C’est d’une banalité navrante d’affirmer aujourd’hui, que, grâce au numérique (ou à cause de, c’est selon), l’acte photographique s’est totalement banalisé. D’ailleurs, entre nous, si je puis me permettre, c’est à mes yeux l’immense majorité de la production photographique qui s’étale au fil des jours sur les nombreux médias internet qui est d’une banalité navrante. Autrefois, je veux dire du temps de l’argentique, au siècle passé, quand il fallait payer pour faire une photo, quand l’acte photographique coûtait de l’argent, on y réfléchissait à deux fois avant d’appuyer sur le déclencheur. D’ailleurs, il y avait nettement moins de prétendants à la couronne, quand il fallait dépenser ses maigres économies dans l’achat des pellicules et du nécessaire développement, alors on était nettement moins pressé de prétendre à la succession de ce cher Henri. Et puis sont venus le numérique et, comme un bonheur n’arrive jamais seul, l’avènement d’internet. Songez donc. Non seulement tout le monde allait pouvoir faire des photos quasi gratuitement, sans débourser un kopeck, sauf pour acheter le matériel, mais on allait en plus pouvoir montrer au monde ébahi toute l’étendue de son talent et, accessoirement, de l’ego qui va avec. Que demande le peuple ? Et comme si ça ne suffisait pas, on allait en plus mettre à la disposition des photographes en herbe plein de beaux outils pour optimiser leurs clichés, voire pour les rendre un peu plus présentables. Et les fondamentaux de la photographie dans tout ça ? On verrait plus tard. Ou pas.
• L’art du paraître
Le côté pervers, dans cette volonté de paraître avant de comprendre, c’est que ça ne mène nulle part. La meilleure illustration, si j’ose dire, est le développement ces dernières années de toute une gamme de bidouilles logicielles qui permettent de générer des images qui, a défaut d’avoir de véritables qualités photographiques intrinsèques (je parle de notions comme le cadrage, la gestion du mouvement, la lumière, …) permettent de donner à son auteur l’illusion d’une image qui ait de la gueule. Un exemple parfait selon moi est le phénomène Instagram, ce petit logiciel astucieux permettant de trafiquer les équilibres colorimétriques d’une image numérique et de générer une photographie qui sorte de l’ordinaire. Cerise sur le gâteau, Instagram est accessible à partir d’un smartphone et en plus, il est gratuit. D’ailleurs, mine de rien, les iPhone et autres Androïd ont pris aujourd’hui une part de marché non-négligeable sur le segment photographique. Internet est inondé de ces images fadasses qui, finalement, se ressemblent toutes plus ou moins. D’ailleurs le problème posé par ces traitements à la chaîne est bien là. Dans l’uniformité du résultat. Ils imaginent qu’ils vont être tous différents. Et au fond ils sont tous pareils.
• Les effets pervers de la technologie
La technologie c’est bien, en abuser ça craint. Un exemple extrême se résume dans certaines techniques comme la photographie HDR, qui est, selon moi, une claque dans la gueule, une véritable insulte à l’art de la photographie, mais après tout chacun voit midi à sa porte, enfin ! Quand il sait lire l’heure. Plus proche et beaucoup plus répandue est l’utilisation massive (et souvent désastreuse, pour ne pas dire calamiteuse) de logiciels de post-traitement comme Lightroom. J’en vois déjà qui sont prêts à dégainer. Comprenons-nous bien, je dis et je répète que je n’ai évidemment rien contre Lightroom que j’utilise moi-même. Comme tout outil, Lightroom peut s’avérer aussi utile que désastreux lorsqu’il est mal employé, voire détourné et c’est malheureusement trop souvent le cas, avec un recours massif à ces procédures automatisées de traitement qu’on désigne sous le nom de presets. Résultat ? Comme on dit chez Kanabeach de Plouzané « All different but all together ». Toutes les images se ressemblent et c’est la caca, c’est la cata, c’est la catastrophe. Parce que, dans ces conditions, espérer le mimi, le rara, le miracle, se dire que Lightroom va compenser ton cadrage de merde, réparer ton expo hasardeuse, te rattraper le coup, voire faire croire que, te donner l’illusion d’un cliché réussi, ce que tu te goures fillette, ce que tu te goures ! Et finalement, le résultat c’est que TOUTES les photos produites suivant le schéma consistant à utiliser des presets Lightroom, toutes ces photos se ressemblent. Toutes différentes mais toutes pareilles. Vous me direz, quand on voit des clichés de ce cher Henri on sait immédiatement que c’est du Cartier-Bresson. Ben ouais ! Parce que HCB, il a un style, une patte, un cœur et un œil. Et on crie, à raison, au génie. En revanche, pour les photos fadasses passées au mixeur à la sauce presets, on se dit seulement tiens, en voilà encore un qui a (mal) utilisé Lightroom. Et ça, franchement, c’est la loose.
• Faites des photos qui vous ressemblent !
J’ai souvent écrit et répété ici-même et ailleurs que selon moi, le bonheur, c’est d’obtenir une image qui soit bonne sortie de capteur. Propre, nette, cadrée aux petits oignons, avec l’expo qui va bien… Si je dois passer des plombes sur LR pour que mes clichés aient une gueule potable, nan trugarez* ! C’est là, aussi, où avoir un bon boîtier avec lequel on se sente bien, en phase, qu’on maîtrise pas trop mal, dans un contexte où, pour reprendre une expression désormais célèbre, il n’y ait pas conflit entre l’homme et la machine, est un paramètre essentiel. Avoir un bon boîtier, pour un photographe, c’est comme avoir un bon copain, c’est c’qu’il y a d’plus chouette au monde, comme dirait Miossec. Pour ma part, j’ai trouvé mon harmonie avec Nikon D3s et deux optiques qui couvrent l’essentiel de mes besoins, que demander de plus ? La bonne idée, à défaut de donner un conseil, c’est que si vous aimez faire des photos, mettez à profit cette passion pour montrer les choses, les gens tels que vous les voyez (tels que vous les aimez), en un mot dialoguez avec le monde et faites des photos qui vous ressemblent. N’imitez pas, ne tentez pas de reproduire et surtout gardez en mémoire que lorsque vous avez déclenché c’est fait, la messe est dite. Vous pourrez améliorer en post-prod mais ne comptez pas sur « après » pour faire d’une photo approximative un cliché de référence.
(*non merci.)
Last but not least. La photographie c’est un peu comme la passion, c’est une alchimie étrange, un compromis, un équilibre entre des forces divergentes que tout oppose et que la photographie, justement, dans une miraculeuse conciliation, une grâce ultime, réunit. La lumière, le mouvement, le cadre, l’image. C’est de la chimie aussi. Un truc fascinant, la révélation de la lumière qui tient pratiquement de la magie. Je ne saurais trop vous conseiller d’aller faire un tour dans ce monde-là, pour sentir les choses, dans tous les sens du terme. Vous comprendrez, vous assimilerez quelques clés indispensables sans lesquelles, finalement, on se sent un peu perdu.
• merci à Juliette Gréco, à Miossec et aux Inconnus. Et à Henri Cartier-Bresson, mon respect éternel.
• crédit photo : MG (Gare de Sedan. Instagram)