Sabine Weiss. Une page d’histoire de la photographie.
Sabine Weiss, photographe suisse, née en 1924. Quatre-vingt onze piges, excusez du peu. Je l’avais ratée (d’un rien) au Salon de la Photo en 2014 et je m’en étais voulu pendant des semaines, alors quand en début d’année l’UPP (Union des photographes professionnels) a annoncé sa venue comme invitée d’honneur aux Rencontres annuelles, je n’ai pas réfléchi. Ni une, ni deux, j’ai calé mon week-end parisien, réservé mon billet de TGV. Je voulais la voir, la rencontrer, un peu mieux la connaître, l’écouter parler, l’écouter se raconter. Raconter son parcours, ses rencontres. Car Sabine Weiss, c’est un peu plus qu’une grande photographe. C’est une belle et grande page de l’histoire de la photographie. Je connaissais déjà son travail, admirable à tout point de vue, il me manquait le feeling, le son de sa voix et par dessus-tout je voulais croiser son regard, son œil intime. Je voulais voir, j’ai vu et je vais mettre du temps à m’en remettre.
J’ai rendez-vous avec l’UPP à la Fondation Biermans Lapôtre pour cette rencontre annuelle. Un grand bâtiment, belle époque, à la déco un peu baroque. Sur le fronton, tout en haut, on peut lire le millésime, 1926. En passant la lourde porte, je souris en pensant que cette honorable bâtisse a presque le même âge que Sabine Weiss. Drôle d’endroit pour une rencontre. Des éditeurs présentent leur travail, il y a entre autres Escourbiac, qui a réalisé le beau livre « L’œil intime » de Madame Weiss. D’ailleurs pendant la présentation, la photographe ne manquera pas de le dire : « Je conseille aux photographes de faire eux-mêmes leur livre photo ! Aujourd’hui à moins de faire une expo internationale, on ne trouve plus un éditeur pour publier nos photos. Alors autant le faire soi-même hein ? » Elle est comme ça Sabine Weiss. Cash. Je vais vous faire un aveu, j’ai bu ses paroles comme du petit lait. Je l’ai trouvée touchante, honnête, loyale et surtout magnifiquement sincère ! J’ai aquiescé à la plupart de ses propos, et en toute modestie je me suis retrouvé dans ses avis sur la photo et ce milieu. J’ai réalisé aussi que même si les choses ont considérablement changé, notamment avec l’introduction de la photo numérique, l’état d’esprit, lui, est resté le même. « J’étais témoin, je ne me suis jamais considérée comme une artiste. Mon mari était peintre, lui c’était un artiste. Moi j’ai fait photographe parce qu’il fallait bien faire quelque chose ! J’ai fait de la photo pour manger, au début j’échangeais des photos contre de la viande à la boucherie. Je vivais pour la photo. Souvent la nuit, je me réveillais, mon mari me disait de quoi rêves-tu ? Je rêvais de photo. » En deux ou trois phrases, Madame Weiss m’avait emballé et pesé, je serais bien resté l’écouter des heures. « À mon époque on ne savait pas le nom des photographes ! » J’ai eu envie de lui dire qu’aujourd’hui non plus. Elle parle de son rapport avec les autres photographes, nous dit qu’elle n’était pas inspirée par les autres. Voilà, c’est ça. Sabine Weiss a vécu sa vie de photographe avec l’insouciance d’une jeune femme libre, bien dans sa tête. Elle nous raconte qu’elle faisait des photos de vitrines de grands magasins parisiens, qu’un jour elle a vu un clochard qui dormait devant une vitrine. Elle a trouvé ça décalé, alors elle a déclenché, one shot. Une photo qui fera date. On lui demande si elle préférait travailler en couleurs ou en noir et blanc, elle répond avec une sincérité et une honnêteté désarmantes. « Pour Vogue, par exemple, je travaillais en couleurs, évidemment. Mais moi, j’aime mieux le noir et blanc, c’est plus facile ! » Une page d’histoire ancrée dans la réalité. Elle nous parle de son Rolleiflex mais nous glisse en clin d’œil : « On ne va pas parler de matériel n’est-ce pas ? De toutes façons, vous vous y connaissez beaucoup mieux que moi ! » Sabine Weiss parle de son passé sans aucune nostalgie, plutôt avec une bonne dose d’amusement et toute la salle est sous le charme. « À l’époque où je bossais avec une chambre grand format, c’était le magazine Life qui nous fournissait le film. J’ai retrouvé un carton d’emaballage du film, sur la boîte il y avait écrit la sensibilité, 6 asa. Comment pouvait-on travailler à 6 asa ? Je ne sais pas ! » 6 asa ? Je pense en souriant à mon D4s reçu la veille, dont la molette de sensibilité monte à plus de 400Kiso…
Délicieux. C’était un moment délicieux que cette rencontre avec une grande dame dont le parcours se confond lui-même avec l’histoire de la photographie. Au delà de la qualité même de son travail photographique, j’ai été béat d’admiration pour ce qu’elle est, une sacrée bonne femme et un caractère bien trempé. Car Sabine Weiss fait partie de ces femmes que j’aime. Capable de tacler un vendeur de chez Kodak qui refuse de lui vendre une pellicule Ektachrome B 120 asa, au prétexte que « ça n’existait pas ». Elle lui tiendra tête et finalement le chef des ventes finira par avouer que cette pelloche, personne n’en veut et que si ça l’intéresse, il en a un carton plein dans le fond de sa réserve. Pugnace et féministe dans l’âme, Madame Weiss. Il ne fallait pas se laisser faire par les autres, majoritairement des hommes. « Vous savez, les confrères… Il n’était pas rare de se faire voler des photos ! » Toute la salle est à la fois bouche bée et sous le charme. Sabine Weiss conclut en souriant : « J’ai eu beaucoup de chance. » Magnifique et sincère. Et puis ce regard. Dans le regard de Sabine Weiss se consume toujours le feu et on la sent prête à s’enflamer à la moindre étincelle, encore. Même si cette grande dame ne fait plus de photo (« Les appareils photo sont bien trop lourd ! ») moi je suis sûr qu’elle continue d’engranger des clichés dans son infinie mémoire. Ces clichés-là n’appartiennent qu’à elle et personne ne les verra jamais. Je l’ai vue me sourire, quand je lui ai parlé de mon petit-fils Victor qui sera, lui aussi, peut-être un jour photographe. J’ai eu ce magnifique privilège de croiser ce regard, d’apercevoir la lueur derrière ce petit air malicieux de l’enfant que Madame Weiss est toujours restée. Cette volontaire malice, si chère au coeur de Robert Doisneau. Oui, Madame. J’ai plongé avec délice dans votre regard qui a su capter tant d’images simples et humanistes, en plus de sept décénies de photographie et savouré avec vous l’éternité de l’instant.
• cliché : Portes de Vanves, 1953 par Sabine Weiss.
• voir le site internet de la photographe
• voir le site de l’UPP (Union des photographes professionnels)
Jimmy dit
Merci pour ce moment que tu nous fais partager. On sent beaucoup d’émotion derrière cet écrit. Cela a dû être une sacrée belle rencontre.
Bertrand dit
Quel moment de grâce tu as eu !
Lucie dit
Merci pour le récit de cette rencontre !
Alexandre dit
Merci, joli Article
Sophie dit
Je crois que c’est ce qu’on appelle une passionnée : « Qu’est-ce que tu fais ? Je rêve de photo. » Tout est dit.