J’ai lu récemment sur un blog un propos qui m’a fait bondir. En gros, il s’agissait de se demander si le revival de l’argentique ne tenait finalement pas plus d’une forme de snobisme que d’un réel attrait pour ce mode de photographie. Non mais sans blague, comment peut-on avancer des inepties de ce calibre ? Il n’y a pas d’un côté le modernisme consistant à faire des photos en numérique et de l’autre un archaïsme vieillissant, domaine réservé à quelques vieux cons jurassiques, voire à une bande d’illuminés bobos qui cultiveraient leurs différences en reniflant de la dope à base de cristaux d’argent. Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse, on se fout éperdument de la façon dont l’image est acquise, car en photographie, l’important c’est l’image. Tiens d’ailleurs, ça me rappelle une anecdote qui date du festival Art rock, en 2004, alors que j’entrais dans la fosse, mon reflex argentique en mains, j’étais toisé par quelques hipsters de la prétendue jeune génération qui observaient avec bienveillance pour certains, avec condescendance pour d’autres, d’un œil goguenard et vaguement foutage de gueule, qui mataient donc ce vieux ringard dans la fosse, lui et son matos antédiluvien. L’un d’entre eux m’avait approché (non, je ne mords pas) et avait réalisé toute la pertinence d’une optique d’exception. Quelques mois plus tard, par ailleurs, je signais les photos du DVD de Rokia Traoré, réalisés ce jour-là dans cette même fosse, avec un Canon F1 équipé de son inséparable 55 f1,2. Depuis, je n’ai eu qu’un regret. M’être séparé de mon second reflex, un Canon New F1 sublime. Mais le destin (qui est mon ami) en décida autrement et mit sur mon chemin, l’an passé sur eBay, un ensemble Canon New F1 en état neuf, pour un prix qui me fait toujours sourire. On me demande souvent si je compte un jour revenir à du matériel Canon (le fameux switch back). Mes deux boîtiers et ma collection d’optiques d’exception signées Canon sont là pour attester que je n’ai finalement jamais quitté la marque rouge. Mieux. J’encourage tous les photographes qui n’ont connu que le numérique à retourner d’urgence aux fondamentaux. Que ça plaise ou non, il n’y a pas meilleure école, pour comprendre la photographie, que la pellicule et la chimie, que dis-je ? L’alchimie ! Si vous n’avez jamais développé vous-même une pellicule photo, si vous n’avez jamais vu apparaître une image papier dans un bain de révélateur, alors je vous le dis, vous avez raté un épisode. Quant à moi, j’ai toujours des pellicules Kodak Tri-X dans le bas de mon frigo et régulièrement j’embarque mon F1 avec moi, histoire de revivre quelques sensations inoubliables à travers le viseur de ce boîtier mythique.
Côté littérature, ce revival de l’argentique qui ne dit pas son nom aura permis de voir naître quelques bons bouquins. Bien sûr, il y a l’excellent, l’indispensable, d’aucuns disent que c’est la bible, « Noir et blanc » de Philippe Bachelier paru aux Éditions Eyrolles. Pas trop technique, bien écrit, clair, régulièrement republié, c’est un ouvrage de référence. Je l’ai lu d’un bout à l’autre, avec gourmandise et j’y ai retrouvé plein d’astuces que j’avais oubliées. Indispensable. Et puis là, récemment j’ai lu, édité par Pearson dans une collection qui porte bien son nom (« Apprendre, toujours »), un ouvrage qui devrait s’imposer comme un must have pour tout ceux qui veulent explorer le monde argentique « Le manuel de la photographie argentique ». Signé Danny Dulieu (un nom qui n’est pas inconnu aux passionnés de musique), photographe passionné de photographie argentique et auteur de quelques clichés de référence, je pense notamment à ses portraits en noir et blanc et à quelques clichés de concerts dont un stage portrait particulièrement élégant de Matmatah et de Tristan Nihouarn (« Sauf erreur de ma part » nouvel album dans les bacs en vente partout), bref, Danny sait de quoi il parle quand il évoque l’argentique. Tout est clair, bien expliqué, sans poncifs. On sent chez Danny Dulieu le pédagogue (il est prof de photo) embusqué derrière le photographe. Le style est léger, alerte, agréable à lire, le propos est souvent agrémenté d’une petite pointe d’humour de bon aloi, bref, ce manuel de la photographie argentique se dévore. On apprend beaucoup, classé par thématiques. Bien choisir son matériel, la prise en main, la prise de vue, l’expo, des notions techniques comme la profondeur de champ, le cadrage, l’utilisation de filtres, la photo au flash. Et puis un bon tiers du livre est consacré au développement en laboratoire : le film, bien sûr et le papier, tout est décrit, les bases du travail en labo, les planches-contact, le choix du papier, les techniques de masquage, les qualités de papier. Danny Dulieu livre son expérience et son bouquin transpire la connaissance et l’envie de la partager. C’est d’ailleurs ce qui en fait son originalité et tout son intérêt. On navigue facilement grâce aux index de couleurs, on apprend beaucoup et ce n’est jamais lénifiant, bref ce manuel est une vraie réussite.
Ce bouquin va bien au delà de la volonté de (re)découvrir les sources de la photographie, il en explique par le menu les racines, les fondamentaux. Peut-on appréhender la photographie sans en connaître les bases ? Je me souviens d’avoir demandé un jour à un jeune photographe en herbe si les mots « révélateur, bain d’arrêt, fixateur » évoquaient quelque chose pour lui. « Non. » La réponse était sans appel. Finalement, au fond, chacun voit midi à sa porte. D’autant qu’aujourd’hui, l’expérience argentique coûte peu. On trouve des boîtiers reflex d’excellente qualité à pas cher et à ce chapitre Danny prodigue dans son ouvrage quelques conseils fort intéressants. Un reflex, une optique de base, une pellicule. Pas de mise au point automatique, d’ailleurs zéro automatisme. Juste un moment de quiétude, une respiration, le concept de la photographie dans sa nudité d’origine, sa plendeur, là, entre vos mains. Et au bout de votre index, le déclencheur. Alors… Qu’est-ce que vous attendez ?
• « Le manuel de la photographie argentique » par Danny DULIEU. Éditions PEARSON (326 pages, 34,50€).