Le dernier volet consacré à Canon EOS R va se dérouler en trois actes, sur l’un de mes terrains de prédilection, la photo de spectacle, le live, le concert. Quoi de mieux que des lumières vivantes et des mouvements indociles pour jauger de la capacité d’un appareil photo à saisir l’instant avec précision ? Pour le moment, j’ai vécu avec EOS R des moments intenses, mais les lumières étaient présentes. Photographier le granit du calvaire de Cast ou la baie de Douarnenez par grand beau temps à 50 ou 100 iso, c’est assez simple. De ce côté là, tous les boîtiers que j’ai testé s’en sont sortis avec les honneurs, que ça soit Fujifilm X-T3 ou Sony A7 Mark III. La plus value de Canon EOS R tient dans sa capacité à gérer les couleurs. La colorimétrie produite par les appareils Canon reste unique. Admettons le de bonne grâce. Le légendaire velouté de couleurs estampillé Canon existe depuis toujours et même si les concurrents (je pense en particulier à Nikon, éternel challenger de Canon) ont en grande partie comblé ce retard au chapitre de la colorimétrie, les clichés générés avec du matériel Canon conservent de base cette inimitable touche. Il me suffit de regarder les clichés que j’ai réalisés il y a quelques années avec EOS 1D Mark IV pour en être convaincu. Même si aujourd’hui l’editing massif et les presets ont tendance à niveler les clichés et à leur donner tous le même aspect, d’où qu’ils viennent.
Canon EOS R, au doigt et à l’œil.
Bref. J’ai logé Canon EOS R dans la poche gauche de ma veste Carhartt, le 35mm f/1,8 dans la poche droite, la batterie chargée à bloc, une carte Sandisk SD 32Go Extreme Pro. Naturellement, quand on est habitué à trimballer un reflex et ses optiques qui pèsent trois tonnes, le contraste est assez singulier. Là, avec l’hybride Canon EOS R, j’ai l’impression d’être en vacances. D’ailleurs de nombreux photographes, professionnels ou amateurs, équipés en reflex achètent aujourd’hui des APN hybrides. D’abord pour tester et jauger ce nouvel environnement et bien souvent pour partir en vacances et faire des photos avec. Bonne idée. Pour l’heure, je ne suis pas encore en vacances. Je vais devoir tester Canon EOS R dans les salles obscures et pour ça j’ai choisi trois ambiances, avec trois niveaux de difficulté allant crescendo. Histoire de pousser l’hybride Canon dans ses derniers retranchements et connaître ses limites.
• Acte 1. Registre classique, au Quartz.
Mon premier rendez-vous a lieu au Quartz, scène nationale de Brest. Je suis assis au premier rang, côté jardin, pour photographier Noémi Boutin, violoncelliste. C’est une artiste que j’ai déjà croisée pendant Atlantique Jazz Festival, dans un registre très différent, un spectacle pour enfant, en duo avec la flûtiste Sylvaine Hélary. Ce soir, autre ambiance. Noémi interprète les suites pour violoncelles de Bach et Britten, autant dire que les déclenchements intempestifs de miroirs sont totalement prohibés. J’attends patiemment, Canon EOS R ostensiblement posé sur mes genoux. Avant le concert, présentation de l’artiste par un membre du Quartz qui rappelle au public d’éteindre les téléphones portables et de ne pas prendre de photo pendant le concert, avec ou sans flash. La petite dame assise à ma droite, de l’autre côté de l’escalier me fusille du regard. Elle ignore que je suis accrédité et que j’ai pris l’engagement de travailler en silence. À aucun moment, pendant le concert, on entendra quelque bruit que ce soit venant de l’EOS. C’est la magie de l’hybride. La capacité de Canon EOS à masquer son écran, physiquement, permet de tout piloter au viseur. Si l’écran est déployé, il s’éteint dès que l’œil est collé au viseur. Les lumières sur scène sont hyper stables, la violoncelliste est assise et bouge donc très peu, la prise de vue est confortable. Je travaille en mode manuel, pilotant l’AF au pouce en tactile ou à la molette. Le réglage du diaph sur l’objectif est un vrai plus, comme le pad pour régler la sensibilité. La visée réelle apporte un indéniable confort, je peux facilement switcher du mode full frame à l’APS-C en gagnant un crop appréciable, bref. C’est une prise de vue très confortable, dans un silence absolu. D’ailleurs, la petite dame à ma droite a rangé son fusil, ce soir le photographe ne l’aura pas importunée. Le mode silencieux de l’hybride est un plus très appréciable.
Le lendemain du concert, je procède à l’editing des clichés dans Capture One Pro 12. Je suis saisi par l’exactitude de la colorimétrie. Le velouté de couleurs Canon a encore frappé. Le capteur 30mp produit une image ultra propre avec une puissance de couleurs qui n’appartient qu’à la marque rouge. Mais surtout, il n’y a rien à ajouter, rien à enlever. Les fichiers RAW produits par Canon EOS R sont parfaits, du premier jet, j’ajuste tout au plus légèrement la balance des blancs et c’est tout. La dynamique des images est puissante, la taille du capteur (30mp) permet une grande latitude en matière de crop. Mais finalement, le plus important c’est qu’à aucun moment je ne me suis senti contraint par le matériel. Canon EOS R m’a suivi, au doigt et à l’œil.
• Acte 2. World & jazz music, au Vauban
Naïssam Jalal est au Cabaret Vauban. Flûtiste hors pair, forte personnalité, son registre oscille entre jazz et musiques du monde. Dès le début du concert, le trio embarque le public dans un voyage que l’artiste souhaite partager. À plusieurs reprises, Naïssam invitera les assoiffés du bar (bienvenue au Vauban) à lâcher leurs verres et qu’on en profite pour fermer cette foutue porte qui n’arrête pas de couiner. En clair, alors que je suis assis au premier rang côté cour, je comprends rapidement que le mode silencieux de Canon EOS R va encore faire des merveilles. Le plan de feux du Vauban, à base de leds, rend le travail compliqué (doux euphémisme), associé à la difficulté de se déplacer. Encore une fois, l’association visée réelle, ergonomie du boîtier rend le travail beaucoup plus simple. Le tactile pour l’AF, la possibilité de monter ou de descendre en sensibilité via le pad, la bague frontale sur le 35mm pour ajuster le diaph, la molette avant droite pour la vitesse, tous ces petits détails d’ergonomie permettent de travailler de manière très confortable. Et encore ! J’ai fait le choix d’une optique relativement basique, j’imagine le profit qu’on peut tirer d’un caillou premium de la gamme serie L !
Malgré des conditions de basses lumières assez ardues, Canon EOS R s’en tire plutôt bien. La possibilité qu’offre le boîtier de switcher du plein format à l’APS-C, voire à des formats plus exotiques (carré, 16:9, …) en programmant une touche de fonction permet aussi de profiter des largesses du capteur de 30mp. Une fois à l’écran du iMac, les images obtenues ne déçoivent pas, encore une fois. Canon EOS R a cette capacité à capter et à restituer la moindre nuance de couleur. À tel point qu’à ce stade du test, je me demande quand je vais enfin réussir à le prendre en défaut.
• Acte 3. Electro et mouvements indociles
La soirée concoctée par la team Sonic Probrest va enfin me donner l’occasion de confronter Canon EOS R à des conditions de prise de vue qu’on peut effectivement qualifier de complexes. Un premier set de Lemones dans la quasi obscurité avec des strobes, autant dire le pire cauchemar qui soit pour un photographe. La lumière stroboscopique, c’est du shoot au p’tit bonheur la chance. Dans le viseur électronique, c’est un peu panique à bord, ce moment où je commence à regretter la visée reflex qui, elle, n’interagit pas de manière électronique avec ce qui passe à travers l’objectif. Je réussis quand même à capturer quelques images dont certaines vont s’avérer assez étranges.
Le concert suivant se déroule en lumières apaisées, avec l’excellent duo Taxi Kebab, qui livre une partition electro pop mâtinée d’accents world. Un set aux accents d’ailleurs, un voyage merveilleusement orchestré par la voix de la chanteuse Léa Jiqqir. En revanche, côté lumières c’est aussi compliqué que ça peut l’être au Vauban. On descend très, très profond dans les basses lumières et Canon EOS R a tendance à ramer jusqu’à s’y perdre. Je pense qu’à ce moment-là, l’hybride a atteint ses limites. J’essaie de pousser les iso, rien n’y fait. À moins de monter très haut en sensibilité, en prenant le risque d’obtenir une image bruitée, je réalise que je viens de toucher le point limite zéro. L’editing dans Capture One Pro 12 me confirmera d’ailleurs ce ressenti. Les images sont globalement décevantes. Les points de contraste que Canon EOS R n’a pas réussi à capter se retrouvent sur les images.
• En conclusion…
Je sors de ce test terrain conforté par l’image que j’ai gardée de Canon. Du matériel de qualité, bien conçu, bien construit, capable de générer une image à la colorimétrie parfaite. Le célèbre velouté de couleurs Canon n’est définitivement pas une légende. Avec Canon EOS R la marque rouge fait le pari du changement dans la continuité. Quand vous avez ce boîtier entre les mains, vous tenez un EOS, avec ses lignes et ses rondeurs caractéristiques. J’ai vraiment apprécié l’ergonomie, la clarté des menus et surtout ce sentiment de confort immédiat, de prise en main facile. Du point de vue technique, il est intéressant de noter que Canon a conservé une taille de monture quasi identique à celle de la monture EF et qui a permis à Canon d’avoir une avance confortable sur ses concurrents – ou plutôt devrais-je dire sur son concurrent – pendant des années, en proposant des optiques ultra lumineuses (ouvrant à f/1,2). Les optiques ont toujours été la grande force de Canon. Ça a été vrai par le passé, avec quelques cailloux de légende de serie L sur la gamme reflex argentique comme numérique, ça le sera encore avec la gamme hybride. Seul bémol, les tarifs, stratosphériques.
Puisque je parle d’optiques, il faut mentionner la disponibilité de bagues d’adaptation permettant de monter des optiques EF ou EF-S sur EOS R. C’est très malin, car ça permet aux photographes équipés en reflex de préserver leur investissement en leur garantissant une pérennité certaine. Mieux encore, ces utilisateurs peuvent profiter des fonctionnalités de la nouvelle gamme optique RF sur leurs optiques EF. Un message clair pour les photographes équipés en reflex Canon : vous avez tout intérêt à rester chez Canon, d’autant que Canon est en train de dérouler son offre en nouvelles optiques à monture RF, avec quelques propositions pour le moins savoureuses. Je pense au 85mm f/1,2L USM DS (pour defocus smoothing) orienté portrait. Côté trans-standard, le trio indispensable 15-35mm, 24-70mm et 70-200mm f/2,8L IS USM est déjà annoncé. Et histoire de rappeler au monde de la photo que Canon est un expert opticien, la marque rouge balance un étonnant 28-70mm f/2L USM. Bref, du côté de la gamme optiques, Canon envoie un signal fort. Sur le segment hybrides, la marque rouge n’entend pas jouer les seconds couteaux.
Autre aspect de l’offre et non des moindres, l’annonce d’un EOS RP, un hybride light, à un prix léger. Pour moins de 1500€, Canon propose un hybride plein format. Je ne l’ai pas testé mais j’imagine qu’il est aussi bon, du moins au chapitre colorimétrie, que son aîné. Sur ce segment de prix, Canon entre en concurrence frontale avec Fujifilm X et son capteur APS-C. La bagarre s’annonce donc serrée.
Du côté des sujets qui peuvent potentiellement fâcher, on notera en premier lieu les limitations que Canon a imposé au chapitre vidéo. Clairement EOS R n’est pas le boîtier qui enchantera les vidéastes qui vont lui préférer massivement un Sony A7S Mark II. Je comprends la stratégie de Canon même si je pense que c’est une erreur. Autre point d’achoppement, l’autonomie relativement faible, si on la compare au reflex, même si elle est peu ou prou équivalente aux autre boîtiers testés (Fujifilm X-T3 et Sony A7 Mark III). La présence d’un lecteur de carte unique au format SD va aussi à coup sûr faire grincer quelques dents, quand Fuji et Sony proposent un double lecteur, même si le choix du format SD me semble à lui seul très contestable. Reste le choix de la stabilisation optique, quand la concurrence (Fuji, Sony, Nikon) a fait le choix de la stabilisation boîtier. Le choix de Canon s’explique par le fait que la marque rouge maîtrise parfaitement la technologie de stabilisation optique et entre nous, l’absence de stabilisation optique chez les concurrents (je pense à Sony et à Nikon) ne fait pas baisser le prix de leurs optiques, jusqu’à preuve du contraire…
Alors ? Qui va acheter Canon EOS R ? Cet hybride va intéresser prioritairement les clients déjà équipés en Canon et qui ont investi dans des optiques premium de la gamme serie L. La possibilité de monter des optiques EF ou EF-S (ou pourquoi pas des optiques Canon vintage au format FD) sur la gamme hybride est un sérieux plus, d’autant qu’on peut aussi profiter des facilités des bagues d’adaptation. Les clients Canon, attachés à la perfection de la colorimétrie de la marque rouge vont aussi entendre cet argument. Canon a conservé l’ergonomie EOS. Quand on a un EOS R en mains, on est en terrain connu. Est-ce que Canon va conquérir de nouveaux marchés avec EOS R ? Pas sûr, car il y a du monde dans la boucle, mais Canon va à coup sûr limiter l’érosion en donnant à ses clients un signal fort. La marque rouge est désormais présente sur le segment de l’hybride plein format et n’entend pas laisser le leadership à Sony qui a fait la course seul pendant cinq ans.
D’autant que l’éternel challenger, Nikon, a aussi investi le segment avec sa gamme Z. Reste un détail, de poids. La marque rouge conçoit et fabrique, elle-même, ses propres capteurs, ce qui n’est pas le cas de Nikon, qui dépend de sociétés tierces, parmi lesquelles on trouve… Sony. L’indépendance de Canon, son assise, l’étendue de sa gamme produits, son expertise sur le marché de l’optique sont autant d’arguments qui pèseront lourd dans la balance. Pour ceux qui en douteraient encore, sur le segment hybrides, Canon est entré dans la danse, avec brio. La marque rouge ne finira jamais de m’étonner.
• merci au staff technique de Canon France pour le support.
• cet article n’est pas sponsorisé.
• prochaine (et dernière) étape de ce test hybrides, Nikon Z6
Fy dit
Bonjour,
Une précision relative à la stabilisation puisque les marques tierces que vous citez en conclusion (SONY et FUJI notamment) stabilisent le boitier ET l’optique.
Dans cette perspective, il n’y a pas de raison que les optiques soient moins cher puisque elles sont (en grande partie) stabilisées elles aussi (contrairement à ce que vous annoncez pour SONY). Ça s’appelle OSS chez ces derniers.
Enfin, vous imaginez que l’EOS RP devrait à priori être aussi bon que le R bien que ne l’ayant pas testé. Peut on élargir ce principe aux NIKON Z7 / Z6, SONY A9 / A7, etc ? Je trouve votre approche surprenante et quelque peu partisane sur ce coup là !
Bon, même si votre tendresse naturelle pour CANON se ressent un peu dans votre article, elle n’occulte pas le grand intérêt de ceux-ci. Bien cordialement. Merci