J’aime la danse. J’aime photographier la danse, vraiment. J’ai eu la révélation il y quelques années, alors que j’assistais au Quartz (la scène nationale de Brest), à la soirée de clôture, au singulier pot de départ d’un directeur qui ne l’était pas moins, le génialement curieux Jacques Blanc. Ce soir-là, j’avais pris le choc visuel en pleine gueule, le frisson provoqué par deux danseurs d’exception, François Chaignaud et Cécilia Bengoléa. Dieu que c’était beau. Alors hier soir, je répondais avec enthousiasme à l’invitation de Penn ar Jazz pour un concert aux accents jazzo-hispaniques, mêlant habilement danse et musique, aux confluences entre le jazz et le flamenco. La escucha interior, littéralement à l’écoute de son intérieur, est une invitation au voyage. Un voyage dont je suis revenu secoué, chamboulé mais heureux. Infiniment heureux.
Balayons d’abord un mot qui pourrait en rebuter certains, le mot jazz. Si ce mot vous fait peur, si vous pensez que cette musique est destinée à une élite, vous vous trompez lourdement. Le jazz, c’est d’abord une musique populaire, faite pour le plus grand nombre. D’ailleurs il me semble que le public, hier soir au Family de Landernerneau, avait parfaitement capté le message : la salle, qui était pleine de spectateurs réceptifs, émus, enthousiastes, prêts à déclencher une ola de circonstance, a littéralement réservé un triomphe au groupe emmené par le brillant pianiste Julien Lallier. Quant à Karine Gonzalez, elle porte à bout de bras le spectacle, elle relaye chaque note, chaque tempo. Sa chorégraphie hispanisante est une invitation au voyage intérieur, elle a la fougue, la hargne, la délicatesse, la sensualité. Elle interpelle, elle alpague chaque musicien, contrebasse, percussions, flûtes et chacun lui répond avec brio. Le dialogue est à la fois ironique et sensuel, la fille en rouge et noir est vibrionnante, le regard halluciné et tendre, elle se laisse guider par le tempo. Je ne peux pas m’empêcher de penser à une scène du film « Strictly ballroom » de Baz Luhrman où la grand-mère dit au danseur de paso doblé « Sens le rythme en toi ! » Tu le sens le rythme là ? Ah oui ! On le sent bien…
Ce voyage intérieur est aussi une invitation à la musique, la belle, la grande, celle dont Charles Baudelaire disait qu’elle nous emporte comme une mer. C’est beau, émouvant, les flûtes se font salement rock, elles évoquent Jethro Tull, l’orient et le Kashmir de Led Zep, un bon gros son bien rock, avec cette pointe d’élégance qui n’appartient qu’aux musiciens de jazz. On aimerait que le voyage dure encore, qu’il soit un peu plus long. Mais l’histoire entre la jeune princesse hispanique et ses quatre princes charmants se termine, déjà et pour une fois l’histoire d’amour se termine bien. Le public est extatique et rappelle la troupe qui, en guise de cerise, nous offre quelques pas improvisés. Puta de concierto ! Pour un premier contact avec Atlantique jazz festival, le sillon est tracé, la route est flamboyante et il suffit de la suivre. Et mon petit doigt me dit que le meilleur est à venir…
• La escucha interior, de gauche à droite : Joan Eche-Puig (contrebasse), Antony Gatta (batterie, percussions), Karine Gonzalez (danse, chorégraphie), Joce Mienniel (flûtes), Julien Lallier (piano, composition)
• vendredi 11 octobre, concert à L’estran de Guidel (Morbihan) à 20h30. Un conseil ? Allez-y !