Quand ce bouquin a déboulé sur mon bureau, j’ai failli tomber de ma chaise. Le titre, tout est dans le titre. #NoFilter, comme un hashtag, un ordre intimé sur les réseaux sociaux à l’attention des hordes d’utilisateurs de post-prod outrancière, de virages en noir et blanc plus que douteux, un coup de noir, un coup de blanc, un gros coup de clarté et les gris ? On s’en fout. Bref, un photographe revendiquant, et c’est le sous-titre de l’ouvrage, des photos sans retouche, ça ne pouvait qu’exciter ma plume. Sans même aller jusqu’à préciser que le livre en question est publié par les éditions Eyrolles Photo qui ont, généralement, une ligne éditoriale particulièrement pointue. Dimanche, donc, je me suis calé dans mon fauteuil danois, un thé à portée de main et j’ai ouvert le livre de Gordon Laing. Et très rapidement, mon enthousiasme débridé s’est singulièrement tassé et je vais vous expliquer pourquoi. Est-ce pour autant que ce livre n’est pas digne d’intérêt ? Bien sûr que non. En deux cent pages, l’auteur évoque des clichés, en expliquant le contexte de prise de vue, en indiquant les données EXIF, en donnant des astuces. L’ouvrage est bien fait, bien traduit aussi, se lit de façon linéaire (ou pas), oui mais, car il y a un mais. De taille.
Photos sans retouche, oui mais…
• La notion controversée de brut de capteur
Sauf erreur de ma part, toutes les photographies de ce livre ont été réalisées avec du matériel hybride. Fujifilm X-Pro, Sony Alpha 7, Panasonic Lumix, Olympus OM-D… Pas la moindre trace d’un reflex, rien que de l’hybride. D’ailleurs, dans son avant-propos, Gordon Laing le dit clairement. « Ces 100 photographies ont toutes un point commun. Ce sont toutes des JPEG, sortis tels quels de l’appareil. Aucune n’a été modifiée ou manipulée. Elles ont par ailleurs toutes été réalisées avec un appareil compact à objectifs interchangeables, mais toutes les astuces et techniques présentées sont également applicables à un reflex. » Si je suis d’accord avec Gordon Laing sur le fond, la qualité de prise de vue est importante sur tout type d’appareil photo, que ça soit une chambre, un reflex, un hybride, je ne suis pas d’accord sur la forme et la raison en est assez simple. L’hybride a une propension naturelle à sublimer l’image directement issue du capteur, au format jpeg, ce qui explique d’ailleurs que nombre de photographes qui ont fait le choix de l’hybride travaillent directement en jpeg, sans passer par l’étape de l’interprétation d’un fichier RAW. N’étant pas moi-même adepte de l’hybride (en tout cas pas pour le moment), ma première réaction a été de passer le coup de fil à un ami, qui est une référence en la matière, Gérald Géronimi, photographe de mariage et ambassadeur Fujifilm.
• L’hybride et ses presets
J’ai demandé à Gérald s’il prodait des fichiers RAW issus de son matériel Fuji ou s’il travaillait directement en jpeg, quand on connaît la capacité du matériel Fuji à générer un jpeg de très grande qualité. La réponse de Gérald a été directe et sans ambiguïtés : « Je ne fais que du jpeg ! Je n’ai jamais fait de RAW en Fuji… » Je lui explique que je chronique un bouquin qui revendique les photos sans retouche et que les photos ont toutes été réalisées avec de l’hybride et là, Gérald ajoute ceci : « L’autre avantage est l’obligation de t’appliquer lors de la prise de vue… » Voilà. Tout est dit. D’ailleurs, cette application, ce soin apportés à la prise de vue ne vaut pas que pour l’hybride, elle vaut pour la photographie dans son entier. Est-ce qu’un hybride se comporte de la même façon qu’un reflex ? Objectivement, non. Déjà dans sa capacité à intégrer en standard des pré-traitements. Sur les clichés réalisés, notamment ceux réalisés en Fuji, on note dans les données EXIF les mentions de presets utilisés : Velvia, Classic chrome, Provia, … Parfois, des clichés sont réalisés sans preset, notamment avec du matériel Sony Alpa et là, je reconnais un cliché brut de capteur, même si les puristes vous diront que la notion brut de capteur n’existe pas et ils ont raison. Le simple fait de traduire une image en jpeg est déjà un traitement. C’est là où je suis en désaccord avec le titre de cet ouvrage et l’approche de l’auteur.
• Un livre truffé d’astuces
Est-ce pour autant que ce livre n’est pas digne d’intérêt, sûrement pas et j’en arrive au point positif. Ce que Gordon Laing souligne et c’est à mon avis la grande vertu de son livre, c’est qu’il est important, voire vital, de soigner sa composition, sa prise de vue avant d’appuyer sur le déclencheur. D’ailleurs mon ami Géronimi ne dit rien d’autre, quand il évoque l’avantage de s’appliquer à la prise de vue et ça, ça vaut pour tout type d’appareil photo, un hybride, un reflex, un compact ou un smartphone. Avec un bémol tout de même, la capacité de l’hybride et a fortiori du reflex d’utiliser des objectifs interchangeables. Dans les astuces, Gordon Laing indique l’objectif utilisé et explique pourquoi. L’aspect pédagogique est la grande vertu de ce beau bouquin illustré de très belles photos. Si vous utilisez un appareil photo hybride, un Fuji particulièrement, je vous conseille ce livre, il est fait pour vous. Vous y trouverez de nombreux conseils de prise de vue, des astuces, des choix de focales ou des choix de presets. Pour les utilisateurs de reflex, le choix de ce livre me semble moins pertinent mais rassurez-vous ! Ce ne sont pas les bons bouquins pour optimiser l’utilisation du reflex qui manquent chez Eyrolles photo !
• voir le livre NoFilter sur Amazon
• merci à Gérald Géronimi, photographe de mariages, pour la justesse et la pertinence de ses conseils.
• les photos d’illustration de cet article ont été réalisées avec un reflex Nikon D500, Nikkor 50mm f/1,4. Les jpeg sont issus brut de capteur, photos sans retouche et sans traitement garanties.
Jean-LuK dit
Là, c’est de la mauvaise foi !
Que Canon ne sache pas produire de beaux JPEG est un fait, que ses RAWs soient bidouillés et ne soient jamais de réels fichiers bruts en est un autre… Comment expliquer qu’en exposant en RAW des images à 1600°, des zones d’images qui auraient été bien exposées à 200 ou 400° avec les mêmes réglages, soient en fait irrécupérables ; c’est la marque d’un écrêtage réalisé par Canon.
La visée n’implique pas la qualité des fichiers, le traitement interne des images est totalement indépendant du système de visée, sinon Canon produirait de magnifiques images en Live View !
Maintenant, Fuji détient une expertise dans la chimie de ses films, capable de moduler ses films pour plusieurs usages ; Fuji était loin d’être limité à ces usages, je possède toujours quelques tirages sur Pictography. Qu’il s’en soit servi dans le traitement des images numériques n’a rien d’anormal, c’est l’inverse qui le serait. Et en négatif, cela démontre le manque de savoir-faire des firmes qui ne savent pas en faire de même. D’ailleurs, les hybrides Sony ne sont pas réputés sur ce point… des électroniciens qui savent limiter le bruit, mais pas vraiment produire des images directement utilisables.
Qu’elle marque le thé ?
Hervé LE GALL dit
Je pige pas l’accusation de mauvaise foi, Jean Luk. Je n’ai pas spécifiquement impliqué Canon dans mon article, d’autant que j’ai quitté la maison rouge depuis pas mal d’années. Celà dit, pour avoir testé de l’EOS il y a peu, je ne te rejoins pas sur ta critique qualitative des RAW à la sauce Canon.
Je n’ai pas non plus évoqué une corrélation entre visée électronique et qualité des fichiers. En revanche je suis complètement d’accord avec le fait que Fuji maîtrise une approche de l’image via son héritage et son expertise qui lui vienne de l’argentique.
Le livre de Gordon Laing est une parfaite illustration de ce que Fuji est capable de produire en crachant un jpeg très optimisé. Mais avant que le jpeg ne soit produit, il y a toute tambouille réalisée (avec brio) par le process Fuji. Je n’ai rien dit d’autre.
Pour la marque de thé, il faut que je me renseigne 😉