Le seul contrat du photographe c’est de faire de bonnes photos.
Signer un contrat avant de photographier un concert ? No offense, mais c’est le genre de débat qui, pour ma part, me laisse de marbre. Un contrat ? Et pour quoi faire ? Un contrat à signer avant un concert, c’est un papier sur lequel, en général, il y a écrit plein de clauses restrictives qui, finalement, si tu lis bien, t’interdisent de donner quelque suite que ce soit à ton travail. Le contrat photographe, c’est aussi con que si tu faisais venir le plombier pour réparer la fuite sur ton lavabo et que tu lui fasses signer un contrat, à ton plombier, en lui spécifiant qu’il ne dispose que d’un temps limité pour réparer ton lavabo, qu’il ne peut utiliser qu’une clé de 12 et que pour la facture, on verra plus tard, parce que là, il a quand même l’insigne honneur de réparer ton évier à toi et que rien que pour ça il ne va pas la ramener. Je plaisante à peine, mais essayez donc de transposer un contrat photographe à n’importe quel métier, vous allez rire. Des contrats, moi, j’en ai vu passer quelques-uns et je n’ai jamais refusé d’en signer un. Bon, c’est vrai, je connais certains photographes (non, non, je ne donnerai pas de nom) qui signaient Tapioca (comme le général du même nom dans Tintin), d’autres qui signaient parce qu’ils s’en foutaient. Faire signer un contrat à un photographe professionnel accrédité pour lui interdire de faire son métier, ça porte un nom. Léonin. Comme diraient les avocats, qui ont un sens de l’humour et de la formule très développé, ça n’entraîne pas la nullité du contrat, ça rend la clause réputée non écrite. Vous ne captez pas la nuance, c’est normal, vous n’êtes pas avocat. Bref, cet été encore, on va faire signer des contrats aux photographes. Pourquoi ? J’ai bien quelques arguments, mais je ne suis pas sûr que tout le monde accepte de les entendre. Flashback.
Dernièrement, je parlais avec un ami, photographe de son état, qui me racontait ses souvenirs de concerts. Il avait photographié Gainsbourg, dans les années quatre vingt. Alors que je lui demande comment ça se passait au niveau des accréditations, il sourit et me dit : « Ça n’existait pas. À l’entrée de la salle, tu te pointais avec ton matos, tu disais que t’étais photographe, que tu venais faire des photos et puis voilà. Mais bon, à l’époque, on ne voyait pas de photographes dans les salles de concerts ! » Tout est dit. Aujourd’hui, au premier rang des concerts, il y a plus de photographes que de spectateurs, alors que les prods mettent le holà et posent des exigences de plus en plus délirantes, il n’y a qu’un pas allègrement franchi. Trois premiers titres sans flash (voire moins, ou un temps limité), gros engins uniquement (c’est quoi cet appareil de merde ? Leica M9 ? Dehors !), shooting côté jardin uniquement, dans un espace reculé de deux mètres carrés cinquante et bien sûr pas de publication avant validation des clichés. Et je ne parle même pas de la gratuité des photos dans le cadre de la promotion de l’artiste sur les réseaux sociaux, etc… Comment dire ? Comment avouer que je n’ai jamais obéi ? Que j’ai toujours senti ce besoin irrépressible de témoigner de chaque instant d’un événement, de chaque moment qui me parle, qui m’émeut et que ça, ça ne peut pas être enfermé dans un espace temps ? Que justement c’est l’essence même de mon activité de photographe que d’aller là où mon regard me porte ? On ne pourra jamais m’interdire, me cloisonner, me verrouiller. Tant que je serai debout, mon reflex dans la main, personne ne m’interdira de faire des photos.
D’ailleurs, mes meilleurs clichés je ne les ai pas faits dans une fosse, entouré d’une armée de zooms 70-200 f/2.8 dont les modes rafales crépitent dans mes oreilles. Non. J’ai déserté le champ de bataille, je suis allé me planquer, je suis entré en résistance, j’ai pris le maquis, seul, à la fraîche ou entouré d’amis prévenants, dans le public. On ne sait jamais quand on va faire une bonne photo. Peut-être pendant les premiers titres quand l’artiste arrive sur scène, qu’il a cet émerveillement dans les yeux de retrouver le public, son public ? Peut-être un peu plus tard, quand il se sentira enfin bien, que la musique règnera, l’enveloppera tout entier ? Peut-être à la toute fin ? L’instant ultime où il s’en va, lui le fils de paysan qu’il est resté, son Stetson vissé sur sa tête, levant la main pour saluer tous ces gens qui sont venus le voir, l’écouter, sur la plaine immense ? Non, il n’y a pas de règles du jeu. D’ailleurs ce n’est pas un jeu, c’est de la photographie. C’est un truc fait de douleur et de passion, c’est simplement l’envie de montrer une belle image qui témoignera du temps qui s’est figé dans mon iris à un centième de seconde. J’étais là, je vous ai ramené ça pour que vous n’oubliez jamais. Ces choses-là se vivent, elles ne s’écrivent pas, elles ne s’imposent pas à coups de contrats, de réglements et d’avocats. C’est une partie de ma vie, mon devoir de mémoire, l’envie de laisser une trace, de contribuer à marquer le temps. Se souvenir des belles choses. J’espère seulement qu’une poignée de mes images restera, pas beaucoup, six, peut-être sept, je n’en sais rien mais je suis sûr d’une chose. Mes images dureront plus longtemps qu’une signature apposée au bas d’un contrat, au nom du Général Tapioca.
• photo : Neil Young, Vieilles Charrues 2013 (crédit Hervé Le Gall). It’s better to burn out than to fade away. Pour Jean-Phi, rest in peace.
• découvrez la programmation du festival des Vieilles Charrues 2014 sur le site officiel
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