No photo. C’est un postulat étrange pour un auteur qui n’est autre que Pierrick Bourgault, photographe professionnel qui partage son temps entre la photographie (il a été reporter en Irak) et l’écriture. Ce livre est un pamphlet, un ouvrage plein d’ironie et largement teinté d’humour sur la pratique de la photographie. J’ai lu d’une traite ce livre qu’un ami photographe m’a offert. Je l’ai lu, je l’avoue, parfois avec gourmandise et parfois salement agacé, surlignant de mon Stabilo jaune fluo les passages qui me semblaient justes, annotant dans la marge les points de vue que je partageais, ou pas. Car la grande vertu de ce livre – et c’est aussi à mon sens son principal travers – c’est qu’il exprime nombre de vérités. Et c’est connu, toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire. Il suffit de lire le sous-titre pour comprendre que la philosophie de l’auteur, photographe, tient en cette unique phrase. Photographions moins pour vivre mieux ! Tout est dit. Vœu pieux ! On n’empêchera pas nos ados de mitrailler à tout va, de faire leurs selfies et leurs vidéos. Et quand je dis ados, il convient d’élargir la tranche d’âge. Aujourd’hui, le smartphone a envahi notre vie quotidienne et on le pratique dès le plus jeune âge. La photographie est devenue un acte aussi gratuit que banal. Et dans une immense majorité des cas, un acte manqué ?
No photo. Moins c’est mieux ?
• Bien avant iPhone…
Vous voulez un chiffre ? Mille deux cent milliards. C’est le nombre de photos qui a été réalisé sur la planète en 2017. Et sur ce nombre pharaonique, 85% de ces photos ont été réalisées avec un smartphone. Bref flashback. Au début des années 90, je discutais avec Laurent Bervas, développeur, informaticien. Nous parlions ensemble assez régulièrement de technologie et de futur. Les tout premiers smartphones – on les appelait GSM à l’époque – commençaient à arriver, France Telecom commercialisait l’offre Itineris. On était en 1992, les marques s’appelaient Nokia, Ericsson et permettaient de… téléphoner, à peu près de n’importe où. Avec mon ami Laurent, on imaginait des lendemains qui chantent. Il était, je l’admets, le plus imaginatif de nous deux. « Un jour, tu verras. On fera tout avec un téléphone. Ça sera un bureau mobile, un point de convergence de tous les besoins, photo, vidéo, message électronique, navigation sur les réseaux, jeux, musique, … » On ignorait alors que cinq ou six ans plus tard, Apple lancerait iMac, avec un i comme internet. Et que 15 ans plus tard, la même société renverrait Nokia et consorts aux oubliettes de l’histoire numérique en créant iPhone. La prophétie était en marche. Chacun·e allait pouvoir s’exprimer librement, montrer son petit univers, se montrer soi-même et surtout le partager à la face du monde ébahi à travers les réseaux sociaux.
• Selfie et tyrannie des réseaux sociaux
Ah ! Les réseaux sociaux. L’auteur de No Photo n’y va pas avec le dos de la cuillère, jugez plutôt. Il cite Jean-Paul Sartre, évoquant « ce besoin de raconter sa vie pour s’extraire du banal » avant d’enfoncer le clou d’une pensée radicale. « C’est parce qu’on ne s’aime pas assez que l’on éprouve le besoin de se mettre en avant. » selon Fabrice Midal, philosophe. Les habitué·e·s des réseaux sociaux que sont Facebook, Twitter et autres Instagram, gourmand·e·s de likes et de cœurs avec les doigts apprécieront. Le smartphone a créé une nouvelle génération de preneurs d’images, qui ne réfléchit plus à la possibilité d’une image mais qui la réalise. On est dans l’immédiat, la consommation de masse. Avec en point d’orgue, l’expression de l’ego ordinaire, le narcissisme période post-moderne, l’autoportrait désigné sous le nom de selfie, relayé par les réseaux, « démultipliant la surexposition de l’image de soi ». Et l’acte photographique, dans tout ça ? L’auteur souligne, avec beaucoup de pertinence, qu’il aura suffi d’en modifier deux paramètres pour révolutionner son usage de manière radicale. « Zéro délai entre déclic et visionnement, coût jugé nul de chaque prise de vue. » On en est là. L’acte est devenu banal et avec lui le produit de l’acte. L’image dématérialisée n’a plus de valeur. No photo. CQFD.
• Photographier mieux
No photo est un livre sans concession qui dresse un portrait (si j’ose dire) assez cru de l’état des lieux en matière de photographie. On est tenté, à l’issue de sa lecture, de sortir du système, de quitter les réseaux sociaux du moins de s’en détacher. Comme une cure de détox. Faire moins de photo ou comme le suggère l’auteur, des photos mentales. Une perspective qui peut s’avérer douloureuse, en particulier pour la jeune génération qui a été biberonnée aux selfies et aux réseaux sociaux. L’auteur, Pierrick Bourgault, accompagné des illustrations de Christine Lesueur, tente de cerner la personnalité du photographe, qu’il soit amateur ou professionnel et de répondre à cette question délicate, la photographie est-elle est un art ? J’ai lu ce livre, je l’ai annoté, surligné, parfois agacé, la plupart du temps tellement en phase avec l’auteur. Photographier moins permet-il de vivre mieux ? Je n’en sais rien mais une chose est sûre. Photographier moins permet de photographier mieux.
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• à lire aussi sur SHOTS : L’âme de l’image de David duChemin
• Merci à Michael Parque, photographe, qui m’a offert ce livre indispensable.
Nico dit
Au final il y a de plus en plus la distinction entre image et photographie. Ce n’est pas si grave, il faut juste savoir de quoi on parle.
La pratique de la photographie n’a jamais été aussi prolifique grâce à l’arrivée du numérique. De très beaux travaux sont réalisés actuellement. D’un autre côté, comme à l’époque du polaroid ou du jetable, mais dans des proportions beaucoup plus importantes je l’accorde, les gens font des images.
Est-ce grave? Je ne suis pas certain, il faut juste savoir de quoi on parle.