Je me souviens parfaitement de ce moment. C’était la fin des années 2000, en 2009 il me semble, au salon de la photo. Cette année-là, je ne le savais pas encore, mais ma vie de photographe allait prendre un virage des plus inattendus. J’allais découvrir, subjugué, un reflex numérique qui allait me convaincre de quitter Canon avec qui j’avais passé l’essentiel de ma vie, pour adopter Nikon D3s. Mais pour le moment, j’étais sur le stand de la marque rouge et je devisais sur leur nouveau reflex, EOS 5D, qui faisait de la vidéo, ce qui en faisait sourire plus d’un. De la vidéo sur un reflex ? Ça marchera jamais. C’est ainsi qu’en causant, nous étions arrivés à évoquer la photo argentique, qui n’en finissait pas de mourir, aussi lentement que sûrement. J’avais avancé qu’un jour ou l’autre la photo argentique renaîtrait de ses cendres et j’avais provoqué l’hilarité générale. Non. C’était foutu, acté, fin de l’histoire. La pellicule allait disparaître, aussi sûrement que les dinosaures…
Photo argentique. Tel un phénix.
Je n’ai insisté, tant j’étais en minorité, mais j’ai toujours conservé au fond de moi cette certitude. Un jour ou l’autre, la jeune génération de photographes, celle qui n’aurait connu que le numérique, voudrait elle aussi connaître ces sensations, revendiquer sa part de rêve. Cette inimitable vibration qu’on ressent à illuminer des cristaux d’argent. Car elle est bien là, la différence entre numérique et argentique, c’est juste une question d’émotion. De respiration, de tempo.
Entre le numérique et l’argentique, il y a un monde de similitudes et un monde de différences, même si au bout du compte, on aboutit à la création d’une image photographique. Pratiquer la photo argentique n’est pas rétrograde mais franchement, si vous n’avez jamais développé vous-même une pellicule que vous avez réalisée, vous avez raté un truc. Ouvrir une cuve de développement après un traitement, découvrir les images sur la pellicule, comment vous dire ? C’est de la magie. Voilà c’est ça, l’argentique. Ça fait de vous un magicien. On est loin, évidemment, d’une simple pression sur le déclencheur d’un mirrorless à visée réelle qui vous montre l’image finale dans le viseur. Pas le même monde, je vous dis.
• La photo argentique selon Chris Gatcum
Alors bien sûr, quand j’ai ouvert l’enveloppe estampillée Eyrolles et que j’ai découvert son titre, Manuel de photo argentique, je n’ai pas pu m’empêcher d’esquisser un léger sourire. Le même sourire que celui qui s’affiche lorsque je vois passer des petites annonces sur les groupes de discussion, de jeunes photographes cherchant qui un Canon AE-1, qui un Nikon FM ou un Nikkormat. Cette jeune génération biberonnée au pixel, à l’editing et aux presets n’a qu’une envie, aller voir ailleurs. C’est cette génération dont je pressentais la venue, il y a plus de dix ans. C’est Chris Gatcum, évidemment, qui est l’auteur de ce manuel de photo argentique. Cet infatigable explorateur fait partie de ces photographes fascinés par la sensation matérielle et concrète de la pellicule. Que ce soit sur une chambre 4*5 pouces, un vieux boîtier vintage, un reflex haut de gamme, Chris Gatcum a la passion de l’image chevillée au corps. Produire une image, par tous les moyens possibles. Mais comme me le confiait un ami photographe il y a peu « La photographie argentique, c’est quand même vachement plus amusant ! »
• Les fruits de la passion
Dès l’introduction de son Manuel de photo argentique, Gatcum pose les bases de sa passion. Je ne résiste pas au plaisir de transcrire ses mots : « Ne vous méprenez pas : je ne suis pas un de ces intégristes argentiques de la vieille école qui rejettent tout ce qui est numérique. Je ne suis pas non plus ce hipster branchouille désireux d’épouser une technologie ancienne au nom de la mode. Non, je crois simplement que le numérique est arrivé, mais que l’argentique n’a jamais disparu… » Voilà, on entre dans le vif du sujet et ça devient rapidement passionnant. Gatcum ne se contente pas de prodiguer ses conseils, il explique aussi pourquoi, avec force détails sans jamais être lénifiant.
Quel film choisir ? Plutôt noir et blanc, négatif couleurs, diapositives ? On parle de sensibilité, de finesse de grain, d’émulsion. On parle de boîtiers et d’objectifs aussi, et on sent bien que pour Chris c’est une vraie marotte ! Pour quelques euro, vous réaliserez peut-être le rêve de « faire de l’argentique ». Avec un simple compact ou un reflex de qualité qui dort au fond d’un placard, vous sentez que vous êtes prêts à repartir à l’aventure, lui redonner vie, revoir la lumière.
Chris Gatcum a donné comme titre à un des chapitres de son livre « Vivre sans histogramme« . Et Chris de préciser : « En somme, exposer un film est un élément essentiel du défi (et du plaisir) de l’argentique, mais cela peut également s’avérer très frustrant. » Cette phrase résume à mon sens ce qui motive un photographe à faire de la photo argentique. Rien n’est sûr, rien n’est gagné. Vous êtes prévenu, vous aurez de nombreuses déconvenues, des échecs, des ratés. Mais tout cela n’est rien comparé au plaisir intense de découvrir que vous avez réalisé un bon cliché, une photo qui vous plait et qui restera.
• Chris Gatcum a écrit un livre rare
Le manuel de photo argentique fait partie de ces livres rares que tout photographe qui ambitionne de se mettre à l’argentique doit absolument avoir dans sa bibliothèque. C’est un livre qu’il faut lire, de bout en bout, un livre qui se dévore, mais surtout, ce livre a une qualité essentielle. Il donne envie. Je veux bien parier que nombre de photographes, équipés aujourd’hui en numérique – « ces boîtiers d’une efficacité phénomènale mais c’est justement là que réside leur absence d’âme » – , qui n’ont pas, jusqu’à ce jour, osé franchir le pas, vont y aller après avoir acheté et lu ce magnifique bouquin. Mais je vais vous faire un aveu. Au fond, je les envie beaucoup. Ils vont découvrir un monde magique dont ils ne soupçonnaient pas, jusqu’à ce jour, l’existence.
• merci aux éditions Eyrolles de publier ce livre absolument essentiel. Vous pouvez l’acheter chez Amazon et dans toutes les bonnes librairies (25€).
• cet article n’est pas sponsorisé.