Le Quartz. Brest. Scène nationale. La salle est pleine comme un œuf et le public est venu pour écouter… Du jazz. C’est là où je me dis que l’équipe de Penn ar jazz a réussi son pari. Faire déplacer la foule des grands jours pour venir applaudir un orchestre de jazz. Bon, en même temps, écouter du jazz, d’accord, mais pas n’importe où et pas avec n’importe qui. Ce soir c’est Ernest qui régale, Ernest Dawkins et son ensemble sont à la manœuvre orchestrale. Ah ! C’est beau, rien que le nom, ça donne envie. C’est un voyage dans le temps, on se croirait revenu à Chicago dans les années trente, du temps de la prohibition, avec ces mecs sapés ultra énième mode, pour l’ambiance on est un peu dans un cliché façon Boardwalk empire. Il faut juste attendre que ça joue, histoire de voir comment ça sonne, man. Et pour la trame, elle est dédiée au Docteur King qui avait fait un rêve il y a cinquante ans. La marche pour les droits civiques, pour qu’un étudiant noir ait le droit de s’inscrire en fac et que cesse l’insupportable ségrégation raciale aux États-Unis. Ce soir le jazz ne se contente pas d’être brillant, il est aussi militant, comme le martèle Ernest Dawkins dans son petit speech d’intro.
Et quand ça joue, alors là, mes aïeux ! La salle se prend le tempo en pleine face et on réalise alors les mots de Martin Luther King lui-même. It can’t be real. On est loin des poncifs, de cette musique à la ligne déstructurée qui serait réservée à une élite, non. Là, Ernest, costard noir impeccable, le feutre parfaitement vissé sur la tête, donne la claque face à sa section de cuivres. Les cuivres, mazette, c’est du lourd, comme tout le reste du gang d’ailleurs. Trois sax, un trombonne, trois trompettes qui tutoient les anges. Mais surtout, ce qui fait la force de cet ensemble, c’est qu’on ressent sa cohérence et le bonheur de jouer. C’est pas un job d’être saxo dans le Ernest Dawkins ensemble, c’est juste du fun, le plaisir de partager cette musique qui transpire le blues, le gospel. Pour l’amateur de rock que je suis, c’est un plaisir de percevoir les racines qui ont donné naissance au tempo rock, dans les années mille neuf cent cinquante six. Tap, tap, tap, les trompettes envoient le gros son tandis que le piano et la contrebasse s’en mêlent et que Isaiah Spencer, ahurissant de virtuosité, mette tout le monde d’accord derrière ses fûts. Somptueux. Comme disait le poète, il arrive un moment où les mots s’usent, où l’on ne sait plus où aller chercher des mots pour dire à quel point c’était beau, c’était grand, puissant.
Comme disait ce cher François Truffette, dans « La nuit américaine », nous voici arrivés au milieu de l’aventure de ce dixième Atlantique jazz festival. Pour le moment, c’est un sans faute. Et je ne vous parle même pas de la brillante prestation du Kami quintet Extension, hier en fin de journée au Mac Orlan, suivie d’un moment de pure grâce avec Ernst Reijseger trio, rappelé deux fois par le public du Cabaret Vauban. Oui, de pure grâce. La magie d’un violoncelle transformiste par la grâce d’un magicien, le mix d’une ligne mélodique presque classique, soutenue par Harmen Fraanje, un pianiste miraculeux et élégant et la voix de Mola Sylla, une putain de voix venue d’Afrique qui déchire le silence. Ça parle wolof, anglais, français, on ne comprend pas tout mais on capte tout. C’est la vertu de la musique, ce langage universel. Dans la salle, des yeux brillent, l’émotion est à fleur de peau et le public renvoie tout ça à l’expéditeur avec une joie et un enthousiasme débridés. Atlantique jazz festival me semble lancé sur de bons rails, les musiciens sont à l’aise dans leur personnage, la musique règne.
• photo : Ernest DAWKINS ensemble au Quartz Scène nationale (crédit Hervé « harvey » LE GALL)
• une pensée affectueuse pour Bernadette LAFONT, à qui François TRUFFAUT doit ce surnom affectueux.