J’avais dix-sept ans, cet âge dont Rimbaud disait qu’il ne pouvait pas être sérieux et il avait raison Arthur, on n’est pas sérieux quand on a dix sept ans. N’empêche. S’il y a bien une chose avec laquelle je ne plaisantais pas c’était la photographie, surtout depuis que ma mère avait fait encadrer un joli soleil couchant tiré en Ektachrome qui trônait dans le hall du salon. À l’époque, équipé d’un modeste reflex tout droit venu de Sibérie orientale de l’ex Union Soviétique, grand pourvoyeur d’appareils photos à deux balles, entre faux Leica et véritables Zenit, j’arpentais mon petit monde en tout sens, maugréant quand même sur les limitations drastiques de mon boîtier de camarade boljemoï. Je ne le savais pas encore mais ce Noël-là allait m’apporter le plus beau des cadeaux, un de ces trucs qui peuvent radicalement changer une vie. Avec Canon EF j’allais passer de l’ère jurassique au top de la modernité et surtout ma route croisait, pour la première fois, celle de Canon avec qui j’allais tisser pendant de nombreuses années un lien quasi indestructible.
Rendez-vous compte. Avec Canon EF, la marque rouge innovait de manière radicale en proposant un reflex semi-pro, on le qualifierait aujourd’hui de boîtier à destination d’une clientèle d’amateurs « éclairés », premier reflex équipé d’une cellule au silicium et d’un rideau métallique. Pour moi qui avait, jusque-là, bossé avec la cellule du Zenit en frontal juste sous le viseur, le simple fait d’avoir une cellule analysant la lumière trough the lens (TTL) c’était déjà Byzance, alors si en plus ladite cellule au sillicium pouvait apporter une justesse remarquable dans la qualité de sa mesure, c’était double bonus. En fait non seulement ce Canon EF bénéficiait de la qualité de construction de la série F, avec notamment le mythique Canon F1 (la rolls des reflex, à l’époque), mais il embarquait aussi de l’électronique permettant toute une série d’automatismes. Il suffisait de choisir une vitesse d’obturation et le reflex se chargeait de déterminer et de choisir l’ouverture du diaphragme appropriée, garantissant ainsi à son heureux possesseur une exposition toujours parfaite. Mine de rien, Canon EF proposait de libérer l’utilisateur d’une partie des contraintes techniques en lui proposant de se concentrer sur la qualité de la composition des images. Révolutionnaire ce Canon EF, pour l’époque, j’allais vivre en sa compagnie des moments photographiques inoubliables et malheureusement ça n’allait pas durer. Un jour d’été, lors d’un voyage au delà du Bosphore, le véhicule dans lequel j’avais commis l’imprudence de laisser ma malette photo, fut visité et les voleurs ne me laissèrent rien. Ce jour-là, j’ai tout perdu, mon matériel, mes illusions et sans doute aussi une part de mon innocence. J’ai tout perdu sauf l’œilleton du viseur que je gardais toujours dans ma poche, par peur de le perdre. Cet été-là, je n’ai pas fait de photo et les mois qui ont suivi non plus. J’avais le sentiment d’avoir trouvé le boîtier avec lequel j’étais en phase et que je ne retrouverais jamais cet état de grâce. Je me trompais. L’année suivante ma mère m’offrait un F1, la quintessence même du reflex 24-36.
Il y a des choses qu’on n’oublie pas et pour moi, Canon EF est toujours resté dans ma mémoire parmi les beaux souvenirs, comme un amour de jeunesse qu’on ne peut pas effacer de sa mémoire. De (très) nombreux matériels sont passés entre mes mains et mon œil a côtoyé bien des viseurs mais je n’ai jamais oublié cette sensation, ce touché et le bruit infernal de son déclencheur qui semblait vouloir rappeler au monde entier qu’il était là. Et puis, en décembre dernier, il a surgi du passé, à la faveur d’une annonce sur un site de ventes aux enchères et il n’était pas tout seul, le bougre. Il venait accompagné d’un 50mm standard f1,8 et surtout d’un joli Canon FD new 24mm f2,8. Comme un bonus, ce Canon EF était livré avec sa sangle, une housse Canon d’origine, la doc, la pub Canon d’époque et un Flash ring Canon connectable au flash Canon Speedlite et permettant de photographier au flash en mode automatique, sans avoir à se tartiner le calcul de l’ouverture en divisant le nombre guide par la distance,comme chacun le sait. Bref, dès que je l’ai vu, j’ai su que ça, c’était un clin d’œil, un signe du destin et je n’ai pas hésité une seconde. J’ai posé une enchère. Quatre jours plus tard, il était à moi. Je l’ai reçu hier matin. Séquence émotion.
Canon EF, c’est ma madeleine de Proust, c’est ma DeLorean, un voyage dans le temps, c’est surtout comme si on ne s’était jamais séparé. J’ai testé les piles, la cellule. J’ai monté le 24mm, comme neuf. J’aurais pu prendre une TriX dans le bas du frigo et partir faire des images sans avoir à regarder la doc, tellement ce boîtier est ancré dans ma mémoire, tellement il fait partie de mon histoire. Canon EF a rejoint ma collection de reflex argentiques Canon, entre le Canon F1 et le Canon New F1. Dans un tiroir, j’ai retrouvé l’œilleton que j’ai monté sur mon EF, la boucle était bouclée. Au printemps j’irai cramer quelques TriX en souvenir des années de gloire de Canon EF qui n’attend, j’en suis sûr, que le plaisir de retourner au charbon. Je conseille souvent aux jeunes photographes d’aller tâter de l’argentique, pour trouver des sensations, appréhender quelques fondamentaux, mettre les mains dans le coaltar, d’autant qu’on trouve des reflex argentiques d’occasion à des prix abordables. Et puisque nous en sommes au chapitre des gwennegs et du combien-ça-coûte, je vais vous dire combien m’a coûté le retour de Canon EF, ce reflex relativement rare parce qu’à l’époque il coûtait cher, accompagné de deux optiques, d’une housse, d’un flash ring et de la doc. J’ai payé l’ensemble quatorze euro, oui, oui, vous avez bien lu, quatorze euro plus douze euro de frais de port car je l’ai fait livrer en collissimo recommandé. Je ne voulais pas le perdre une seconde fois. Je pense que le vendeur souhaitait s’en débarrasser, n’en n’ayant lui-même plus l’utilité. Qu’il soit ici remercié et qu’il sache que ce reflex est entre de bonnes mains. Canon EF est de retour à la maison. Enfin.
• collection Canon, de gauche à droite, au premier plan : Canon FD 28mm f2 SSC, Canon F1n et Canon FD 55mm f1,2 SSC, Canon finder illuminator, Canon EF et Canon FD 24mm f2,8 new, Canon New F1 et Canon FD 85mm f1,2L, Canon FD 17mm f4 SSC.
Paul xa10 dit
Merci Hervé,
La mienne est pas si loin de la votre et s’appelle l’AE-1 !!
C’est le premier réflexe que j’ai eu entre les mains vers 4-5 ans ( Merci Maman d’avoir eu confiance).
Il ne m’a pas quitté depuis et de temps en temps, je l’amène faire un tour !!
harvey dit
Canon AE1 est le modèle qui a suivi et qui a hérité de toutes les avancées technologiques avec une robustesse et une qualité de construction typiquement Canon. Mécanique increvable !
Paul xa10 dit
Par contre les mousses d’étanchéité n’auront pas survécu à leur 30ème anniversaire.
On va changer ça et ça repart !!
harvey dit
Petit lien bien utile pour dater facilement un boîtier ou une optique Canon : http://canon.cavey.org/en/canon_date_codes.php
Managau Marc dit
Bonjour, bonne année, et surtout félicitations.
Je puis totalement ressentir ce que vous aviez ressenti au moment du vol. Moi, c’était mon premier reflex, un Petri FTE, volé á Poitiers. Puis, également á Noél, ce fut mon premier Canon, un AE1 Program..toujours en ma posséssion. Il a été rejoint par un F1 New, controllé par un professionnel l’an dernier, et justemen, nous y somme, à un deuxième EF: le premier avait des problèmes de baterie, il ne marchait pas…le nouveau, vendu 80 euros par un ami commun (Gérard Pigné) m’a montré la qualité des photos avec deux films (couleur Fuji et noir et blanc Ilford). Je ne regrette absolument pas l’achat, bien au contraire! Je ne saurais aussi qu’encourager les jeunes á essayer les boitiers de ces années.
Je vous suis très reconnaissant d’écrire de si beaux articles sur la photo. Merci pour dire ce que d’autres ne veulent pas entendre…(thème argentique/digital, thème Canon/Nikon)
A l’occasion, merci aussi pour l’aide au choix du format ( pour moi: Canon 5D/markII ou 7D)
Merci, a bientot, cordialement
Marc
harvey dit
Merci pour tout ça Marc. On en profite pour rappeler l’adresse du site de Gérard PIGNÉ dédié à sa passion pour le Canon F1 : http://fou-du-canon-f-1.org/topic/index.html
YML dit
Bel article, merci. Il faut bien avouer que cette trilogie de boîtiers est de toute beauté mais à tout hasard, si un jour tu souhaites te débarrasser de l’un d’entre eux sache que je suis acheteur potentiel de ton F1n, tout mécanique, increvable, discret, mythique. Presque aussi désirable qu’un M6 TTL.
harvey dit
J’ai acheté le New F1 en UK, il était neuf et n’avait servi que comme modèle pour les docs en Angleterre. Le New F1 qui figure sur les pubs anglaises de l’époque, c’est lui. Le gars qui le vendait l’avait retrouvé dans un carton à l’occasion d’un déménagement avec des liasses de pub 🙂 J’ai failli le vendre cent fois et finalement j’ai renoncé parce que c’est un boîtier chargé d’histoire. Idem pour le 85mm f1,2L acheté neuf au Japon. Quant au F1n, il m’a été offert par ma mère, autant dire que sa valeur sentimentale est énorme. Je ne le vendrai jamais. La charge affective des boîtiers argentiques n’a rien à voir avec ce qu’on vit aujourd’hui avec le matos numérique…
Bankroot dit
Je suis un tout récent quadragénaire qui adore les madeleines, et je dois vous avouer que je me délecte de vos articles.
Entré tardivement en photographie, j’ai d’abord possédé un EOS 300n que je n’ai jamais su (ou voulu savoir) utiliser, puis vint la magie du numérique- avec EOS 300d – avec lequel le contrôle immédiat de l’image réalisée était enfin possible procurant alors à l’exercice une facilité jusqu’alors inégalée. J’avais comme l’impression, tout débutant que j’étais, d’avoir mis un pied dans la sphère des pros.
Posséder un reflex avec plein de boutons et des objectifs interchangeables a certes un côté très « tape à l’oeil » toujours valorisant en société auprès de ceux qui n’y entendent goutte, mais, en aucun cas ne fait de vous un expert de la photographie, et à mesure de mes expériences, ce sentiment s’estompait pour finalement me rendre compte que toute ma pratique n’était basée que sur le tâtonnement et que de maîtrise, il en était totalement hors de question.
Aujourd’hui, si avec un peu d’auto-formation, plus d’expérience et un EOS 40d (que j’aime beaucoup au passage !) je peux me considérer comme un amateur « éclairé » ou « averti » selon les expressions consacrées, il m’est toujours impensable d’affirmer que je maîtrise ma machine, et je pense que ce sentiment durera tant que j’aurais un contrôle instantané sur l’image que je réalise.
C’est pour cela qu’un AE1 Program vient tout récemment de faire son apparition dans mon petit meuble de matériel photographique. J’ai acheté le kit de mousses « ad hoc » afin de lui redonner un peu de santé, et au delà du plaisir et de la dimension affective liés à la « remise en route » et à la hâte d’appréhender cet instrument, j’ai la nette impression qu’il va m’en apprendre beaucoup plus que tout ce que j’ai pu découvrir jusqu’ici avec le numérique.
Je ne serai jamais un professionnel, là n’est pas mon but, mais j’ai trop de respect pour la photographie, l’acte photographique, et les vrais professionnels qui l’exercent, pour me taire face à de plus en plus nombreux « guignols » (c’est comme ça que j’appelle les jeunes amateurs qui présentent les caractéristiques que je vais vous énoncer) exhibant des 7D (ou mieux encore des 5D mk iii) grippés, réhaussés de cobras, avec des pierres précieuses (on ne dit pas caillou précieux je crois ???) rivés à la bague de leur boîtier, gesticulant comme des pantins désarticulés et prenant les positions les plus improbables afin, non pas de prendre des photos (vous verrez dans deux lignes pourquoi je dis ça…), mais seulement de « se la jouer pro » dans les soirées, dont, cerise sur le gâteau, la molette du boîtier reste définitivement calée sur le carré vert !!!
Alors pour finir, je rejoins certains lecteurs et vous remercie Hervé pour ce que vous êtes à mes yeux, un « vrai pro », maître et respectueux de l’instrument qu’il a entre les mains et de ce qu’il en fait. Et si cet AE1 Program est chez moi aujourd’hui, c’est aussi grâce à vous.