Non, mais franchement. Rendez-vous compte. On est en 2012 et un groupuscule résiste encore et toujours à l’envahisseur, en persistant à faire de la photo argentique. Oui, des photos avec des pellicules, réalisées avec des vieilleries, des boîtiers vintage, old style, dont la plupart ne fonctionnent qu’en mode manuel, oui vous avez bien lu, en mode manuel, sans aucune fonction électronique embarquée. Adieu veau, vache, autofocus et modes d’exposition. Eux, c’est vieux Rolleiflex vintage et produits chimiques qui puent, les mains dans la gadoue et cette petite lueur inquiétante dans le regard. Non, faire de la photo argentique de nos jours, avouez-le il faut être un peu barré, non ? Alors si vous aussi, vous avez décidé de vous y mettre, voici quelques bonnes raisons de renoncer et de ne pas y aller…
D’abord, la photo argentique, ça coûte cher. Ici, on ne parle plus de loger une carte numérique sur laquelle on pourra stocker à loisirs des milliers de photos qu’on stockera ensuite sur un ordinateur pour les oublier au fil du temps, carte que l’on pourra effacer à volonté, que nenni. Ici, on va chez le marchand, on achète une pellicule photo-sensible stockée dans une bobine qu’on loge dans un appareil photo souvent fabriqué au siècle dernier. En plus de présenter l’inconvénient majeur de ne pouvoir réaliser qu’un nombre maximum de vues (en général trente-six vues pas plus, oui vous avez bien lu, trente six), il n’est souvent pas aisé de loger ladite pellicule dans le boîtier. Et attention, ça ne rigole pas, si vous ouvrez la trappe du boîtier par mégarde ou que la pellicule prend la lumière, c’est sayonara, foutu de chez foutu, pellicule voilée c’est mort. Une fois la prise de vue terminée, il faut enrouler la pellicule dans son boîtier en n’oubliant pas de débrayer et l’envoyer à développer. Vous avez payé pour acheter la pellicule, vous allez devoir payer pour la faire développer et accessoirement vous allez aussi devoir attendre. Non seulement vous ne verrez pas le résultat à chaque prise de vue, mais en plus une fois la pellicule terminée il vous faudra patienter le temps du développement. Non mais c’est clair, on marche sur la tête hein ?
Pour le développement de la pellicule, deux options. Soit c’est un laboratoire qui développe pour vous, soit vous pratiquez le D.I.Y. (do it yourself) et vous le faites vous-même. Première option, trouver un bon labo. Seconde option le faire vous-même. Bon, dans les deux cas, ça va vous coûter des sous. D’abord pour acheter le matériel : cuve de développement, les produits de développements qui puent et qui polluent. C’est vrai. Qui polluent surtout. Le révélateur, celui qui dévoile les cristaux d’argent, c’est pas vraiment l’ami de nos rivières et c’est sacrément polluant. Et ça pue aussi, même si c’est un argument très accessoire. En plus, l’opération de mise en cuve du film c’est pas franchement une sinécure. Apprendre à enrouler un film sur une spire, dans l’obscurité totale, c’est un coup de main à prendre. À vous la joie de la pellicule coincée dans la spire et qui n’avance plus et que vous n’y voyez que goutte, d’ailleurs pour mémoire si vous y voyez goutte c’est que le film est foutu (ah ah). Je vous avais prévenu, le film c’est un truc de malade ! Bon, vous avez finalement tant bien que mal réussi à enfiler cette satanée pellicule sur la spire (tiens, au passage veillez à ce que la spire soit bien sèche), vous avez refermé la boîte (bien refermé hein ? Sinon, un zeste de lumière et hop ! Same player shoot again !) vous êtes encore loin du compte, le résultat est loin d’être garanti. Ici, en argentique, pas de droit à l’erreur. Si tu chies ton expo à la prise de vue, aucun espoir de rattraper le coup dans Lightroom. La photo argentique, sans maîtriser un brin les bases de la photo (les vieux trucs de base en vrac comme la lumière, le diaph, la vitesse, la profondeur de champ, la sensibilité du film, …), le verdict est sans appel. Le plus amusant c’est d’avoir parfaitement maîtrisé sa prise de vue et de chier son développement. Ah ! L’angoisse de la cuve qu’on ouvre, en fin de traitement et de s’apercevoir que le film est tout… Transparent. Non, franchement, l’argentique, c’est pas bon pour votre santé mentale.
Et je ne vous parle même pas du matériel. Des vieilleries sans âge qui peuvent vous lâcher du jour au lendemain. Seul argument, c’est que ça ne coûte rien. Enfin rien, faut voir. Un vieux boîtier Nikon ou Canon, voire un Rolleiflex d’entrée de gamme ou un Contax, passe encore. Idem pour les optiques. En revanche, ne cherchez pas un Leica M, ça coûte un bras. L’avantage c’est que Leica étant un objet de collection, on trouve beaucoup de boîtiers qui n’ont guère vu plus de dix pellicules de toute leur vie. En revanche, rien de mieux que de se balader avec un Leica M6 black autour du cou, voire un bon vieux Hasselblad sur l’épaule. Pour le Leica optez pour le look gentleman farmer, pour le Blad tablez plutôt sur la dégaine vieux baroudeur aventurier. Même sans pellicule dedans, effet garanti. En revanche, prévoyez le budget et tablez plutôt sur quelques milliers d’euro.
Non, franchement, pourquoi s’emmerder à faire encore des photos en argentique ? Ici, pas question de se dire qu’on va taper cinq cents photos pour espérer en avoir quatre ou cinq d’exploitables qu’on pourra bidouiller pendant des heures dans Lightroom pour qu’elles aient enfin une gueule potable. Ici pas question de commencer à faire des photos à 100iso et passer plus tard à 3200. Ici pas question de regarder l’écran LCD à chaque prise de vue, pas de bouton effacer, pas de pixel, pas de triche envisageable. Ici chaque pression sur le déclencheur doit être réfléchie, parce qu’elle coûte. Ici, en argentique, tout est différent, tout, jusque la respiration même qui est différente. Est-ce qu’on prend une photo en argentique comme on la prend en numérique, de la même façon ? Je ne crois pas. Est-ce que le rendu est différent ? Sans aucun doute. Finalement, s’emmerder à faire des photos en argentique, en 2012, ça n’a pas de sens. Mais tous les gens qui la pratiquent (et ils sont de plus en plus nombreux à y revenir) ont tous une même motivation. Trouver ou retrouver les gestes, le tempo, la respiration, les sensations incomparables de ce qu’on désigne sous le terme de huitième art.
• vous insistez ? Une visite s’impose à ce site dédié au noir et blanc argentique, le site Labo argentique
• vous persistez et signez ? Allez jeter un œil à un site de passionnés d’argentique, le site dans ta cuve