Je vous le dis tout net. Vincent est fada et je crois bien que sa femme Céline l’est aussi un peu. La première chose dont je me souviens, avec ce photographe, c’est son nom. Montibus. C’est le genre de nom qu’on vous dit une fois et dont vous savez tout de suite que vous allez vous en souvenir toute votre vie. Un nom rigolo, qui évoque la malice, les jeux d’enfants. Vincent Montibus. Et puis un jour, j’ai vu une de ses photos et là, j’ai cessé de rire. J’ai été scotché à mon écran, stupéfait. C’était le genre d’images qu’on voit une fois et dont on sait qu’elle va rester graver toute sa vie, quelque part dans sa mémoire. Un cliché d’anthologie, pour moi, sans hésitation. Comme la mariée en rouge de Géronimi, par exemple. Un cliché qui n’a rien d’anecdotique. Une tête hallucinée qui regarde à l’intérieur d’une machine à laver, tout est parfait. Le regard de fou, la position des mains, la texture de la peau, l’éclairage, la délicatesse du grain. J’ai pris ce cliché en pleine gueule, dans un premier temps. Et puis je me suis posé, une fois l’émotion passée et je me suis dit qu’il fallait être singulièrement barré, non seulement pour avoir l’idée de faire une photo comme celle-là, ensuite pour la mettre en scène et finalement pour la faire et surtout, excusez du peu, pour la réussir. Un instant de grâce ? Justement non. C’est là que j’ai décidé d’en savoir plus sur ce Montibus. Je savais au moins une chose de lui. Rien que pour ce cliché, je le détestais déjà. Je lui en voulais d’avoir su faire ce que je n’aurais jamais fait, mais entre nous je n’aurais pas osé. Non, mieux. Je n’y aurais même pas pensé. J’étais furieux mais heureux. Je tenais enfin le chapitre deux de mes mémoires sur ma haine ordinaire. Ordinaire ? Non. Vincent n’est pas un garçon ordinaire. Portrait.
• Montibus. Un peu de technique, beaucoup de malice.
Vincent a trente deux ans, c’est un pur autodidacte, comme je les aime. Formation d’ingé, il bosse dans le domaine informatique, option imagerie médicale. Il n’a pas usé ses fonds de culotte sur les bancs de la communale en rêvant d’être photographe, même si tout petit il a patouillé dans l’argentique et ses joyeusetés, le développement, les négatifs, le papier qui se révèle, tous ces trucs un peu magiques qui pénètrent vos sens et vous vaccinent à tout jamais. En plus, Vincent, la technique, ça a toujours été son truc. Il faut l’écouter parler, on sent chez lui ce truc palpable quand il dit le mot « photo ». Là tout s’éclaire, tout devient évident. Vincent aurait pu rencontrer une fille branchée fringues, mode ou water polo, mais les fées qui veillaient pas très loin en ont décidé autrement et donc ce fut Céline. Ces deux-là étaient à coup sûr faits pour se rencontrer et partager les mêmes rêves et les mêmes images. Ainsi, de cette union vont naître trois petites filles et un drôle de projet baptisé un nuage en bouteille. Vincent et Céline partagent tout, à commencer par leur matériel photo et la même envie d’accrocher des images. Ils couvrent ensemble des mariages. « Ensemble mais finalement pas tout à fait ! » précise Vincent. « Quand on est en reportage, chacun est dans sa bulle. » Et alors que je m’interroge sur la nécessaire confrontation des points de vue au dérushage des images, Vincent assure : « On apprend tous les jours de l’autre. » À y regarder de plus près, à entendre Vincent parler de Céline, je réalise que l’aspect fusionnel du couple est un moteur fantastique, une clé de la réussite de leur travail. Céline avance, elle aussi. Sa série de clichés sur la thématique du feu est simplement épatante. Au risque de me répéter, ces deux-là étaient faits pour se rencontrer. Entre eux la symbiose est parfaite et l’osmose n’est pas mal non plus.
• La passion de la photo. Sans retenue.
Parce qu’à un moment donné de sa vie il faut se décider, Vincent a pris un congé sans solde, histoire de vivre sa passion à fond, sans retenue. Vincent c’est un peu un Nimbus de la photographie, il explore, traque l’image, la déforme, il a ce petit grain de folie, cet œil impertinent. Et il vit tout ça à fond, c’est ce qui fait la puissance de ses images. Lorsque Vincent et Céline abordent la photo de mariage c’est pareil. La pose peut être sage et raisonnée, mais ça peut aussi partir en live parce que finalement la vie c’est aussi ce petit grain de folie. Un regard qui en dit long, un baiser fougueux sur le capot d’une DS, une escapade en Solex, des jeux de mains en forme d’amour, … Un regard teinté d’ironie, mâtinée de tendresse joviale, c’est ça, pour moi, la patte Montibus, comme une signature. C’est au moins autant une photo que l’idée même de la photo. Le tout, je veux dire le résultat, c’est une série de clichés uniques, une vision unique. Le cliché que je prends en pleine gueule, celui que je perçois, dont je vais me souvenir, que je vais savourer en murmurant « ah ouais… » avec un soupçon d’envie dans la voix. Quant aux mariés, je veux bien parier que dans quarante ans, ils en riront encore et vous savez quoi ? Ils se souviendront du nom de ces photographes avec qui ils avaient passé un si bon moment et qui avaient fait de ce jour le premier jour du reste de leur vie.
• Un genre de Peter Pan qui serait devenu photographe
Vincent me disait récemment qu’un jour il a eu l’appel de l’œil. Voilà, c’est à ça finalement qu’on reconnaît les photographes, les vrais, les purs, les durs, les tatoués. Un jour la photographie allume votre œil et c’en est finit de votre histoire ordinaire. Désormais, vous serez (mal) payé pour aller capturer des instants que les autres ne voient pas, pour faire des images qui flatteront d’abord votre regard. Vincent est de ce calibre là. Capable de rester planté devant un verre d’eau et de transfigurer ce verre d’eau. Là où un autre restera plaintif sous la couette à se morfondre parce que dehors il pleut, Vincent se dira « tiens ! Il pleut ! Et si je me mettais la tête dans la machine à laver, pour voir ? » Et là vous me dites, qu’est-ce qu’il va bien pouvoir foutre de sa tête dans la machine à laver ? Et quand vous voyez le cliché, vous comprenez le sens littéral du mot provençal fada. Celui qui a été touché par les fées. Ce qui fait le charme de Vincent Montibus, ce qui me touche, qui m’émeut, c’est que ce grand gaillard de trente ans passé est un genre de Peter Pan qui serait devenu photographe. De l’enfance, il semble avoir gardé une certaine naïveté, une candeur, une innocence, une petite dose de folie aussi, de cette folie qu’on a quand on est gosse et qu’on perd quand on devient un adulte, malheureusement. Vincent, lui, il a gardé tous ces petits ingrédients, il les met bout à bout et les intègre dans ses photographies. Le résultat ? Vous l’avez sous vos yeux ébahis. Montibus. Retenez bien ce nom car Vincent est encore jeune, il maîtrise déjà parfaitement son sujet et il n’a pas fini de nous étonner. Il me tarde déjà de voir ce que son imagination de fada toujours en ébullition va nous concocter. On a besoin de photographe comme Vincent Montibus et il faudrait que ça se sache. Parce que, de vous à moi, dans ce monde de brutes, les fées ont toujours raison…
• cliché : la machine à laver, par Vincent Montibus.
• 7 questions à Vincent Montibus, ses réponses au questionnaire Shots !
• découvrir le book en ligne Un nuage en bouteille et son blog.
Mathieu dit
Bonjour
J’ai lu cet article il y a 15jours et pas un seul commentaire…
C’est bien dommage à mon sens car je ne dois pas être le seul à découvrir ce photographe dont le travail me donne le sourire. Ses photos sont rafraichissantes; c’est un régal.
Merci M Le Gall pour le partage.
harvey dit
@Mathieu le truc le plus important c’est surtout que le billet a été très lu ! Et beaucoup retwitté aussi. Mais bon c’est vrai que la qualité du travail de Vincent Montibus se passe de commentaires !
Azety dit
à force de répéter un nom , de lui faire des compliments , et surtout de balancer la photo de machine à laver dans tous les sens , ça rebute.
J’irais pas voir ses photos !
harvey dit
@Azety non seulement Vincent Montibus est un excellent photographe mais humainement il vaut aussi le détour.