Il y a quelques jours, il s’est passé deux ou trois évènements dans ma vie de photographe défroqué, coup sur coup. D’abord, et c’est ce qui me peine le plus, j’ai eu un échange téléphonique avec un jeune photographe pour qui j’ai beaucoup d’estime, car il est pétri de talent, d’idées novatrices, comme on peut (on doit) en avoir à son âge. Habituellement, mon interlocuteur est d’un optimisme forcené, là, je l’ai senti éteint, fatigué, désabusé. En substance le gars, un habitué des fosses et des concerts, m’a expliqué sa lassitude, son ras-le-bol. Marre de devoir faire le pied de grue pendant trois mois auprès des prods pour obtenir une accréditation et se retrouver le jour venu dans une fosse pleine de touristes japonais, et surtout marre de bosser pour rien. Donc, exit les concerts, direction le mariage ou le corporate, où le talent, au moins, est un tant soit peu reconnu. Dont acte. La reconnaissance du talent. Déjà, pour savoir reconnaître un bon cliché d’un mauvais il faut avoir un certain regard et ça c’est pas donné à tout le monde mais c’est un détail. Non, ce qui me chagrine, c’est de voir que les bons photographes désertent un à un les pits et les salles de concerts, et pas que les vieux jurassiques, suivez mon regard. La jeune génération a pigé que ce modèle économique n’est désormais plus viable et qu’il y aura de moins en moins d’argent à gratter à aller se casser le cul à taper des concerts jusqu’à pas d’heure, quand on n’est pas limités aux trois premiers titres sans flash. Ça c’est pour l’aspect technique. Il y a le côté humain.
Il ne se passe pas un jour sans qu’on me demande des clichés gratuitement. D’abord, parlons gwennegs. Comment je fais pour vivre, moi, si je file des clichés gratos, tout le temps ? Et puis au delà des considérations purement vénales, que vaut mon travail ? Il y a quelques jours, on m’a demandé des clichés pour la promo d’un groupe. D’abord, j’avais publié un cliché, on m’a demandé si j’avais « autre chose ». Non. Je ne vends pas mes clichés au poids, si j’ai choisi de montrer ce cliché-là ce n’est pas un hasard. Donc « autre chose » ça sera, à mes yeux, moins bon. Ensuite on m’a fait comprendre que mes clichés seraient crédités (quel bonheur…) et que « ça me ferait de la pub ». Ah ! Putain de vieil argument éculé ! Quel dommage que je n’ai pas gagné 10€ chaque fois que j’ai entendu ça, hein ? No offense, M’sieurs dames, mais je n’ai pas (plus) besoin qu’on me fasse de la pub. Il serait temps que les « artistes » sur la scène (et les gens qui les entourent) réalisent que le gars qui est dans la fosse, qui est en train de mettre en œuvre sa technique et sa sensibilité pour les photographier, il est AUSSI un artiste. Et que accessoirement, il bosse. Il n’est pas juste là par passion de la musique ou d’un groupe ou d’un artiste, ou parce qu’il a vu de la lumière et qu’il est entré, non, photographier c’est son job. Et comme il n’est pas considéré, lui, le p’tit gars bourré de talent en qui je crois, il va prendre son sac et aller voir ailleurs si l’herbe est plus verte. Et il a raison, parce qu’elle l’est.
J’ai un peu le blues, c’est vrai. J’ai déserté les champs de bataille, les nuits que je connaissais trop bien, je ne fais plus dans la canaille je suis plutôt devenu du matin*… Je fais un peu de jazz pour pas perdre la main et parce que j’aime ça et comme la fourmi, j’attends l’été, alors cette discussion ne me concerne plus vraiment. Mais ça me fait mal au bide de voir des jeunes pros talentueux rendre leur tablier. Je ne peux pas m’empêcher de penser à mon pote Jakez, du Run ar Puñs qui disait : « si tu ne veux pas de concerts saucisse-purée, ne reçois pas tes artistes avec de la saucisse-purée ! » Pour les photos de concerts, c’est idem. Si tous les photographes dont c’est le métier désertent les fosses parce qu’il n’y a pas un rond à gagner et qu’ils ne sont pas considérés, on aura qui à la place ? Des saucisses et une grosse louche de purée.
(*Le défroqué – Miossec)
• photo : Miossec à la Carène Brest (février 2012). Crédit photo : Hervé « harvey » LE GALL
Amélie dit
Oh mon dieu, comme je me sens moins seule d’un coup !!
« Ça vous fait de la pub, on crédite la photo ! » SI j’avais aussi gagné des sous a chaque fois !
Le métier de photographe est vraiment considéré comme un passe-temps qui coute rien. Ça fait peur …
harvey dit
@Amélie 🙂 Voilà quoi.
RAPHALEN dit
Helas, je vois de qui tu parles en tant que jeune talentueux…désolant
Nikolas dit
Je me retrouve dans ce texte et cette fameuse phrase « Ça vous fait de la pub, on crédite la photo » à ce jour
Pour le jeune talentueux, j’espère qu’il nous lira et de ne pas baisser les bras.
TOURE dit
Et bien , il y a quelques jours , je parlais de cet état d’esprit , plus le temps passe plus je me détourne de la photo de concert et pourtant croyez que j’aime ça.
J’ai commencé la photo il y a 3 ans, j’ai la chance parfois de pouvoir dire que ça me fait vivre . J’en fait H24 . L’investissement moral et financier est si lourd … mais aucun regret .
Marre des 3 chansons sous prétexte que l’artiste présente bien . Étonnement , on a peu de lumière sur les 3 premières.. puis début de la 4ème les éclairages apparaissent .
Les maisons de prod , merci de ne jamais répondre pour les accréditations ..
Ma dernière mésaventure était avec un Grand artiste , je l’ai suivi durant quelque mois en tournée … première fois que j’ai accès au saint graal du photgraphes, le Backstage . Quelle magie !!! Puis 1 an plus tard présentation de son nouvel album. Je suis venu assisté à tout ça. je suis resté dans le public . Pensant que je pouvais passer la sécurité , je vois le producteur , je lui fais de grands signes , il vient me voir et me dit » tu n’es pas de la tournée cette année , tu n’as pas accès , on transmettra ton bonjour »
je continue toujours à déclencher mais plus pour cette artiste .. triste ..
Rod dit
j’ai arrete tous les plans gratos. je ne fais que du payant. il y en a. peu, mais il y en a. et je comprends parfaitement tous ceux qui arretent : c’est devenu la foire LOL dans les crashs. La faute un peu à tout le monde, mais surtout aux prods qui ne regardent meme pas le travail de x ou y …. et c’est bien là le probleme : acceder en fosse sans la moindre selection qualitative, en utilisant la technique de la terre brulée, moyen.
harvey dit
@Rod pas mieux.
Yann Buisson dit
Même constat ici, il n’y a plus de règle, beaucoup de gens prêts à faire des photos de concert en parallèle d’une activité de salarié avec un matos que je ne peux même pas me payer par ce que moi qui ai choisi de ne vivre que de ça, je génère à peine de quoi me défrayer, alors changer de matos ou un boitier pro coûte 6000e… Impossible je ne me paye pas !
Cycliquement je me reboost grâce à qq succès ponctuels : couvertures, publications, collaborations, bons échos et encouragements, succès d’estime de la part de collègues pros…
Mais je perds aussi régulièrement la foi.
Par exemple quand je vois les difficultés pour se faire accréditer bien que suivi par un media sérieux puis arriver dans le pit photo de ce gros festival du nord de la France et y trouver parmi d’autres 3 photographes amateurs, débutants et inexpérimentés : de leur propre aveu, dépassés par les évènements et novices dans la photo de concert… Ca me démonte.
Ils n’y sont pour rien, mais ça fait 3 places en moins pour des gens talentueux.
La raison ? La prod est maquée avec un de ces sites d’images de clubbing, exploiteurs d’étudiants avec un reflex.
Le trafic des sites prime sur la qualité de contenu ? Pathétique.
Ou encore ce festival à l’ouest où l’accred a été vraiment complexe à obtenir, où ils ont bookés « trop » de photographes, je fais le déplacement encore à mes frais et je m’entends dire à l’arrivée que je suis sur la liste d’attente et que je dois m’enregistrer auprès des étudiantes bénévoles qui gèrent notre petite troupe pour avoir *peut-être* le droit de shooter certains concerts. Étudiantes à qui on a mis la pression de fada et qui gèrent ça de manière scolaire et fébrile, sans recul, sans liberté de mouvement.
Pourtant dès l’arrivée j’annonce les groupes qui m’intéressent je suis en tête de liste : j’en veux, je ne lâche rien, mais immanquablement sur les tête d’affiche je me retrouve à être dans la masse, n’avoir parfois qu’un seul titre a shooter. Point d’orgue : Gossip ou je fais parti de la première vague d’un groupe de photographes scindés en 3 équipes : je n’ai qu’un titre dans le noir pour faire des images alors que les suivants de mon groupe de « liste d’attente » en ont minimum 2.
Pourquoi ne pas m’avoir dit avant le départ que j’allais être la 5eme roue du carrosse ? Je serais resté chez moi.
Pourquoi se dire débordés par l’affluence de photographes (qui donne les autorisations ??), alors que dans le pit et parmi les prioritaires se trouvent des photographes pro, mais aussi leurs enfants (!) reflex à la main, shootant le même artiste ?! Le Pit est devenu la garderie hype de la période estivale ?
Depuis qq années que j’arpente les salles, le constat est clair : je crois que je peux compter sur les doigts d’une main les photographes dont c’est le métier et qui ne sont là _que_ pour pour produire des images de qualité. Ils sont souvent là depuis plus de 10 ans, survivance du passé.
Les autres sont issus du rédactionnel, pigistes produisant des images moyennes au kilomètre, ou salariés et font de la photo de concert en parallèle pour le compte d’agences, ou voudraient en vivre mais ça ne paye tellement pas que ça reste leur activité secondaire.
Qui reste-t-il : les survivants du monde de la presse qui serrent les fesses tellement les conditions sont devenues compliquées, les happy few mondialements reconnus depuis des dizaines d’années, les stakhanovistes et les autistes de la photo en jpeg aussi shootée aussitôt mise en ligne pour chasser la vente…
Et l’image dans tout ça ??
Explosion des photographes, qui ont cassé leur tirelire pour un matos top niveau et qui font ça en dilettante, ont accès à des concerts courus par ce qu’ils ont été stagiaires au bon endroit et ont les contacts et les passe-droits… En donnant leurs clichés c’est de la concurrence ingérable, dans certains cas, le pire, déconsidèrent carrément leur propre boulot estimant que c’est grâce à l’artiste qu’ils sont là et qu’ils ne sont que des presse-boutons et que c’est *normal* qu’ils donnent leurs photos. On croit rêver.
Nivellement par le bas de la qualité des photos y compris dans la presse écrite (photos pleine page floues, à l’open flash façon 90’s, cadrages discutables, micros devant la bouche…)
Les temps sont durs.
james deere dit
Et celle-là: »toi qui sais dessiner tu me fera bien un petit truc… » tu la connais?
Généralement elle est accompagnée d’un: »mais ton truc vert y faudrait qu’il soit vert… »
Alors en général tu le laisse rouge mais le type trop sympa qui t’as meme pas payer d’un café il l’a salement photoshoppé en vert et recadré