Petit retour en arrière. Je viens d’une époque argentique où il fallait choisir son camp, dès le départ. Avant même d’envisager d’appuyer sur le déclencheur, il fallait se décider. On choisissait sa pellicule et la sensibilité affichée nous disait ce qu’on allait pouvoir en faire. Une fois la molette des iso fixée sur une valeur, il était hors de question d’en changer. Certes, on vous dira que si, c’était possible, dans l’absolu. Pour ça il fallait jongler avec le film au développement et une grande majorité de photographes, déjà assez emmerdés comme ça, évitaient ce genre de plan très casse-gueule. Tu commençais à 400iso, tu finissais à 400iso. Pour ma part, je travaillais la plupart du temps avec une pellicule couleur de 800iso que je poussais à 1600 en priant pour que les lumières ne soient pas trop déplorables. Mon pote Raphaël, qui shootait avec moi au Vauban, bossait en noir et blanc avec de la Ilford 3200iso, il était donc plus confortable. Mais pour tous, c’était une valeur unique. C’est avec le numérique que les choses ont changé et qu’on a commencé à parler de montée en iso. Quel bonheur ! Non seulement on pouvait monter à loisir, mais en plus on avait la possibilité de changer de valeur en cours de route. C’est sûr, le numérique allait changer notre vie. On ne savait pas alors que ce changement aurait aussi des effets pervers…
Montée en iso, une spec accessoire ?
• En photo tout se paye cash
Effets pervers, dites-vous ? Oui, et pas qu’un peu. Parce que si nos premiers reflex numériques étaient capables de pousser la molette vers le haut, les conséquences sur l’image n’en étaient que plus désastreuses. En photographie, tout se paye, cash. Plus on pousse la sensibilité, plus on obtient d’effets indésirables. Du bruit numérique sur l’image et ça on s’en est rapidement rendu compte. Alors au début, quand on obtenait une image potable à 1600iso on était déjà bien content. Les choses ont rapidement évolué et on a pu disposer de reflex capables de travailler à 3200iso tout en sortant une image relativement propre. Mais le ver était dans le fruit. Les photographes avaient une gourmandise, que dis-je ? Une frénésie de haut iso, au point que la problématique de la montée en iso est devenue un point essentiel dans la liste de specs des reflex numériques. En gros, si tu n’avais pas un boîtier capable de monter à 25600iso tu avais raté ta vie. J’en parle en connaissance de cause. Je n’ai pas été le dernier à mouiller mon kleenex de mes larmes de joie quand j’ai vu apparaître Nikon D3s et sa spectaculaire montée en iso. Oh my God ! Pensez-donc, mon reflex était capable de dépasser les 100Kiso, c’était Byzance ! La montée en iso occupait le terrain marketing et on ne parlait plus que de ça, alors que les qualités de Nikon D3s étaient tout autres que cette spectaculaire et ridicule montée en iso. Si D3s était le prince des reflex, en ce début d’année 2010, ce n’était pas parce qu’il franchissait la barre quasi mythique des cent mille iso. C’était un boîtier fabuleux mais pour tant d’autres raisons ! Mais ça, on ne le voyait pas parce qu’on était focalisé sur ce chiffre et sur cette foutue montée en iso. J’en suis revenu, en grande partie et paradoxalement grâce à Nikon D3s…
• Le confort de la montée en iso
C’était établi. Mon reflex était capable de monter haut dans les iso. J’ai testé, j’ai fait des images à 12800iso qui restaient exploitables. Exploitables, ça ne signifie pas une image pure, top qualité. Parce que D3s, tout optimisé qu’il était, était naturellement meilleur à 3200iso. Voire moins. C’est avec lui, finalement, que j’ai fait machine arrière, en m’interdisant la facilité de la montée en iso. En réalisant aussi, que la plupart du temps, dans la plupart des conditions de lumière, on avait tendance à pousser la molette, juste pour le confort. Travailler à 3200iso alors que vous pouvez facilement descendre à 800iso (voire moins) au seul prétexte que votre reflex est capable de sortir une image propre à ce niveau d’iso, de vous à moi, c’est crétin ! Mais je ne jette la pierre à personne et je balaye devant ma porte parce que j’ai aussi agi comme ça. Jusqu’au jour où j’ai réalisé mon erreur, peu de temps finalement après avoir acheté mon premier Nikon D3s. Ce merveilleux reflex capable de sortir un belle image à 3200iso est aussi en mesure de vous scotcher si vous travaillez à 400iso. Ce qui était vrai avec D3s le fut également avec Nikon D4s, quatre ans plus tard, avec ce boîtier permettant de pousser les iso au delà de 400K. Ça l’est encore aujourd’hui avec Nikon D5 qui atteint des niveaux stratosphériques, puisque désormais on parle en millions d’iso. Une chose est sûre. S’il y a bien une spec dont je me fous éperdument, en 2017, c’est bien la montée en iso. Mais ça reste un bel argument commercial pour les marques, un peu comme la taille du capteur et la course aux mégapixels.
• La montée en iso ? On s’en balance.
Et pourtant, on ne vous parle que de ça. Un exemple ? Nikon vient de sortir un reflex, D850. La première chose dont on va vous parler, la première chose que les blogs vont tester (avec des boîtiers de pré-série, est-ce bien raisonnable ?), c’est la montée en iso. Pour côtoyer pas mal de photographes, je peux vous dire que la montée en iso, la plupart d’entre eux s’en balance ! Les vraies problématiques sont ailleurs. On va vous parler de durabilité, d’endurance sur le terrain, de résistance à l’humidité, à la poussière. On va évoquer les problématiques d’autofocus, de la capacité d’accrocher un point en basses lumières, de vélocité, de la capacité de shooter en mode rafale et en RAW avec un gros buffer. On va parler de qualité d’optiques ou évoquer la taille d’un capteur et surtout de ce qu’on peut en faire. Soyons clair. Vous ne trouverez pas un photographe qui frissonnera parce que le capteur de Nikon D850 fait 46mp ! Clairement, cette info en soi ne présente quasiment aucun intérêt. En revanche, quand on évoque la polyvalence du capteur, sa capacité à mixer sous-définitions et modes de crops, alors là oui, les photographes tendant l’oreille. Ironie du sort, Nikon D850 ne met pas en avant dans sa liste de specs une fabuleuse montée en iso et ce n’est sans doute pas par hasard. Parce qu’il y a mieux, avec le capteur backside illumination par exemple. En attendant, on va encore voire passer des tests de laboratoires tendant à nous prouver que la montée en iso c’est le Saint Graal des reflex. Rien n’est plus faux. Aujourd’hui, pratiquement tous les reflex du marché, toutes marques et gammes confondues, sont capables de sortir une image propre à 3200 voire à 6400iso. Alors, un conseil. Cessez de toujours vouloir pousser la molette vers le haut et agissez avec raison. Si votre reflex est capable de vous sortir une image propre à 3200iso, il est sûrement capable de vous éblouir. Il suffit de pousser la molette vers le bas.
• illustration : PJ Harvey aux Vieilles Charrues en juillet 2011 (Nikon D3s, Nikkor 70-200mm f/2.8 VRII, focale 200mm, 800iso, 1/320s, f/7.1)
Romain dit
« Travailler à 3200iso alors que vous pouvez facilement descendre à 800iso (voire moins) au seul prétexte que votre reflex est capable de sortir une image propre à ce niveau d’iso, de vous à moi, c’est crétin »
Oui mais non 😁 ça sert quand même bien à quelque-chose lorsque vous avez besoin de saisir une scène qui est en limite de luminosité (tombée de nuit, pièce mal éclairée, …), non ? 🤔
C’est quand même plus pratique avec les montées en ISO actuelles que celles permises il y a 5 ou 10 ans…
Je parle pas de monter à 128k mais déjà juste à 3200 ou 6k ça peut rendre de vrais services…
Hervé LE GALL dit
Oui mais oui, on est d’accord en fait. Si les conditions de lumière permettent de bosser à 800iso c’est crétin de bosser à 3200iso. Si les conditions ne le permettent pas, c’est aussi crétin de s’interdire de bosser à 3200 ou à 6400 voire plus le cas échéant. C’est clair qu’aujourd’hui on a plus de latitude qu’il y a dix ans. Je pense que dans une grande majorité des cas, on peut largement se contenter de la limite des 3200 iso en sachant qu’à cette limite on aura un résultat correct.
Bertrand dit
Entièrement d’accord. J’ai aussi été un bouffeur d’iso dès mon D700 puis D3s (le pied) et le D4.
J’ai connu la démarche de l’économie à l’iso lors de mon passage chez Fuji. Avec mes Nikon, c’était du velours grâce à ses iso. J’ai dû revoir ma façon de bosser grâce/à cause de Fuji (qui est bien moins bon en iso. Faut l’avouer).
Maintenant si tu fais beaucoup de portrait (studio ou pas), tu attaches moins d’importance à cette spécification.
En plus, je ne suis plus geek. J’ai toujours un X100, un X-Pro1 et un X-T1. Comme quoi 🙂