Nouvel épisode dans le parcours compliqué, pour ne pas dire chaotique de Polaroid Originals aka Impossible Project. On apprend que le groupe qui détient la marque Polaroid, menacerait désormais Fujifilm de poursuites judiciaires pour plagiat. Ce qui a mis le feu aux poudres, c’est le lancement à la Photokina en 2016 du format Instax Square qui est, il faut l’admettre, une copie quasi conforme, en modèle réduit, du Polaroid carré historique. Plusieurs échanges de courriers peu amènes ont eu lieu entre les deux firmes, à partir de janvier 2017. En mars, Polaroid hausse le ton et informe Fujifilm de son intention de prendre, je cite, « toutes mesures appropriées » afin d’obtenir le retrait pur et simple du format Instax Square du marché. Fujifilm de son côté a demandé la protection de la justice aux États Unis. On en est là. On est loin de l’image sympathique, un brin bobo, déployée par la team Impossible project qui avait repris l’usine Polaroid de Enschede, aux Pays Bas en 2006. Avec le rachat de licence des marques Polaroid, le groupe Impossible prend une autre dimension, en proposant un nouveau modèle d’appareil photo instantané (One Step 2), tout en revendant à prix d’or des films dont l’efficacité reste, à mes yeux, bien peu convaincante. Alors ? La guerre du film instantané opposant Polaroid à Fujifilm aura-t-elle lieu ? Pas sûr, même si cet affrontement est singulièrement navrant de la part du groupe Polaroid Impossible project.
Film instantané. Polaroid versus Fujifilm
• Si vous avez raté le début
Ah ! Qu’il est loin le temps où on regardait avec candeur et admiration les efforts déployés par une bande de fadas, parmi lesquels Florian Kaps (de Lomography), créateur de la société bien-nommée Unsaleable qui sera la base de la création d’Impossible Project. Et Fujifilm dans tout ça ? Car la présence de la firme japonaise ne date pas du lancement d’Instax Square en 2016. Pour bien comprendre les enjeux, il faut faire un petit retour en arrière, au début des années 80. Fujifilm fabrique des films, comme son nom l’indique et sur ce segment, la marque est leader sur la marché japonais. Elle lance un film intégral (série F) en concurrence frontale avec Polaroid. Action, réaction. La marque US attaque la marque japonaise (comme elle l’a déjà fait, avec succès, avec le géant Kodak), mais Fujifilm parvient à trouver un deal. Polaroid concède des droits de production à Fujifilm avec certaines limites (interdiction d’accès au marché US) tout en bénéficiant de technologies maîtrisées par Fujifilm (vidéo, film 35mm, stockage numérique). Fujifilm réalise la gamme de films packs couleurs (FP100C) et noir et blanc (FP3000B, très utilisés dans le milieu médical). À la fin des années 90, elle lance Instax mini, sur le marché nippon dans un premier temps, puis sur le marché mondial au début des années 2000, à l’extinction des brevets. On connaît la suite. Un peu plus tard, Polaroid est en faillite et se retire du marché du film instantané. Sayonara, clap de fin. Polaroid est en état de mort clinique, mais Instax continue son chemin, avec brio.
• Le clin d’œil de Fujfilm
Car Fufifilm dispose d’une absolue maîtrise dans le film instantané. Pour s’en convaincre, il suffit d’avoir déjà utilisé ses produits. Je ne vais pas vous reparler du film pack, de la glorieuse époque de Polaroid 250 et consorts, car ma boîte de kleenex est vide. J’ai une immense nostalgie pour le FP100C de Fujifilm et je ne vous parle même pas du fantastique film noir et blanc FP3000B. Ces deux films se négocient aujourd’hui quasiment au prix du gramme de cocaïne, c’est vous dire si certains utilisateurs sont accro. Quand au film Instax, je l’ai testé sous ses trois formes, mini, wide et récemment Square. Que dire, sans tomber dans le superlatif ? C’est vraiment un film instantané, qui se développe en un clin d’œil avec des couleurs merveilleusement contrastées. Sur Instax, il n’y a rien à dire. Le process est maîtrisé, la promesse est tenue. Trois formats, dont le square, clin d’œil au format historique de Polaroid. Un clin d’œil qui n’est visiblement pas du goût, aujourd’hui, de Polaroid Originals qui pousse des cris d’orfraie et hurle à la traîtrise. Peut-être faut-il chercher des réponses ailleurs que dans un apparent plagiat ?
• L’instantané, ça peut prendre du temps
Car Polaroid Impossible est à la peine et j’en parle en connaissance de cause. Il se trouve que je teste actuellement les films Polaroid Originals dans leur version couleur et leur version noir et blanc. Et franchement, les premiers résultats, même s’ils sont encourageants par rapport aux films précédents, me laissent singulièrement dubitatifs. Pour s’en convaincre, il suffit de lire la notice qui accompagne le film et qui décrit les 6 conseils pour réussir une photo instantanée. Voyez-vous, je viens d’une époque où n’importe quel quidam était capable de réussir un Polaroid. On visait, on déclenchait et la photo était réussie, même les yeux fermés une main dans le dos. C’était ça, le tour de magie de Monsieur Land. Aujourd’hui, les choses ont bien changé. On a le sentiment que Polaroid Originals a complètement perdu la maîtrise du film instantané. La preuve ? Le film ne doit pas voir le jour à l’éjection de l’appareil, il est conseillé de le couvrir, voire de le mettre dans l’obscurité les 6 premières minutes du développement pour le film couleur, une minute pour le noir et blanc. Et attendre, attendre encore. « Ça peut prendre du temps pour que la photo se développe complètement. » C’est écrit sur la notice. Du temps dites-vous ? Des heures. Oui, des heures et je pèse mes mots. Et le résultat ? On est loin, très loin du Polaroid de la belle époque. Et ne vous avisez pas de comparer avec Instax, à moins d’avoir des réserves de kleenex.
• Coûteux, pas fiable.
C’est là qu’il faut chercher la véritable origine du malaise entre Polaroid originals et Fujifilm. La marque japonaise est en train d’exploser les compteurs avec son format Instax et je ne vous parle même pas du nouveau film instantané Instax Wide Monochrome qui fait frémir tous les afficionados duFP3000B. J’ai vu passer quelques images, il me tarde de tester ce nouveau format, mais je ne suis pas sûr de vouloir faire un comparatif avec le film noir et blanc estampillé PO. Mes derniers tests avec le film monochrome Impossible Project gen. 2, sur un SX-70 avaient donné des résultats pathétiques. D’un côté Polaroid Originals qui nous vend du rêve et de la légende sans réussir véritablement à trouver ses marques et à donner un résultat probant. De l’autre Fujifilm Instax qui réalise des prouesses et surfe sur la vague du film instantané avec trois formats disponibles.
Polaroid Originals a du mal à fidéliser sa clientèle. D’abord le prix du film instantané Polaroid, très élevé. Rappelons, pour mémoire, que le pack Color 600 coûte la bagatelle de 21,99€ (source FNAC) et qu’il contient 8 vues seulement contre 10 sur le pack historique. Soit un prix unitaire de 2,75€ la photo ! La fiabilité ensuite, dont on peut affirmer qu’elle n’est pas encore vraiment au rendez-vous (doux euphémisme). Florian Kaps a quitté le navire il y a quatre ans pour voguer vers de nouvelles aventures (Supersense) et c’est désormais Oskar Smolokowski (27 ans, fils d’un magnat de l’énergie) qui dirige la boutique. Détail amusant, ce même Oskar tweetait le 21 septembre 2016 une « pensée de la Photokina », une pub Impossible affirmant « There’s only one original ». Le ver était déjà dans le fruit.
• Une guerre d’image
En conclusion, comment faut-il interpréter les attaques de Polaroid Originals vis à vis de Fujifilm ? J’imagine que le prix d’acquisition de la marque Polaroid par PLR IP Holdings n’est pas anecdotique. Polaroid, après avoir chuté deux fois, une fois déclarée en faillite en 2001, une seconde fois en 2008, doit désormais affirmer sa stabilité financière. La marque ne peut pas s’en prendre à Fujifilm sur l’aspect technique du développement du film instantané, elle choisit donc un autre angle d’attaque. C’est une guerre d’image, de marketing, d’apparence. Quelles sont les chances pour Polaroid Originals de l’emporter ? Je n’en sais rien. Pour ma part j’imagine que cette société devrait plutôt concentrer ses efforts sur la qualité et la fiabilité de ses films plutôt que de s’en prendre à son concurrent japonais qui, lui, réalise un sans-faute sur toute la ligne…
• cliché d’illustration : tests réalisés avec Polaroid Impulse sur le film Polaroid Originals Color 600 et le film monochrome Impossible Projet gen. 2.