Hier dimanche, après la messe, j’avais rendez-vous avec Yves, quatre vingt six printemps. Cet ex-charpentier de marine, qui a travaillé toute sa vie à l’arsenal de Brest, coule désormais une retraite paisible mais active à Douarnenez. Il y a quelques années, Yves avait offert à mon beau-père un greffon de pommier dont j’ai hérité. Il faut vous dire qu’ici, à Douarnenez, quand on parle de passé-pomme, on voit briller dans les regards une lueur particulière. La passé-pomme est aussi sûrement une vedette pour les penn-sardins (comprendre les douarnenistes, prononcer peine-sardines) que leur sacro saint kouign amann, littéralement gâteau au beurre, une spécialité qui se mange chaude et qui vous fait grimper sûrement votre taux de cholestérol, tant ce délice à base de pâte à pain pliée et repliée suinte de beurre ou que les poèmes de Georges Perros, figure éternelle du quartier Sainte Hélène, mais là je vous parle du temps d’avant, d’Yvonne et des copines, des rires de Tante Soeur et de Tante Marianne (qui assurément est désormais au paradis), de Monsieur Jos sur le chemin des Plomarc’h qu’on appelait comme ça parce que Monsieur Jos c’était aussi le sobriquet de son chien, ça ne s’invente pas. Douarnenez, quoi, la plus belle baie du monde selon Guillaume Marec qui en avait vu d’autres aux quatre coins de la planète, la plus belle baie du monde loin devant celle de Rio, laissez-moi rire. Sauf que tout fout l’camp, de nos jours. La petite passé-pomme (qu’on appelle ailleurs pomme baril) n’évoque plus vraiment grand chose pour les jeunes générations et c’est bien dommage. Cette petite pomme adorable à croquer, précoce, avec peu de pépins, très gustative, cuisant vite, se dévoile chaque année au début du mois d’août. Elle existe encore dans quelques vergers à Douarnenez, mais se fait de plus en plus rare. Seul un irréductible continue de transmettre le patrimoine en offrant ses greffons, en attendant de rejoindre Saint Pierre. Yves s’amuse d’un rien. Dans son minuscule jardin, au cœur d’un bordel savamment organisé, on trouve de tout et de rien, résultat de ses expériences naturalistes improbables mais toujours réussies. Comme quoi Dieu sait reconnaître les siens. Des pommiers bien sûr, un cognassier, ici un figuier et là-bas dans le fond un prunier sur lequel Yves a greffé sept ou huit races de prunes différentes et qui est extraordinairement prolifique. « Ici, tu vois, il y a des prunes blanches, des prunes jaunes, des prunes noires, et tout ce petit monde cohabite en paix » assène Yves, l’oeil guoguenard. Un coup d’oeil aux jardins voisins, voilà des pommiers (passé-pomme, elstar, teint frais), plus loin un prunier couvert de quetsches dont les branches ploient sous le poids des fruits, là-bas un kiwi. Tu greffes aussi les kiwis Yves ? « Ah gast ! Oui. Parfois il faut aider mère Nature a faire son travail, parce qu’elle y arrive pas toute seule« . À ma prochaine visite, Yves veut m’apprendre la greffe des pommiers. « Comme ça tu sauras, quoi ! » Je photographie Yves, dans sa cuisine, attablé devant son verre de gwin dru (vin rouge). Il observe mon boîtier, je lui montre la photo sur l’écran, je lui explique en deux mots, la carte, le numérique, tout le saint frusquin, son œil s’éclaire, ça l’épate, ça le dépasse un peu mais il pige tout, vite et bien. Je lui dis qu’à Noël, je lui amènerai une photo de passé-pomme. Un souvenir glorieux du temps passé qu’un petit bonhomme droit dans ses pompes, authentique comme pas deux, contribue à transmettre aux générations futures. Pour ne pas oublier.
• cliché : la passé-pomme (Douarnenez, 2010).
• Où acheter un pommier « Passe-pomme » ? Aux Pépinières LADAN à Confort-Meilars (29). Comptez 14,90€ pour un plant racines nues. Plus d’infos sur le site internet des pépinières Ladan.
lpesquer dit
Merci de votre description…nous en avons aussi un dans notre jardin de Tréboul.
bankroot dit
Très bel article, dans lequel j’ai croqué aussi goulûment que je croquerais dans cette petite passé-pomme. Altruisme, Mémoire d’un peuple, choses simples de la vie qui font de nous ce que nous sommes et que nous oublions si vite ! Merci de cette délicieuse piqûre de rappel !
harvey dit
« La Passe-Pomme rouge, est la plus hâtive, qui est belle à peindre, fort fleurie, fort tendre, charge beaucoup, veut estre mangée de bonne heure et un peu ferme, estant sujette à cottonner. » Jean MERLET 1667
Source : http://www.croqueurs-idf.com/Merlet1.htm