Au départ, mon idée c’était d’acheter une optique au format Ai-S pour équiper mon reflex argentique Nikon F100. Tant qu’à faire, j’avais envie d’acheter quelque chose de bien, voire de beau, pourquoi pas de mythique. J’ai choisi Nikkor 85mm Ai-S f/1,4 parce que cette optique collait au projet sur lequel je travaille, mais pas seulement. De mon passé argentique, lorsque je travaillais en Canon, j’ai gardé le souvenir ému d’une optique de ce calibre, FD 85mm f/1,2L, les connaisseurs apprécieront.
J’ai cherché, j’ai pris conseil auprès d’un expert de la marque jaune. Thierry Ravassod de la Maison de la Photographie de Saint Bonnet de Mure, grand collectionneur Nikon devant l’éternel. J’ai pris mon temps, j’ai évalué car il me fallait choisir entre une optique ouvrant à f/2 et l’autre modèle ouvrant à f/1,4, une différence d’un diaphragme qui se paye, cher. Où trouver ce type d’optique, sur quels critères baser son choix ? Car là aussi, on trouve de tout, à n’importe quel prix…
Nikkor 85mm Ai-S f/1,4. Mythique
J’aurais souhaité trouver une optique neuve, de stock, mint inbox, autant dire le rêve ultime. J’ai rapidement été convaincu qu’il ne fallait plus rêver. S’il était encore possible de trouver ce type de rareté en boutique, au Japon, il y a encore deux ou trois ans, aujourd’hui il faut se faire une raison. Une optique Nikkor 85mm Ai-S f/1,4 neuve de stock, de nos jours, c’est mission impossible. En revanche trouver ce type de caillou en état proche du neuf, c’est jouable. Mais il faut savoir être patient et avoir quelques clés permettant d’éviter des erreurs. Je vous livre ici mon expérience, dont je sors plutôt très satisfait.
• Nikkor 85mm Ai-S f/1,4. Une optique mythique.
Ce n’est pas par hasard si cette optique Nikkor fait partie du top 10 des meilleures optiques Nikon de tous les temps. Sa construction optique, la perfection de l’assemblage des lentilles, leur capacité à restituer la lumière sans l’altérer ont contribué à sa légende. Flashback. Cette optique, au format Ai-S est produite par Nikon au tout début des années 80, à partir de 1981 précisément. Elle va se hisser immédiatement au pinacle des best lens ever pour de très nombreux photographes professionnels qui apprécient ses qualités optiques dantesques. C’est la focale portrait par excellence, capable de restituer la splendeur d’une image à pleine ouverture, avec des arrière-plans d’une douceur sans égal (oui, à l’époque, on ne disait pas encore « bokeh »). Bref, Nikkor 85mm Ai-S f/1,4 est un must have et fait un carton.
Un succès qui va durer presque quinze ans, jusqu’à ce que Nikon lance, en novembre 1995, la première mouture de la version autofocus, Nikkor 85mm f/1,4 D IF. Mais, contre toute attente, cette version AF ne va pas pour autant signer la disparition de la version Ai-S, bien au contraire ! La demande est toujours aussi forte et Nikon décide de continuer la production de sa version manuelle Ai-S. Une production qui ne cessera qu’en 2005, soit dix ans après le lancement de la version AF. Un signe qui ne trompe pas. Dès lors, après quasiment un quart de siècle passé au sommet, après s’être imposée comme un must absolu, l’optique de référence en portrait et quelques 66633 exemplaires vendus, Nikkor 85mm Ai-S f/1,4 pouvait entrer dans la légende.
• Le prix de l’excellence
Restait à connaître le prix de l’excellence et pour ça, rien de mieux que le coup de fil à un ami. Renseignement pris auprès de Thierry Ravassod, le prix de référence, actuellement au Japon pour cette optique se situe en boutique autour de 55.000 yen, soit environ 450€. Sachant que ce prix, fourchette haute, concerne une optique en état « mint » donc proche du neuf, ce qui était l’objet de ma recherche.
J’ai commencé à fouiller les sites de vente en ligne, à commencer par eBay. J’ai pris le soin d’écarter les vendeurs européens qui ont un peu tendance à prendre leurs désirs pour des réalités. On trouve en Europe des optiques à des prix complètement délirants, certains Nikkor 85mm étant affichés à plus de 1000€ ! En revanche, s’il y a bien un pays où l’offre est sur-abondante, c’est bien le Japon. J’ai pointé une à une les offres des vendeurs japonais, une vingtaine au total, sur une feuille Excel.
J’ai enregistré le numéro d’objet sur eBay, le numéro de série de l’optique, le prix demandé, l’état annoncé, la présence de poussières et le niveau de profil du vendeur. Ce dernier point étant important, un profil inférieur à 100 signifiant que le vendeur a déjà reçu des votes négatifs. Enfin, j’ai évalué chaque optique selon mon propre ressenti. Finalement, deux ou trois optiques sortaient nettement du lot. Il restait à tenter une négociation de prix, sachant que le vendeur nippon est souvent ouvert à la discussion, conscient qu’il est de la pléthore d’offres. Au terme d’un échange poli et courtois avec un vendeur, j’ai négocié un prix d’achat intéressant, sensiblement inférieur à la cote annoncée.
• L’importance du numéro de série, entre autres.
S’il est un paramètre essentiel dans la décision d’achat d’une optique Nikkor vintage, c’est bien le numéro de série. Si le sujet vous intéresse, je vous conseille le site de référence Photosynthesis qui compile toutes les versions des optiques Nikon, leurs numéros de série, caractéristiques techniques, dates de fabrication, le nombre d’optiques réalisées. Ce site m’a permis de noter que les numéros de série de Nikkor 85mm Ai-S f/1,4 vont de 179101 à 245723. Le numéro de série de l’optique sur laquelle j’avais jeté mon dévolu étant 230005, il semblait évident qu’il s’agissait d’une optique relativement récente, postérieure aux années 2000, ce qui était confirmé par son état esthétique proche du neuf.
En résumé, pas de traces de choc, pas de rayure sur le fût, une baïonnette propre et non rayée, ce qui signifie que l’optique n’a pas souvent été montée. Pas de trace d’huile sur cette même baïonnette, des lentilles propres, pas de poussières ou de champignons apparents. Un état esthétique et cosmétique impeccable, un numéro de série élevé, j’étais prêt.
• Frais de port, taxe douanière et TVA
Il y a plusieurs options pour faire voyager une optique du Japon vers la France. Le plus rapide, le plus efficace c’est de choisir Fedex ou DHL, mais… En optant pour un transport par DHL, ce qui a été mon cas, je savais que je n’échapperais pas à la facturation des droits de douane (6%), des frais de dédouanement (frais fixes 17,50€) et de la TVA française (20% du montant de l’assiette de taxes). Notez qu’un professionnel assujetti à la TVA (c’est mon cas) peut récupérer la TVA, il reste donc à ma charge les droits de douane et les frais fixes. Une fois ces frais payés, mon optique est donc en règle vis à vis de l’administration des douanes françaises. L’un dans l’autre, le prix total reste cohérent par rapport à la valeur réelle du caillou.
Et là vous me dites ? Est-il possible de passer outre et d’éviter ces frais ? En passant par un transporteur comme DHL ou Fedex, la réponse est clairement non. D’ailleurs, DHL m’a envoyé la facture de frais avant la livraison. J’ai dû payer la facture en ligne pour débloquer mon envoi. Cela dit, la qualité de service de DHL est assez exemplaire. Mon colis est parti du Japon lundi matin, il m’a été livré à Brest mercredi dans l’après midi !
• Le moment de vérité
Le déballage qui précède le moment de vérité est toujours un petit instant de stress. L’occasion de vérifier aussi le soin apporté par le vendeur. L’optique était parfaitement calée dans son carton, emballée, sur-emballée avec force calages et papier bulles. Je la découvre enfin et je réalise qu’elle est aussi parfaite que je l’avais imaginée. Quand un vendeur japonais vous dit mint (état neuf), il y a rarement tromperie sur la marchandise. Bouchon avant et arrière, pas de pare-soleil mais c’est pas grave. Entre temps j’ai trouvé chez un vendeur français un pare-soleil Nikon HN-20 d’origine, neuf en boîte à petit prix (18€ port inclus). En fouillant dans mon stock d’accessoires photo, j’ai retrouvé un filtre UV Hoya 72mm que j’ai immédiatement monté sur mon Nikkor 85mm.
• Une optique premium et polyvalente
Alors ? Est-ce un bon plan que de choisir Nikkor 85mm Ai-S f/1,4 ? Il faut savoir de quoi on parle. Il s’agit ici d’une optique vintage, non AF. La mise au point se fait à la main et le réglage de diaphragme en tournant la bague sur l’objectif. En terme d’utilisation, rien à voir donc avec le confort de l’autofocus d’un 85mm f/1,4 contemporain. Rien à voir non plus en ce qui concerne le tarif. Quand un 85mm f/1,4 AF coûte autour de 1500€, la version vintage se négocie à un tarif trois fois inférieur, environ 500€. Reste à vérifier sur le terrain le niveau qualitatif et là, mazette ! Ça ne rigole pas. Les premiers essais réalisés sur Nikon Z6 via la bague FTZ m’ont littéralement scotché. Avec l’assistance du focus peaking sur Nikon Z, l’absence de l’autofocus en devient presque anecdotique.
Nikkor 85mm Ai-S f/1,4 est une optique en monture F, ce qui signifie en clair que je peux la monter sur tous mes boîtiers Nikon. Sur Nikon F100, en argentique, sur Nikon Z, via la bague d’adaptation FTZ. Enfin sur Nikon D500, avec en plus le bénéfice du coefficient DX, soit un équivalent 130mm ouverture f/1,4. Une optique très polyvalente, donc, capable d’évoluer sur n’importe lequel de mes boîtiers Nikon. Et le rendu d’image ? Comment dire, sans tomber dans l’extase ? Sur Nikon Z, la prise de vue, en plein jour à 100iso, pleine bourre à f/1,4 est à la hauteur de la réputation de ce caillou mythique. Le piqué est au rendez-vous, le flou d’arrière-plan confère à l’image une notion de relief presque incroyable, bref. Ce caillou est magique. Je comprends mieux que les photographes aient poussé Nikon à continuer sa production pour une décennie supplémentaire !
• Nikkor 85mm Ai-S f/1,4. Entrez dans la légende.
En conclusion, oui, acheter une optique vintage Nikkor de ce calibre est résolument un bon plan à tout point de vue. Certes, vous n’aurez pas d’autofocus, mais si vous montez cette optique sur Nikon Z, vous pourrez largement vous en passer. Vous aurez des contraintes, dont j’aurai l’occasion de vous reparler dans un prochain article. Mais finalement, avec cette optique vous allez produire des images premium qui arrachent, avec une qualité razor cut, un bokeh absolument divin, un piqué de fou, une joie d’ouvrir grand, à f/1,4 comme vous ne l’avez sans doute jamais vécu.
J’avais beaucoup entendu parler de Nikkor 85mm Ai-S f/1,4 à l’époque où je bossais avec un FD 85mm f/1,2L monté sur Canon New F1. Je regardais cette optique Nikon avec un petit soupçon de dédain, en me disant que jamais, au grand jamais, aucune optique au monde ne pourrait rivaliser avec le 85 de Canon. Aujourd’hui, force est de constater. J’avais tort.
• merci à Thierry Ravassod, photographe professionnel émérite, collectionneur Nikon au savoir encyclopédique pour tout ce qui touche, de près ou de loin, à la marque jaune, pour ses conseils avisés.
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