Il y a quelques jours, j’avais une discussion étrangement calme avec un très bon ami photographe de grand talent, dont je tairais le nom parce que c’est quelqu’un de très humble, d’abord et qu’il n’a pas besoin que je le cite en exemple pour qu’il sache toute l’admiration que je porte à son travail, ensuite. D’ailleurs en lisant ces lignes, il se reconnaîtra. Nous devisions gaiement après avoir vu une série de clichés calamiteux, sur Facebook. De ce genre de clichés qui hantent le réseau social, comme il en existe des milliers. Ce n’était pas tant la piètre qualité des clichés qui provoquaient notre hilarité joviale que les commentaires que suscitait cette publication. C’était à savoir qui utiliserait l’hommage le plus dithyrambique pour qualifier une bouse qui, du temps de l’argentique, se serait vu affubler du sticker « non facturé ». J’ai souvent dit et répété que le vrai privilège d’un photographe c’est d’être à la fois son metteur en scène, son réalisateur, son chef de plateau et son cadreur. En étant tout ça en même temps et même un peu mieux. Son premier spectateur. Finalement, le talent s’exprime sur toute la ligne, dans les photos qu’on prend et dans les photos qu’on montre. Surtout dans les photos qu’on montre, d’ailleurs. Ne savoir que montrer, que choisir, c’est déjà un aveu de faiblesse. Jeter des clichés en pâture et en vrac sur les réseaux sociaux, Facebook, Tumblr et consorts, en espérant glaner des compliments comme une confirmation, un acquiescement, ne me semble sûrement pas une bonne façon d’avancer.
Mais y-a-t-il une autre alternative raisonnable que de s’extasier sur ces clichés sociaux ? N’est-ce pas finalement ce que leurs auteurs attendent ? Celui qui se risquerait à une critique se verrait illico taxer de jaloux et d’aigri. Non mais franchement ? Pensez-vous qu’il soit raisonnable de montrer vos clichés à votre concierge et d’espérer une critique de la raison pure sur les lignes, le contraste, le piqué, le cadrage, les effets, le rendu, sauf le respect que j’ai pour les concierges qui font j’en conviens un travail remarquable mais dont je doute de leurs capacités à juger de la qualité technique d’un cliché ? Ah ! Mais je vous entends déjà hurler, maugréer, me traiter de tous les noms d’oiseaux, ce qui, vous en conviendrez, ne fait que confirmer la justesse de mon propos. Pensez-vous que votre maman (son nom soit béni entre toutes les femmes), que votre meilleur ami, que la compagne ou le compagnon de votre vie soit le mieux placé pour vous donner un avis sur la qualité de vos clichés ? Que nenni. Alors ? Comment faire ? Deux solutions. La première c’est d’avoir un jour la chance de croiser la route d’un photographe king size qui vienne vers vous, votre book sous le bras et qui vous dise : « J’ai regardé ton book. Tu veux mon avis ? » Ça, c’est cool. Je le sais, ça m’est arrivé, il y a longtemps. La seconde solution, c’est d’avoir d’abord confiance en la seule personne avec qui vous ne pouvez pas tricher. Une personne à qui vous n’avez jamais menti et dont vous pouvez être (presque) sûr que jamais vous ne la trahirez et réciproquement. Cette personne, c’est vous. Vous êtes le seul à savoir ce que valent vraiment vos clichés et si vous ne le savez pas, c’est que votre chemin de Damas ne fait que commencer. Mais ne comptez pas sur les autres, parce que, comme le constatait avec effroi Jean-Paul Sartre l’enfer, c’est les autres. Ils vous encensent aujourd’hui parce que vous êtes les meilleurs amis du monde mais demain ? Demain ils vous brûleront sur le bûcher des vanités. Alors ne comptez pas sur eux, d’ailleurs au risque de me répéter, ne comptez sur personne d’autre que vous-même. Complimenter un cliché pauvre, c’est encourager la médiocrité et le comble de la médiocrité c’est de la revendiquer, de l’afficher et pire que tout, de s’en satisfaire.
Alors que j’écrivais ce texte, le téléphone a sonné. À l’autre bout, vous allez rire, le très bon ami photographe que j’évoquais au début de mon billet. Il semble très énervé, très enthousiaste, il me dit qu’il vient de terminer un shooting et qu’il lui tarde de voir ses clichés. Il sait que la photo c’est avant, pendant et après mais il n’a aucun doute, il sait que c’est dans la boîte et qu’il n’aura que l’embarras du choix pour décider de ce qu’il montrera ou pas. Il continuera son chemin, seul et sans témoin, sans trop se préoccuper de la couleur du temps ou de ses états d’âme. Et surtout, sans ce besoin impérieux du regard des autres, dont les médiocres ont besoin pour exister.
• cliché illustrant ce billet : Skip the use (Run ar Puñs, 2010) crédit photo Hervé « harvey » LE GALL.
Jérôme dit
J’ajouterai cependant que le regard de l’autre peut être utile, si celui-ci n’est pas complaisant. En fait, tout dépend de soi-même (et de sa faculté à accepter la critique) et de sa relation avec l’autre (qui doit être suffisamment proche pour savoir qu’il peut critiquer librement sans risquer d’aliéner amitié ou autre).
En faisant le chemin seul, on peut tracer une voie qui est unique, mais on peut également faire fausse route ou passer à côté d’un chemin qu’on n’aurait pas pensé explorer.
Mais ce qui est sûr, c’est que les réseaux sociaux (que ce soit Facebook ou Flickr et autres 500px) et leur culture de raminagrobis ne peuvent pas tenir ce rôle-là.
harvey dit
Je ne pense pas que ton meilleur ami soit crédible, mais qu’importe. Ce que j’ai surtout voulu dire, c’est que l’appréciation est dans le regard de chacun, d’abord. Quand aux réseaux sociaux, quelle vaste blague. Je te like tu me likes, le premier qui rigole est mort.
olivier dit
Facebook peut-être utilisé par un photographe comme un vecteur de communication et de promotion pour la vente photo sans entrer dans le jeu du like et de l’affect personnel …
Combien de personnes sont touchées par un site perso…. et par une page facebook ?
« Jeter en pâture et un vrac » est surement contre-productif mais je crains que les réseaux sociaux soient difficilement contournables pour celui qui veut élargir (pour l’instant « gratuitement ») son audience.
#Dieze dit
En parlant de concierge (et de nanny) le big up à Vivian Maier qui s’y connaissait finalement.
À titre personnel je m’expose sur Flickr, Tumblr, Forum et recherche un retour, pour un auto-didacte c’est justement un moyen d’avoir autre chose qu’un avis de proches. Un retour de pro est toujours bon à prendre, et j’adorerais avoir ça, mais pour l’instant je n’ai vu que deux options m’offrant cette opportunité : me payer des courts, ou me payer un workshop. J’y passerais, et pas qu’une fois, mais en attendant de le pouvoir financièrement on va se contenter de Flickr & Co, et tant pis si il n’y a qu’une critique constructive sur 100 « trop cool j’adore, viens voir mon taf et lâche tes comm’ lol »… C’est toujours ça de gagné pour le petit amateur que je suis.
NB : Ha et l’entourage sais vous brosser dans le sens du poil, mais avoir un entourage qui sais vous dire « ça, c’est de la merde » c’est cool aussi.
harvey dit
« avoir un entourage qui sais vous dire « ça, c’est de la merde » c’est cool aussi. » Je confirme.
Willy dit
Globalement, t’es dans le vrai, y’a pas à dire. Si le fond est vrai, c’est la forme qui me dérange. bon, coté forme, c’est du Harvey dans le texte, au moins on sait qu’on est sur ton blog. Pas deux poids deux mesures. C’est marrant, c’est bien écrit MAIS (bah oui, y’a un mais), je pense que c’est un peu trop sectorisé « ceux qui sont des merdes et qui sont sur facebook » et « les autres qui ne s’y frottent et ne s’y piquent pas ». On peut, enfin j’espère, proposer des photos triées, sélectionnées soigneusement sur face de bouc et ne pas faire la course au like et aux flagorneries. Mon point de vue, ça vaut ce que ça vaut.
PS : Sinon, ça mis à part, je sens de plus en plus de négativisme dans tes articles et je trouve ça dommage.
PPS : Chouette photo ! je la Like 😉
Dom dit
D’accord sur le fait qu’on voit effectivement des belles bouses et des commentaires surjoués.
Que dire sur le nombre de fois qu’on se prend la tête à essayer de faire comprendre à un photographe lambda que publier une photo sur un RS, c’est faire une proposition, et que dans ces conditions, on est sujet à critiques ou éloges. Il faudrait savoir pourquoi au fond, les gens publient leurs « à peu près images », glaner des remarques qui font avancer ou obtenir des like qui légitimeraient, mais je paraphrase le sens de ce billet ?
Pour ma part, je ne commente plus les images, c’est plus simple.
D’ailleurs, ma fille qui fait de la photo dans le cadre de ses études me disait l’autre jour : critiquer une image ne sert à rien, car seul le photographe sait ce qu’il a voulu exprimer, s’arrêter sur un aspect technique (d’artisan, qui aurait l’obligation de résultat), ou sur un aspect plastique (d’artiste dans une démarche), ou de touriste (qui fait joujou avec son reflex), ne mèneraient nulle part.
J’avoue que sa remarque m’a laissé un temps en suspends, comme si le temps passé à donner des avis ici ou là, s’annulait tout d’un coup…
(perso, je suis friand d’avis, aussi durs soient-ils, j’ai jamais autant progressé que d’écouter ou lire les impressions des images publiées, mais c’est un avis personnel)
micheline blangy! dit
et si on parlait de Nadard, on en apprendrait des choses!
Erminig Gwenn dit
En misant ton article, ma principale crainte était d’être non pas ton interlocuteur, mais les photographe du dimanche en question sur Facebook 😉
Pour ma part, je serai moins sévère avec Flickr. Je trouve que le site a (avait) une communauté active de personnes très solides en photographes pro ou artistes accomplis, et que la parole y est relativement libre. J’ai énormément progressé grâce à flickr, grâce aux critiques, propositions de recadrages, commentaires techniques appréciations sur d’autres façon de penser un sujet ou de traiter la photo, etc. Et me suis a de nombreuses reprises remis à l’ouvrage sur un cliché ou une série après ces remarques et appréciations.
Je n’avais pas le reflex de recadrer mes clichés ou d’en faire des formats carrés, par exemple, choses que je fais plus spontanément aujourd’hui.
Et je remercie tous ceux qui ont subi mes photos médiocres ou passables en faisant des commentaires et remarques qui m’ont permis d’avancer. Mais c’est clair que je n’aurai jamais trouvé cela sur facebook.
Enfin cela dit tu as raison : le meilleur moyen est surement qu’un pro « vienne vers vous, votre book sous le bras et qui vous dise : « J’ai regardé ton book. Tu veux mon avis ? » ».
Chiche ! 🙂
Perso, après avoir lu tes billets au ton toujours franc et parfois un peu acide, et vu tes photos, je le veux bien, ton avis… 🙂 Et celui des autres pros qui commentent. Si vous avez 5 minutes. On a toujours à apprendre des meilleurs, et, pour ma part, beaucoup, beaucoup à apprendre encore.
Gael dit
@Gwenn, http://www.shots.fr/2012/10/15/cartier-bresson-avait-raison-la-photographie-est-devenue-un-truc-de-branleurs/
« Je reçois régulièrement des demandes de photographes, ou de gens supposés comme tels, qui me demandent de critiquer leur travail. Ma réponse est, toujours, invariablement la même. Je refuse catégoriquement de donner mon avis sur les images des autres. Mais comme je suis curieux de nature, je vais quand même jeter un regard anonyme et, dans une immense majorité des cas, je passe mon chemin avec un sourire sans ironie. »
Tout comme Gwenn, à défaut d’avoir de vraies critiques, on se rabat sur Flickr et les réseaux sociaux.
Si c’est pour, effectivement, n’avoir que du positif, ça n’a pas d’intérêt et Facebook restera Facebook sur ce point.
…puis faut avoir le photographes King Size dans les contacts aussi.
Le Journal de Chrys dit
Effectivement, il ne faut pas être dupe du fait que les réseaux sociaux sont généralement élogieux sur les photos présentées ( des blogs, de FB ou d’ailleurs que je ne connais point). Et effectivement, je peux trouver certaines photos vraiment mauvaises de mon point de vue et très aimées par des visiteurs!
Je crois tout de même que FB est finalement un tout petit monde et que souvent les personnes n’ont pas la distance nécessaire: 100 « J’aime » sur une photo ne signifie pas qu’elle soit fabuleuse!
Personnellement, je suis une simple « photographe » amatrice (vous remarquerez les guillemets) et ne prétend pas davantage. Je ne multiplie pas les amis sur FB et ne me formalise pas du peu de « J’AIME » sur mes images, je n’ai pas (encore, héhé) de PAGE FB pour multiplier la parution de mes photos sur le mur de mes amis, un modeste PROFIL me suffit.
Cependant, j’ai la chance d’appartenir à une association de photographes amateurs et là, les images sont critiquées. Certes aucun n’est professionnel. Mais là est le vrai apprentissage!