Nikon D800 versus EOS 5D Mark III.
Il y a quelques jours, j’ai reçu un message d’un jeune photographe me demandant conseil pour l’achat d’un boîtier. De vous à moi, c’est le genre de demande que je n’affectionne guère, selon l’adage que les conseilleurs ne sont pas les payeurs. J’allais botter en touche quand je me suis finalement ravisé, surtout parce que le photographe en question est un pote et parce que j’ai réalisé qu’à y regarder de près, je n’avais pas de réponse satisfaisante à lui apporter. Ce photographe fait un peu de tout, comme tout le monde. Un peu de reportage, un peu de mode, du portrait en studio, du packshot, de l’événementiel et quelques concerts de temps en temps, pour le plaisir. Il est déjà équipé en Nikon, il voudrait un reflex plein format, léger et polyvalent. D’accord. Je connais un boîtier magnifique et polyvalent chez Nikon, un reflex capable d’assurer sur tous les terrains, truffé de qualités mais qui n’a qu’un défaut, son prix. Aujourd’hui, mettre 6000€ (prix public TTC) dans un reflex n’est pas donné à tout le monde et surtout pas à un jeune qui débute. Donc D4 et a fortiori Nikon D4s, on oublie. What else ? Nikon D800.
• Nikon D800. Size matters.
Est-ce que, dans le cas présent, compte tenu de ce que je sais, je conseillerais D800 ? Je n’en suis pas sûr. Nikon D800 est un excellent boîtier, notamment en studio où son capteur de 36mp n’a pas à rougir devant un boîtier moyen format. Il délivre une image, un négatif numérique d’une exceptionnelle qualité, pur jus en particulier sur le modèle D800E où l’absence de filtre passe-bas fait des miracles. En revanche, D800 me semble manquer d’un brin de polyvalence, notamment aux chapitres reportage et live, même si j’ai vu des images de concerts ou de photo animalière assez bluffantes réalisées avec ce reflex. Finalement le plus important n’est pas là. Là où le bât blesse, c’est dans la taille des fichiers générés par la bête, car comme disait Debra Morgan : « Size matters. » Avec D800, il ne suffit pas d’appuyer sur le déclencheur, encore faut-il pouvoir assurer derrière. Et derrière on a quoi ? Mazette ! Des fichiers RAW pleine bourre à 70Mo l’unité et je ne parle même pas des fichiers jpeg où l’on avoisine les 25Mo… Il ne s’agit même pas uniquement de taille, de capacité de stockage (on loge 200 clichés NEF sur une carte 16Go), mais aussi de capacité de traitement. Avoir un D800 aujourd’hui, c’est aussi compter sur les investissements induits : cartes de stockage, disques durs et puissance de l’ordinateur pour aller avec. J’ai testé des fichiers RAW de D800 sur mon iMac, comparés aux fichiers de mon D3s j’ai eu l’impression d’avoir pris vingt ans. Et là vous me dites, quand on aime, on a toujours vingt ans. Eh bien non, justement. Last, but not least. Nikon D800 est une diva, un reflex haut de gamme sur lequel on ne peut monter que des optiques haut de gamme. Désolé d’être aussi direct, mais tes cailloux à deux balles non stabilisés que tu utilisais sur ton D7000, tu oublies. Avec Nikon D800, pour transcender la qualité du capteur, toucher à la perfection visuelle, il faut taper dans de l’optique classieuse. Comprendre Nikkor, sinon rien.
• D800 versus 5D Mark III.
J’étais bien embêté. Allais-je conseiller un D610 ? Ce petit boîtier plein format dont j’ai dit tout le bien que je pense ici-même ? Soyons clair, rien de comparable en terme de qualité de conception ou de réalisation d’un D800. Non, il faut voir les choses en face. Chez Nikon, il y a comme un trou dans la gamme pro, un chaînon manquant. Il n’y a pas un boîtier performant, véloce, léger, polyvalent, accessible en prix, full frame, avec une taille de capteur qui demeure raisonnable. Je suis désolé de le dire aussi crûment, mais Nikon D800 ne me semble pas remplir l’ensemble de ces conditions, alors qu’en face, chez Canon, on propose un reflex numérique dont on pourrait penser qu’il a été conçu en suivant, justement, ce cahier des charges. Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre les raisons qui justifient le succès de EOS 5D Mark III. C’est le boîter qui séduit, notamment, les jeunes photographes qui cherchent un premier reflex solide, capable de les suivre partout, tout en demeurant relativement léger à traiter. On m’a souvent demandé de réaliser un benchmark entre les deux reflex. C’est impossible, tant ces deux-là s’opposent. Nikon D800 (36mp) dispose d’une puissance de feu numérique que EOS 5D Mark III n’a pas, mais EOS 5D Mark III (21mp) a une magnifique polyvalence qui fait cruellement défaut à Nikon D800.
• Où l’on reparle de sous-définitions.
La première réflexion qui vient à l’esprit tient dans la taille du capteur de D800. Trente six mégapixels, c’est beaucoup et d’aucuns vous diront que c’est trop. Trop ? Montez donc un Nikkor 85mm f/1.4 sur un D800E et faites un portrait en studio, vous changerez rapidement d’avis. Oui, mais la vie n’est pas faite que de portraits en studio. Bien sûr, si l’on pouvait faire avec D800 ce que l’on peut désormais faire avec Nikon D4s, à savoir opter pour une sous-définition, un format RAW allégé, qualifié de RAW-S, le problème serait sensiblement contourné. Imaginez deux secondes un reflex numérique dont on pourrait librement fixer la définition du capteur. La taille ne serait plus un problème, bien au contraire, mais est-ce possible ? Les développeurs Nikon estiment qu’un fichier NEF est un négatif numérique, qu’on peut développer en jpeg selon l’usage approprié à son besoin, mais quelque soit le choix on conserve toujours la pleine substance du capteur. On comprend que dans ce contexte, Nikon n’ait pas induit de notion de sous-définitions dans D800. Mais les choses évoluent et la position de Nikon est désormais moins tranchée, avec l’apparition de cette fonctionnalité sur Nikon D4s qui propose un format RAW-S équivalent à un quart de définition du capteur. On garde toute la puissance du RAW, toute sa pertinence tout en ayant un fichier plus léger à transférer, et ça c’est bigrement intéressant ! À titre d’exemple, sur un D4s et son capteur de 16,2mp, un quart de définition du capteur permet de générer un fichier à taille réduite de 2464 x 1640 pixels sur 12 bits (au lieu de 14 bits pour un fichier RAW standard). Je vous laisse imaginer tous les bénéfices de cette fonctionnalité transposée à un reflex du calibre de Nikon D800 et son capteur de 36mp.
• C’est quand le bonheur ?
Je vous vois venir. Là, vous me demandez pourquoi Nikon n’intègrerait pas cette fonctionnalité sur D800 ? Il semble bien, malheureusement, que les sous-définitions ne soient pas des spécifications que l’on peut ajouter par firmware. En revanche, je veux bien parier un Breizh Cola au prochain salon de la photo, que le successeur de Nikon D800 implémentera la fonctionnalité RAW-S et permettra de gérer des fichiers NEF de qualité intermédiaire. Si entre temps la taille du capteur pousse encore au delà de 36mp, c’est une fonctionnalité qui pourrait être tout bénéfice pour Nikon. Et la grande question est : quand ? Il s’est passé deux ans entre l’annonce de D4 et celle de D4s et pour mémoire Nikon D800 fut annoncé en février 2012, il y a donc deux ans. Peut-on espérer l’annonce d’un successeur à D800 dans les semaines ou les mois qui viennent ? Pas sûr, Nikon ayant déjà fort à faire avec la sortie du nouveau fleuron de la gamme. Mais une chose me semble acquise. Le prochain reflex Nikon D8xx intégrera la fonctionnalité RAW-S. Et plus si affinités.
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