36 mégapixels. 36 MÉGAPIXELS ? J’ai l’impression d’être dans les pompes de Doc Emmett Brown à qui Marty Mac Fly annonce la puissance nécessaire pour permettre à la Delorean de voyager dans le temps (qui je le rappelle pour les non initiés est de 2,21 Gigowatts dans la version française). Quand on est photographe, on sait immédiatement ce qu’un chiffre astronomique comme celui-là signifie. Un truc à vous donner la migraine. Bien sûr, annoncer un reflex de 36 mégapixels (on ne s’en lasse pas) c’est un argument massue vis à vis de la concurrence, c’est d’autant plus étonnant que Nikon nous avait habitué jusqu’alors à des tailles de capteurs disons raisonnables. Mais la raison n’est pas un paramètre valable devant les arguments marketing. Est-ce à dire qu’il faudrait réduire ce chiffre, 36 mégapixels, au seul argument de vente ? Sûrement pas.
D’abord il faut effacer du discours un point qui ne manquera pas de faire débat au café du commerce de la photographie numérique. Nikon suit son chemin, définit ses technologies et cette définition prend du temps. Le fantasme de la réponse du berger à la bergère n’a définitivement aucun sens. Le cahier des charges d’un projet comme D800 ne s’établit pas à la légère, on ne décide pas sur un coup de tête qu’un reflex va afficher 36mp. La liste des specs est définie et le travail commence, un long (très long) processus qui dure de trois à cinq ans. Prenez le projet hybride Nikon V1, par exemple. Un technicien de Nikon corp. me confiait que ce projet a été porté sur les fonds baptismaux il y a cinq ans. Cinq ans pour définir, prédire, deviner, prévoir ce que sera l’état du marché de la photographie numérique à moyen terme. Idem pour le capteur qui n’est pas fabriqué par Nikon (bla bla bla). Nikon dessine son capteur, définit les specs de son capteur, comment chaque pixel doit être traité, le lien avec le processeur, l’intégration dans la machine, etc… Alors que ce capteur soit fabriqué par Pierre, Paul ou Jacques, définitivement, comme dirait Emmett, on s’en balance. Mais revenons à Nikon D800, que j’ai eu en mains.
• Des perspectives jouissives
Premier constat, qu’il est léger, le bougre. Léger et compact, c’est le genre de boîtier idéal pour partir en ballade et voyager léger. Les possesseurs de D700 ne seront pas dépaysés, en revanche les habitués de la série Nikon Dn le seront un peu plus, mais c’est un détail. Nikon D800 hérite d’une foule de specs du D4, processeur Expeed 3, AF optimisé, système de reconnaissance de scène (capteur RVB 91K photosites), 11 collimateurs à f8, … En revanche D800 paye cash l’addition de son capteur maousse au chapitre de la vélocité ou de la sensibilité. Ici, avec 4vps (6 avec un grip) on est loin des perfs du grand frère D4. Idem pour la plage de sensibilités iso, qui affiche un range modeste de 100 à 6400iso, petitement extensible de 50 à 25600iso. En revanche, avec un capteur d’une définition telle, Nikon ouvre toutes grandes les portes de l’image. Ici, côté image, on est dans le superlatif. On est dans le grandiose, la délicatesse, le détail à son paroxysme, le piqué et le rendu. Portraits, paysages, architecture, reportages, … Nikon D800 va permettre de produire des images à un niveau inégalé dans le monde du reflex 24*36. En studio, ce (petit) boîtier n’aura pas à rougir devant la famille du moyen format. Petit, mais costaud. Je suis resté coi devant un agrandissement grand format du cliché (ébouriffant) réalisé par Benjamin Antony Monn à la BNF, avec un D800 et un Nikkor 14-24. Les perspectives (si j’ose dire) de ce boîtier sont jouissives. Quant à la vidéo, parlons-en. D800 crache un flux vidéo en full HD 1080p en format FX et en format DX et comme sur le D4 on peut connecter un enregistreur externe sur le port HDMI.
• D800. Vu de ma fenêtre.
Est-ce que je conseillerais Nikon D800 ? Sans aucun doute. Est-ce que je ferais de Nikon D800 mon boîtier backup ? Probablement pas. Ce boîtier est capable de produire des images haute définition avec un luxe de détails jusqu’alors inégalé dans le monde du reflex 24*36. Nikon pousse le souci du détail, dans tous les sens du terme, jusqu’à proposer une version D800E avec un capteur sans fonction anti-aliasing pour les photographes ayant besoin d’un rendu encore plus pointilleux. Nikon D800 intègre des fonctions de réduction de l’aberration chromatique qui vont s’avérer particulièrement précieuses en photographie d’architecture. Alors oui, c’est vrai, Nikon D800 propose des fonctionnalités de rendu de l’image vraiment enthousiasmantes. Mais vu de ma fenêtre, avec mes besoins, mes spécificités, mon cahier des charges, il y a des paramètres rédhibitoires. La plage de sensibilités finalement assez réduite, l’absence de tropicalisation (flash intégré), la cadence de 4vps, l’ergonomie, le stockage CF/SD, le manque de polyvalence, … et finalement cet énorme capteur de 36mp qui, s’il permet une latitude en terme de crop (songez donc qu’un recadrage viseur au format DX va encore permettre de générer un équivalent 18mp et qu’un recadrage 1,2 un équivalent 25mp…) va générer des fichiers NEF qu’il va falloir stocker (à 50Mo la pièce, je vous laisse faire le calcul) et surtout qu’il va falloir interpréter.
• Nikon va vers les beaux jours.
Nikon D4, Nikon D800 et une offre remarquable dans la gamme Coolpix sur le segment mass market (on en reparlera). Nikon est partout, tient la corde tout en haut avec D4, tente de s’imposer sur le segment vidéo avec ce D800 capable de prodiges. L’année 2012 s’annonce favorable à la marque jaune, même si la vie numérique n’est pas un long fleuve tranquille. On imagine qu’en face, comprendre chez Canon, on n’entend pas rester les bras ballants (pour reprendre une expression désormais culte). Ce grand silence de la marque rouge qui semble, en apparence, plutôt marquer le coup, cache il me semble, une contre-attaque qui pourrait s’avérer fulgurante, surtout sur le segment de la convergence photo vidéo où Canon a acquis un indéniable savoir-faire. Par ailleurs, les rumeurs sur les annonces Canon vont bon train. On connaît déjà le nom de EOS 1DX et on imagine mal que Canon ne propose pas un successeur à son 5D Mark II vedette. Alors qu’il se nomme EOS 5D Mark III ou EOS 5DX n’a finalement que peu d’importance. En revanche, il se murmure qu’on pourrait voir débouler un, voire deux nouveaux reflex Canon, intégrant le format 4K et reléguant du même coup le full HD au rang de l’anecdote pour vidéaste amateur. Ça ne s’arrêtera donc jamais ? Non. Jamais. Et c’est même ça qui rend la vie numérique si passionnante.