Quai Ouest fête ses vingt ans !
Quai Ouest fête ses vingt ans. Putain ! Vingt ans déjà. Tempus fugit velut umbra. Je me souviens comme si c’était hier d’avoir fêté les dix ans de Quai Ouest, en 2004. À l’époque, les concerts s’étaient répartis dans tous les lieux qui avaient contribué à forger la réputation de cette production à Brest et dans les environs. Il y avait eu des concerts au Vauban, évidemment, mais aussi dans lieux plus atypiques, comme la salle du foyer du marin avec Tanger et Murat, ou le Mac Orlan, qui était encore à l’époque cette salle de cinéma vintage avec ses fauteuils rouges cramoisis un peu old style et très déglingués. Ce soir-là on avait vu une jeune artiste d’Afrique de l’ouest qui débutait dans la chanson, gracieuse, élégante, douée d’une sensibilité qu’on imaginait à fleur de peau. J’avais fait des clichés dans la pénombre, assis au bout du deuxième rang. J’avais ramené des images un peu irréelles et j’avais su plus tard qu’elle s’appelait Rokia Traoré. « On reparlera d’elle, c’est sûr » m’avait dit Jacques Guérin, avec cette petite étincelle qu’il a dans le regard, comme un gosse qui est content de partager sa trouvaille. Jacques fait partie de ces gens qui auront radicalement influencé la trajectoire de ma vie de photographe et cet anniversaire, c’est évidemment un peu aussi le sien. Car Quai Ouest musiques est son bébé, né de son imagination, un fruit de la passion au goût exotique venu d’ailleurs. Quand on me dit Quai Ouest, je pense embarquement immédiat, tropiques, Bretagne. Je pense Brest, jeudis du port. Et puis naturellement, je pense bout du monde, son festival du même nom, Crozon, le soleil, les petites plages sublimes nichées dans des criques paradisiaques.
Ah ! Le Festival du Bout du monde. Tant d’images qui défilent. Je repense à Joan Baez, que je rencontre backstage et qui me prend dans ses bras pour me claquer la bise. Je l’ai croisée au concert de Rokia Trarié et elle avait les larmes aux yeux. Je repense à Carlos Nuñez qui harangue la foule, assommée par le soleil. Je revois François Cuillandre (le maire de Brest), les yeux rougis par les larmes au concert de Pierre Perret. Je vois la foule qui danse sous le chapiteau, au concert de Kwal, ce même public qui fait un triomphe à Jane Birkin. Je croise Alela Diane qui se promène backstage avec son papa, elle me parle du Vauban, me redit tout le plaisir qu’elle a eu d’y chanter. De loin, je vois Emir Kusturica avec ses potes qui lèvent leur verre en chantant, Ibrahim Maalouf qui s’essaye à la bombarde, les Têtes raides qui jouent à la pétanque, peinards, Thiéfaine et Paul Personne qui envoient du lourd, Bombes 2 Bal qui descendent de scène pour venir inviter le public à danser. Je vois la divine Cesaria Evora qui pose pour moi l’espace d’un instant, Ian Anderson de Jethro Tull le regard halluciné, les japonaises de Goocoo qui tapent sur leurs tambours. Je vois Pierre Perret, aux anges, entouré de gamins. Et je te revois, Alain. Je savoure le plaisir et l’immense honneur de croiser ton image dans le viseur de mon reflex et j’ai un peu de peine car je sais que c’est sans doute la dernière fois que je te photographie. D’ailleurs ce soir-là je quitte la fosse les larmes aux yeux et je t’entends, de loin en loin. J’ai dans les bottes des montagnes de questions où subsiste encore ton écho… Tu me manques salement, Bashung. Et puis je revois les équipiers, les bénévoles, et Jacques Guérin, encore lui, partout, tout le temps, sillonant, casqué, le site, backstage sur son scooter, la mine fermée. Autant le gars sait être adorable quand le travail est fini, autant il peut être hermétique quand il est en action. Quand Jacques bosse, faut pas le faire chier ou venir l’emmerder en lui posant une question futile. Il est comme ça, Jacques Guérin. On l’aime comme ça.
Vingt ans. Je ne les ai pas vus passer mais comme disait Antoine, quand on aime on a toujours vingt ans. Alors évidemment pour fêter ça, Jacques Guérin et son équipage sont sur le pont et ont briqué le grand navire pour qu’il brille, beau comme un sou neuf, plus que jamais. Pour qu’on le voit de loin, jusqu’à Crozon, juste en face. Pour fêter ça, Quai Ouest a sonné le rappel des amis qui ont fait les beaux jours des programmations passées, de Zebda à Moriarty, de Siam à Gush, sans oublier les (inénarrables) Goristes pour qui j’ai, évidemment, une infinie tendresse. De celle que je partage, depuis plus de dix ans avec Quai Ouest et son capitaine, Jacques Guérin, par la grâce de qui j’ai parcouru toutes les mers du monde, du goulet de Brest aux Caraïbes, de l’Afrique à Cuba. J’ai en tête les mots de Charles Baudelaire qui écrivait « La musique souvent me prend comme une mer ! Vers ma pâle étoile, sous un plafond de brume ou dans un vaste éther, je mets à la voile… » Voilà, vous y êtes. Soyez prêts à embarquer, à mettre à la voile à partir du jeudi 24 avril, pour une croisière musicale de trois jours, sur le Port de Co à Brest. On ne sait pas trop où on va, mais on sait que ça sera bien. Quai Ouest, le capitaine Guérin et son équipage n’attendent plus que vous pour fêter dignement ce vingtième anniversaire qui s’annonce joyeux.