Nous sommes le 12 février 2020 et au moment où j’écris ces lignes, quelque chose me dit que ce jour restera longtemps gravé dans ma mémoire. Ce matin, j’ai reçu un communiqué de presse émanant de Nikon France et annonçant Nikon D6. C’est le nouveau vaisseau amiral de la flotte Nikon, le porte drapeau, le flagship comme on dit outre-manche. La dernière fois que Nikon a annoncé un reflex haut de gamme, c’était il y a quatre ans avec Nikon D5. Jusque là, Nikon nous avait habitué à un rythme plus soutenu, depuis le lancement du mythique D3s, à l’aube des années 2010. Il y avait eu D4 puis rapidement D4s, ce dernier venant corriger nombre de défauts techniques imputables au précédent. Quand D5 est sorti, chacun pensait que très logiquement on verrait un D5s aboutir deux ans plus tard. Mais D5s n’est jamais sorti, sans doute parce que la marque jaune avait déjà dans ses cartons d’autres projets en tête. Et qu’elle pressentait aussi, déjà, la fin d’une époque. La visée reflex, après plus de soixante ans de bons et loyaux services, était déjà destinée à rejoindre, bon gré mal gré, le cimetière des éléphants. L’annonce de Nikon D6, aujourd’hui, a drôle de goût. On est partagé entre l’émerveillement, car la liste des specs de ce reflex est réjouissante, et la tristesse, car cette annonce est très probablement le chant du cygne, la fin d’une histoire, le dernier chapitre d’un grand livre entamé à la fin des années 50 avec Nikon F.
Nikon D6. La dernière valse
• Nikon D6, dernier des mohicans
Il y a quelques jours, je célébrais, comme chaque année le 10 février, le jour anniversaire de la disparition de Larry Burrows. Photographe de presse, Burrows est une figure mythique et héroïque de mon adolescence. Larry Burrows travaillait en Leica (M3) mais il utilisait aussi du matériel Nikon, de mémoire des reflex Nikon F et Nikkormat. C’était l’époque où ces matériels avaient une réputation de solidité et d’endurance à toute épreuve. La légende raconte que certains photographes utilisaient le talon de leur reflex pour planter les piquets de leur tente de camping durant les bivouacs. Je vous déconseille fortement de tenter l’expérience avec vos hybrides d’aujourd’hui. Bref, je repensais à Larry Burrows qui avait toujours bossé en Leica et en viseur télémétrique. Le jour où il a découvert la visée reflex, j’imagine volontiers que le choc a été rude.
Rendez-vous compte, on voyait dans le viseur la réalité de l’image qui passait par l’optique, c’était une petite révolution qui a convaincu de très nombreux reporters de passer au reflex. Vous connaissez la suite. La visée reflex a régné quasiment sans partage sur la photo de reportage pendant quasiment un demi siècle, y compris lors du développement de la photographie numérique. Et puis un jour, Sony a décidé de changer de monde. Adieu le miroir, bonjour le mirrorless, baptisé maladroitement hybride. Sony a parié sur un capteur plein format et le pari s’est avéré gagnant. Sony Alpha était plus léger, plus maniable, moins onéreux. Il était capable de produire une image d’excellente qualité et présentait un argument définitif, la visée réelle. Tout était en place pour l’évolution vers un nouveau concept. La suite, on la connaît. Canon et Nikon ont embrayé sur ce segment et là on s’est dit que les jours du reflex étaient comptés.
• Les J.O. de Tokyo dans le collimateur de Nikon D6
Canon a été le premier à donner un signe fort, en annonçant que la marque rouge ne développerait désormais plus d’optiques en monture EF. Cette annonce a fait l’effet d’une bombe dans le Landerneau de la photographie, d’autant que l’info est sortie quelques jours après l’annonce du nouvel EOS 1Dx Mark III. Quant à Nikon, l’approche semble plus prudente, voire raisonnée. Du côté des optiques, la marque jaune continue d’annoncer des optiques en monture F et dans le même temps poursuit son cheminement sur la voie des optiques destinées à sa gamme Z. Il y a peu Nikon annonçait un étonnant Nikkor 120-300mm f/2,8 et aujourd’hui même deux nouvelles optiques en monture Z. Un 20mm f/1,8 S et un Nikkor 24-200mm f/4-6,3 VR, polyvalent et stabilisé. Sans oublier Nikon D6, à la liste de specs qui donne au moins autant le tournis que son prix d’introduction (7299€). Le timing est parfait. Le nouveau haut de gamme sera disponible au printemps, les agences de presse qui couvrent les J.O. de Tokyo l’été prochain seront donc dans les clous pour renouveler leur parc de D5 datant de la précédente olympiade.
• Nikon D6. Citius, altius, fortius.
Nikon D6 a été pensé, conçu et réalisé pour un usage professionnel. Ses spécifications répondent donc aux attentes du photographe pro, (très) exigeant par nature. Nikon D6 est une machine à produire de l’image avec une régularité, une constance, une endurance à toute épreuve. L’image doit être parfaitement nette, de très grande qualité et immédiatement exploitable. On pense naturellement aux photographes de sport qui couvrent les J.O. Ces gens travaillent dans l’urgence. Ils shootent, sélectionnent leurs clichés à l’écran et les envoient directement à leur agence par Wifi. Si le boîtier wifi WT-6 reste optionnel, notez que D6 intègre désormais le GPS. Plus d’autonomie, une rafale musclée (14fps), un stockage CFExpress type B (ou XQD), un capteur 20mp et un AF 105 points en croix. Le tout carrossé en alliage de magnésium pour résister aux conditions climatiques les plus difficiles pour un poids boîtier seul de 1450g, cartes et accumulateur inclus. Ultime, dans tous les sens du terme.
• Nikon D6. Le der des ders.
Je pense que Nikon D6 sera le dernier reflex haut de gamme produit par la marque jaune. Aujourd’hui, j’ai le sentiment que quelque chose a changé, pas seulement du point de vue du matériel mais sans doute également dans les attentes et les besoins des photographes, sans même évoquer le malaise – le mal-être – qui touche l’ensemble de la profession. Car franchement, de vous à moi, aujourd’hui, quel photographe professionnel est capable d’absorber un investissement du niveau d’un D6 affiché, rappelons-le, au prix public de 7299€ (6082€ HT) ? À part les agences ou les amateurs passionnés (comprendre disposant de moyens financiers), je ne sais pas qui aujourd’hui peut s’offrir un ticket pour Nikon D6. D’autant que la décote du prix du matériel est assez vertigineuse. Aujourd’hui un D4s se négocie à moins de 2000€ alors qu’on trouve du D5 à guère plus de 3000€. Ce n’est pas par hasard si de nombreux photographes pro s’orientent vers des reflex comme D500, fut-il au format DX. Ou décident d’opter pour Nikon Z, singulièrement plus abordable. Et porteur d’avenir.