J’étais hier soir au concert de Merzhin, au Cabaret Vauban, autant dire chez moi, à domicile. On fêtait les quinze ans d’un groupe attachant, originaire de Landerneau, qui prodigue avec une originalité débridée une musique enthousiaste et heureuse. Heureux. J’aurais dû l’être et pourtant j’ai quitté la salle dépité, déçu et pour dire extrêmement remonté. La cause ? Une horde de « photographes » qui ont squatté le premier rang du concert, tous armés (le mot est faible) de reflex dotés de zooms monstrueux, 70-200 de rigueur pour quasiment tout le monde. Bon, déjà, se pointer au Vauban avec un 70-200 monté sur un boîtier DX (ou APS-C puisqu’il y avait aussi du Canon), il faut vraiment totalement méconnaître la topologie de cette salle. Pour ma part, j’étais côté jardin, blotti dans un coin où, généralement, je fais en sorte de n’emmerder personne, avec mon reflex et mon 24-120, difficile d’appréhender le truc autrement. Donc ils étaient là, une bonne grosse demi-douzaine d’afficionados de la mitraille, pas gênés pour un rond, agitant sous le nez des zicos leur trans-standard maousse, totalement désinvoltes et ignorant avec une probable jubilation la présence du public, dont certains semblaient s’agacer, à juste titre, de cette présence envahissante, c’est un euphémisme. Renseignement pris auprès de la prod, il y avait quatre photographes accrédités, en dehors du photographe maison qui hier soir, plus que jamais, comptait pour du beurre.
Je suis rentré à la maison avant l’heure. Impossible de faire un shoot sans avoir un gros zoom noir ou blanc dans la ligne de mire. Hier soir, je crois que j’ai atteint le point limite zéro. Aucun doute possible, ces photographes du dimanche n’ont sans doute jamais lu Shots et les dix commandements du photographe de concert. C’était l’hallali, la foire d’empoigne, le bordel ambiant. Je les ai observés, c’était marrant. Je fais une photo, je regarde mon écran LCD, je tire la gueule, j’efface, je fais une photo, je regarde mon écran LCD,je maugrée, j’efface. Ad libitum. En plus, ici, on est au Vauban, livré avec ses lights « délicates », je ne vous fais pas un dessin. Dieu merci, à côté de moi, il y avait un groupe de djeuns qui jumpait au son de Merzhin, un signe objectif (si j’ose dire) qui m’a rappelé que, finalement, on était bel et bien à un concert et pas à la Shoot shoot académie, au Cabaret Vauban et que c’était la fête des fans et des spectateurs qui ont payé leur billet pour voir un chouette spectacle. À les voir jumper, torses nus, j’ai repris une petite dose de bonheur. Je me disais que le petit groupe aurait volontiers pogoté, ce qui aurait mis un peu plus d’ambiance dans la salle. Mais non, ils ont renoncé. Sans doute ne voulaient-ils pas déranger les photographes…
Voilà. Aujourd’hui on en est là. Dès qu’une prod ou une salle sont un tant soit peu cool (et c’était le cas hier soir, à Vauban), il y a toujours une bande de rigolos pour en profiter, pour shooter pendant tout le concert, vautrés au premier rang, emmerdant le public à grands coups de zooms dans l’oignon. Alors, ne vous étonnez pas si les prods réagissent, devant le développement outrancier des demandes d’accréditations directement lié à celui de la photographie numérique qui ne coûte RIEN. Restrictions de plus en plus drastiques, accréditations payantes. Finalement, ce ne sont pas les « touristes japonais » qui en pâtiront, à terme, mais bien les photographes professionnels. Mais ça, je suis sûr que c’est le cadet des soucis du gamin qui, hier soir, était tout à son bonheur d’agiter son beau zoom sur son reflex tout neuf au pied de la scène du Cabaret Vauban…
En roulant vers la maison, dans ma nuit brestoise qui elle, n’appartient qu’à moi, je repensais à ce cher Léo Ferré qui aimait tant le Vauban et détestait chanter en se sentant calé dans le collimateur d’un photographe, comme un lapin le jour d’ouverture de la chasse. D’ailleurs, quand il était passé au Vauban, dans les années 90, il avait exigé de ne pas voir le début d’un bout d’objectif. Les photographes avaient été invités à se faire très, très discrets et le concert fut magique. Sacré Léo ! Un jour, alors qu’il faisait une grande salle parisienne, un groupe d’anars souhaitant rentrer sans payer avait fait le coup de force à l’entrée de la salle. Ferré aurait eu alors cette phrase historique. « L’anarchie ! L’anarchie ! Elle a des limites l’anarchie ! » Je te rassure, mon cher Léo. Pour la liberté, c’est pareil. Et merde à Vauban !