Mon interlocuteur est tourneur, producteur. On discute au téléphone de la rentrée, des concerts, on papote comme des vieux potes qu’on est. Et le sujet des accréditations payantes s’invite dans le fil de la discussion. Je n’ai pas souhaité en parler, d’ailleurs le ton devient subitement cassant. La crise est aussi passée par là, c’est un sujet quasiment tabou, comme un serpent de mer qui réapparaît de temps en temps. « Objectivement, je ne vois pas les arguments qui pourraient s’opposer à la mise en place, dans un avenir très proche, à la généralisation du système des accréditations payantes« . J’oppose que personne ne devrait avoir à payer pour faire son job. « J’en conviens. Sauf que ces dernières années, on a assisté à une multiplication de l’offre. Dans les prods, on n’arrive plus vraiment à faire le tri entre ceux qui viennent avec leur appareil photo en touriste juste pour gratter le prix de la place et ceux qui viennent vraiment bosser… » Alors les prods sont devenues au fil du temps de plus en plus regardantes, voire exigeantes, très exigeantes. Conditions de prises de vues de plus en plus drastiques (deux trois premiers titres sans flash, par exemple), signatures de contrats préalables où on autorise à photographier l’artiste sous certaines contraintes (profil droit uniquement, par exemple) et où le dit contrat stipule que vous ne pouvez, en clair, rien faire de vos clichés : pas de poster, pas d’objet publicitaire, pas de publication dans quelque support que ce soit. Ça c’est fait. Certaines productions demandent également à visualiser les clichés pour approbation préalable avant toute éventuelle publication. Ou interdisent radicalement toute prise de vue. On se souvient d’un incident entre un artiste et les photographes aux Vieilles Charrues qui avait fait couler beaucoup d’encre.
Autant d’éléments qui font que le principe de l’accréditation payante fait son chemin, notamment dans la tête de nombreux producteurs de festivals. C’est déjà une réalité pour un certain nombre d’entre eux. C’est un sujet tabou qui dérange ou qui agace et provoque des réactions assez vivaces. « Un jour, me racontait un producteur, j’ai entendu un photographe dans un bar se vanter d’avoir vendu un cliché à un média, en exclu, à un prix exorbitant. Je l’ai alpagué en lui disant que moi, en temps que producteur, sur ce concert-là j’avais perdu de l’argent. Alors ça va quoi… Je lui ai dit que la prochaine fois il paierait son entrée, comme tout le monde ! » Et l’as revu ? « Non, jamais… » Même son de cloche auprès des producteurs de festivals. « Donner une accréditation gratuite, j’ai rien contre me dit un organisateur de festival, encore faut-il que ça m’apporte une vraie plus-value en terme d’image, un vrai relais d’information. Il faut bien avouer que c’est rarement le cas. La plupart du temps, ça ne m’apporte rien en relais promo, quant à la qualité des images elle est souvent discutable… » Et il ajoute : « Donc oui, clairement, il y aura de plus en plus d’accréditations payantes, mais bon en réalité le système existe déjà depuis pas mal d’années, il est admis mais personne n’en parle ! » On en est là. Finalement les producteurs, les tourneurs, lassés de recevoir un nombre grandissant de demandes d’accréditations photo, n’ayant pas toujours les ressources humaines pour faire le tri dans les demandes, ont recours à ce système expéditif et radical qui leur assure de surcroît, un complément financier.
Et les photographes, dans tout ça ? D’un côté les photographes de presse, qui eux ne sont de toutes façons pas concernés et continueront d’arpenter les pits pour y faire des images. De l’autre, les autres. Les indépendants comme les touristes japonais, tous ensemble dans le collimateur des productions. Pas sûr que ça fasse les affaires du photographe indé qui a déjà de la misère à vendre ses clichés à 18€ HT la pige, quand il va devoir débourser un ticket d’entrée à 35€ et je ne parle même pas d’un pass trois jours à plus de 100€ sur un festival. La crise est passée par là et elle touche salement le milieu musical. « Franchement, ça fait un bail que je n’ai plus d’états d’âme. Le seul truc qui compte, c’est la couleur de la dernière ligne de mon bilan et j’aime autant qu’elle ne soit pas en rouge ! Alors si je dois en passer par là, faire payer l’entrée à des gens qui ne m’apportent rien de rien, c’est sans problème ! » C’est clair, on ne va pas vers les beaux jours. Un caillou de plus dans les pompes de la nouvelle génération de photographes.
• crédit photo : Hervé LE GALL
[…] Accréditations payantes, un caillou de plus dans la chaussure des photographes indépendants : Sur le site shoot.fr explication sur la multiplication des accréditations payantes pour les photographes de concerts. Face aux abus les producteurs ne veulent plus laisser les photographes faire n’importe quoi surtout quand l’échange n’est pas gagnant-gagnant. […]