J’aime bien être agacé, dès potron minet. Ah ! Un bon article sur un photographe qui expose ses œuvres à la maison de quartier en nous expliquant le pourquoi du comment de son travail, de son approche humaniste, de la captation de son regard sur l’autre, voire éventuellement sur les autres, en vérité je vous le dis, rien ne peut m’escagasser autant que ce ton pétatoire d’appuyeurs de bouton. Mais je m’égare, le propos du jour c’est que le journaliste, qui s’y connaît autant en photographie que moi en biologie cellulaire, nous explique que le photographe a choisi un appareil argentique russe, ou chinois je ne sais plus, de ces boîtiers en plastique à deux centimes d’euro, pour laisser une part à l’aléatoire, mieux encore pour exploiter les défauts de l’appareil et finalement tenez-vous bien (tenez-vous mieux) pour « revenir aux fondamentaux de la photographie ». Et là je dis stop. Là, j’avale ma biscotte beurrée de travers et je m’étouffe en solitaire dans ma cuisine. Enough is too much.
Lomo, Diana, Holga, même combat. Autrefois soviétiques, ces appareils cheaps séduisaient la ménagère des Balkans à l’Oural, par son fonctionnement on ne peut plus simple. On logeait une pellicule dans la boîte plastique et on priait Lénine et tous ses sbires pour être tombé sur une bonne série, comprendre de celle qui avait été correctement assemblée sur la chaîne de montage par des ouvriers désabusés à qui on avait proposé l’heureuse alternative de monter des Lomo en plastique ou de faire quinze ans de goulag. Donc de temps en temps, autant dire souvent, la qualité n’était pas franchement premium, les fuites de boîtiers occasionnant à coup sûr des films voilés. Ah ! CCCP c’était l’bon temps camarade boljemoï ! Et puis toutes les bonnes choses ayant une fin, on a finalement décidé d’en mettre une à l’époque stalinienne et à son bilan globalement positif, comme disait ce cher Georges. On pensait l’épopée de Lomo et de Holga terminée, mais c’était sans compter sur quelques hipsters occidentaux qui n’allaient pas tarder à se pâmer sur les vertus d’une photographie qui laisse la part belle au hasard, à défaut de talent.
Seulement voilà. La photographie ne laisse rien au hasard et rien n’est plus agaçant que de croire le contraire. Mais au delà de ce constat, lorsque je lis qu’un Lomo ou à défaut n’importe quel boîtier en plastoc de ce calibre, dôté d’optiques, enfin d’optiques… De lentilles, plutôt, en vulgaire matière plastique, peut générer une image digne d’entrer au pinacle de l’art contemporain, je me marre doucement, même si en matière d’art contemporain on a déjà vu pire. Ne vous en déplaise, chère Daniéla, le plastique, en photo, c’est pas fantastique. Ça c’est fait. D’autre part je ne laisserai pas dire qu’on peut revenir aux fondamentaux de la photographie en s’appuyant sur la théorie du hasard et de l’aléatoire. On peut s’amuser avec un Lomo, créer des images rigolottes, mais comme aimait à le rappeler notre cher Rabelais science sans conscience n’est que ruine de l’âme. Les fondamentaux de la photographie, c’est maîtriser et doser la lumière, adapter une vitesse d’obturation avec un diaphragme, une sensibilité, une focale, c’est un acte pensé, réfléchi et je ne parle même pas de concepts comme la profondeur de champ ou le cadrage. En photographie comme en amour, pour reprendre les mots de ce cher Étienne* il n’est pas de hasard, il est des rendez-vous, pas de coïncidence. Faire croire qu’on fait de l’art en laissant une grande place au concept de hasard est une duperie qui ne tient pas la route. Si vous voulez vraiment vous amuser sans dépenser trop d’argent, vous trouverez facilement un vieil appareil reflex argentique à objectif interchangeable qui n’attend que vous pour repartir à l’aventure. Vous verrez, c’est très marrant et entièrement manuel et même pour certains d’entre eux qui ne disposent pas de cellule incorporée, il vous faudra analyser la lumière à part. Mais vous comprendrez vite que le hasard n’est pour rien dans votre acte et que si vous ramenez de jolies images, vous ne le devrez qu’à vous-même et pas à une vulgaire boîte en plastique à deux roubles. La photographie c’est un challenge, une belle aventure dont on ressort perdant ou vainqueur, mais au moins on a essayé de maîtriser tout ce joyeux bordel, de paramètres qui se confondent, cette joyeuse alchimie complexe. Et quand on y arrive, quand on regarde l’image sur le papier avec émotion, on se souvient de tout ce qu’on a dû mettre en œuvre pour en arriver là. Croyez Nietzsche sur parole. Nul vainqueur ne croit au hasard.
(*Daho)
ush dit
je croyais que justement l’attrait de ces toy camera était de sortir les meilleures images possibles en regard de la pauvreté du matériel, un challenge que tu as eu le loisir de relever ?
j’ai un ou deux trucs à te prêter si tu veux .. loin du cliché du fameux hipster (srlsly .. harvey ..) certains y trouvent leur compte, voir l’ami pascal sur la cote nord :
http://imageslatentes.blogspot.fr
harvey dit
Non sérieusement… Comment dire ? J’ai passé ma période expérimentation photographique depuis un bail, entre mes douze et mes quinze ans. Aujourd’hui pour ma part, je n’ai pas de temps à investir dans ce segment, même si je prends beaucoup de plaisir à sortir mes reflex d’antan de temps en temps pour aller cramer une pellicule. Si des gens s’amusent bien avec leur Lomo ou leur Holga, grand bien leur en fasse, l’important finalement c’est de s’amuser. De là à croire que le hasard est maîtrisé, il y a un pas que je ne franchirai pas…
harvey dit
Ah et sinon depuis que j’ai écrit mon article, j’ai l’hymne soviétique dans la tête. C’est ballot !
@emeric dit
Avez-vous une dent contre Olivia Ruiz
harvey dit
@emeric no offense mais je ne vois pas trop ce que Olivia Ruiz vient faire dans le débat ? Je n’ai évidemment rien contre Mademoiselle Ruiz, bien au contraire si j’ose dire ! Nous nous connaissons de longue date 😉 http://www.girlsrock.fr/2011/08/18/olivia-ruiz-live-shot-at-cabaret-vauban-2004/
PhilippeB dit
Ouai, moi j’ai une chanson des poppys qui ne me lâche plus …., ça me gonfle
@emeric dit
c’était une boutade en rapport à son dernier opus, j’apprécie votre travail
Plus sérieusement le matos c’est à la fois tout et rien
Un lomo bien maitrisé peut faire des merveilles mais il est plus facile de » fixer sur la pellicule » cet instant avec une ouverture de 1.4 ou de 2.8
harvey dit
@Philippe c’est ma journée 😉 Non pour les Poppys t’es gentil tu te le gardes. 🙂
@emeric j’ai de merveilleux souvenirs d’Olivia Ruiz, surtout àses débuts 😉 Concernant le Lomo, honnêtement je ne suis pas sûr qu’on puisse « bien le maîtriser ». C’est d’ailleurs cette absence de contrôle qui le rend amusant !
PhilippeB dit
ouai, pour moi la lomo, c’est comme les poppys …. c’est marrant 5mn et ensuite ça me gave ….
harvey dit
Le truc marrant aussi c’était d’adapter un dos polaroid sur un Holga, on surnommait l’ensemble Holgaroid. Mais bon pareil quoi ça va cinq minutes et en plus les films polaroid c’est pas franchement donné…
Le Manouche dit
Peut être voulait il dire par fondamentaux, les bases pas nécessairement techniques ? Personnellement une bonne image passe par le regard porté sur le sujet, la composition de l’image, la magie de l’instant… Les détails techniques me passionnent peu (attention je dis ça, mais j’adore sortir aussi bien avec mon fm2,ou mon kiev 60 qu’avec mes boitiers de merde)… mais balancer comme ça sur une façon de photographier ça me fait marrer… Comme le débat entre argentique ou numérique ou encore canoniste ou nikoniste… il se trouve toujours de tout bord quelqu’un pour vous dire que la seule façon de faire de la photographie, c’est la sienne… un peu comme la religion quoi…
Juste histoire d’illustrer mon propos … http://www.flickr.com/photos/el_mexicano/3471900352/
Et quelqu’un dont j’admire le travail et qui est d’une grande générosité, et humilité : http://www.remilagoin.com/portfolio.php#
Ce portfolio est fait avec un holga, je dis ça, je dis rien…
Bonne soirée.
Mastaba dit
Oui, après avoir entendu à tord et à travers que « c’est pas le matériel qui fait le photographe » en réponse à l’achat de matériel pro par des amateurs fortunés soi-disant incompétents, voilà une critique de la photo faite avec du matériel peu performant.
Amusant quand même de toujours voir des généralités élevées au rang de règle d’Or en ce qui concerne la photo, que ca concerne le matériel, le photographe ou la photo en elle même.
Et celà juste avant l’article sur l’art d’enfreindre les règles, art lui même basé sur d’autres règles à ce qu’il semble…
Amusant aussi de voir dans les articles connexe celui sur le NiceFlex qui donne un avis totalement opposé, ainsi que celui sur la sténopé, tout deux pourtant bien loin d’offrir tout le confort et toute la précision scientifique apparemment requise pour oser faire de la photo.