographe débutant d’utiliser le mode M ? Sûrement pas.
Vous êtes débutant photographe et vous voulez un conseil ? Pas de complexe, utilisez le mode programme et la sensibilité automatique. Tous les reflex numériques d’aujourd’hui savent faire ça. En revanche, appliquez-vous au cadrage, prenez votre temps. Comme le disait François Truffaut dans « La nuit américaine » attachez-vous d’abord à rendre beau ce qui apparait à l’écran. N’hésitez pas à essayer, à tester des cadrages audacieux, à exercer votre regard, votre esthétisme, et surtout n’ayez pas peur des autres. Personne n’ira mettre le nez dans vos données EXIFS pour savoir dans quel mode ou avec quels réglages vous avez shooté. Le seul truc important, au risque de me répéter, c’est que l’image soit jolie et qu’elle vous plaise, à vous. Le reste suivra naturellement. Un jour ou l’autre vous ferez la gueule en regardant un cliché, vous vous direz que vous auriez bien aimé, tout compte fait, que le sujet d’arrière-plan soit aussi net que celui du premier plan, vous réaliserez que le mode priorité ouverture à f2 n’était, finalement, pas une si bonne idée. Vous essayerez de tout débrayer, de passer en roue libre. Libre. Le mot est lâché. Le mode M c’est exactement ça, un sentiment de liberté. Et quand vous y aurez goûté, à cette liberté, je veux bien parier que vous ne pourrez plus jamais vous en passer.
• photo : Mathieu Chédid aka -M- au concert des bénévoles des Vieilles Charrues en novembre 2010. Nikon D3s, 1600iso, f2,8 1/125e, 200mm, mode manuel. Crédit photo : Hervé « harvey » LE GALL photographe.
• cet article est dédié à une jeune photographe qui depuis est devenue une grande. Et à son père, qui lui a tant appris.
Arnaud dit
Grande question que le choix du mode en concert.
Si j’ai commencé au départ en mode M, aujourd’hui je suis quasiment qu’en mode ISO automatique avec mesure matricielle et correction de l’exposition selon mon feeling (généralement -0.7 EV dès que la focal est un peu longue mais je corrige continuellement cette donnée selon le concert).
Pour moi, c’est le mode parfait en reportage :
1 : on fixe soit même son ouverture selon ce que l’on veut flou et net
2 : on fixe soit même sa vitesse en rapport avec sa focale (on va éviter le flou de bougé) et son envie de rendu (flou de l’artiste ou non)
Ce point 1 et 2 n’est il pas d’ailleurs le mode manuel quelque part ?
3 : on laisse l’appareil se démerder avec les ISO car vraiment c’est pas un paramètre essentiel pour le rendu de la photo, sauf à mettre son appareil dans les choux et avoir trop de bruits (et encore est ce une mauvaise photo ?)
4 : et pendant ce temps ben on peut penser à son cadrage, on peut laisser la musique nous envahir et ressentir les vibrations.
Et sincèrement, ainsi, j’ai un taux de déchets dû à une mauvaise exposition tellement faible !! à quoi bon faire le cacou et passer en tout manuel tout le temps ? je suis convaincu que je louperais de bonnes photos.
Si je repasse en mode manuel, c’est vraiment quand la lumière ne fait que changer et surtout avec des spots arrières qui foirent radicalement ma mesure automatique. là je dis pas, j’ai moins de déchet en manuel.
Je peux comprendre que ces choix ne soient pas ceux des autres..mais c’est pas grave, j’assume !
Tout comme je suis en mesure matricielle, j’ai de très mauvais résultat en mesure spot donc j’ai vite abandonné et je pense à la photo dans son ensemble, ce que me permet ce mode matriciel !
Comme tu le dis très bien, que chacun fasse son chemin, tant que l’on est content du résultat.
Pour moi c’est un débat plein de prétentieux qui aiment à se croire supérieurs.
Geronimi dit
Comme dirait l’autre : Le Mode « A » comme « Amateur ! Le mode ‘P » comme professionnel ! Et le mode « M » comme… maitre ! 😉
Erminig Gwenn dit
Très bon article et explications, et j’en profite pour compléter et préciser mes tweets.
Avec mon 6D, j’ai deux molettes. En mode M, je règle l’ouverture avec l’une et la vitesse d’obturation avec l’autre. Seulement le boitier se souvient des réglages précédents, et si la lumière a subitement changé, il faut que je rame avec ma molette pour faire revenir les réglages de la sur ex ou sous ex où ils se trouvent. C’est ça que je voulais dire par « ca prend du temps ».
En mode Av et en mode Tv, je décide de mon ouverture et de ma vitesse, et l’appareil me propose l’autre réglage pour faire une photo qu’il trouve à son gout correctement exposé.
Mais j’ai toujours mes deux molettes : avec l’une je règle la vitesse (ou l’ouverture), et avec l’autre je peux me décaller de l’exposition « correcte » qu’il propose. Je reste donc aussi le maître à bord, je décide de la profondeur de champs / du temps d’exposition que je souhaite, et modifie l’autre paramètre si je veux moins exposer / plus exposer que ce qu’il me propose.
Et je jette un coup d’oeil ensuite sur le résultat et sur l’histo pour vérifier que j’ai bien fait de m’écarter de son « exposition type ».
Donc dans la mesure où je peux me servir des deux molettes pour ces deux réglages différents, je ne vois plus bien la différence avec le mode M, a part qu’il me met d’office dans un rapport équilibré plutot que de risquer de m’envoyer dans qq chose de très sur ex ou de très sous ex.
Mais bon du coup ca dépend peut-être des boîtiers : mon précédent ne me permettait pas facilement de m’écarter de l’expo correcte en mode TV et AV, auquel cas je comprends que le mode M donne plus de liberté. Et il en donne d’autant plus s’il permet de régler séparément et facilement les iso, ce qui n’est pas le cas ajdh sur mon botiier, je doit rentrer dans le menu pour ça.
Donc le débat M contre modes semi auto est peut-être assez profondément modifié ajdh par els différence de facilité de réglages entre les boitiers ajdh.