Lundi 22 avril. C’est le lundi de Pâques, jour férié. Après demain, mercredi soir, dernier concert de la saison au Vauban. Dernier concert, avec le Quartet Angelini qui produit un jazz atmosphérique, tout en élégance et en délicatesse, bref, le set parfait pour tester le dernier des quatre boîtiers hybrides. Après avoir travaillé sur le terrain avec Fujifilm X-T3, puis Sony A7 Mark III et Canon EOS R, il est temps pour moi de revenir à la maison et de tester – enfin ! – le boîtier Nikon Z6. Parce qu’on ne va pas se mentir (pas le genre de la maison), je ne peux pas regarder un boîtier estampillé Nikon de la même façon qu’une autre marque, tant j’ai avec la marque jaune un attachement sincère et une vraie fidélité, depuis maintenant dix ans et ma première rencontre avec D3s, le petit prince des reflex. N’empêche. Nikon ou pas, le concert c’est après demain et ça va être chaud cacao au niveau du timing. Même si du côté de mes camarades de chez Nikon, au NPS, on m’assure que le boîtier sera bien là dans les délais, sauf impondérable. Finalement, mercredi arrive, point de Nikon Z6 à l’horizon. On m’annonce que c’est râpé. Finalement, ce soir-là, je vais bosser avec mon tandem habituel, Nikon D500 et Nikkor 24-120mm f/4. Après tout, il y a eu une vie avant le mirrorless. Et puis, de vous à moi, ce raté, au fond, ça me soulage.
Nikon Z6. Enfin.
Je vais vous faire un aveu, sincère. Avec tout ce que j’ai pu entendre, ici et là, à propos de Nikon Z, mon envie de tester le mirrorless de la marque jaune est quasi nulle. Je suis sur le point d’envoyer un message à Nikon, pour annuler purement et simplement le test terrain de Nikon Z6, arguant que je le testerai entre deux, cet été aux Vieilles Charrues. Parce qu’au fond, ce test, je le sens pas. Qu’est-ce qu’on n’a pas dit et écrit sur Nikon Z6 ! Que son AF est naze en basses lumières, que Nikon a mis à côté, que de toutes façons la concurrence (comprendre Sony) a pris une telle avance que l’entrée en lice de marques comme Nikon ou Canon est parfaitement inutile, que c’est foutu, que le combat est perdu d’avance. Est-ce bien sérieux dans ces conditions de vouloir encore tester Nikon Z6 ? Je suis sur le point de lâcher l’affaire, avec un moral aussi gris que la couleur du ciel, quand je reçois un SMS de Chronopost. Le colis de chez Nikon arrive demain et Z6 n’arrive pas seul. Il est accompagné d’un Nikkor Z 50mm f/1,8, d’un Nikkor Z 24-70mm f/4 et d’un adaptateur FTZ. Le photographe curieux et gourmand que je suis reprend le dessus. Cette fois, on va vraiment voir ce qu’il a dans le ventre ce Nikon Z. Il n’y aura aucune concession et il a vachement intérêt à être bon, car je ne vais rien lui passer, juste parce qu’il s’appelle Nikon. Surtout parce qu’il s’appelle Nikon.
• Premier contact. Une ergonomie 100% Nikon.
Quand je l’ai sorti du carton, j’ai eu l’exacte et identique sensation que celle que j’avais eu avec Canon EOS R. C’est du Nikon. La construction inspire la solidité, c’est propre comme du Nikon, avec une excellente prise en main. Un rapide coup d’œil sur les molettes avant et arrière à droite, la grosse molette MASP à gauche, l’écran tactile inclinable et les boutons. Deux boutons de fonction (Fn1 et Fn2) en façade avant, un bouton ISO, un bouton de correction d’expo et sur l’arrière les boutons lecture, corbeille, AF-ON, zoom, menu, le joystick et la molette OK. En un coup d’œil, je sais déjà que je suis à la maison. Ah ! Il y a aussi un bouton i qui va s’avérer prodigieusement efficace. Mais pour le moment, il est temps de monter une optique sur ce Nikon Z6. Instinctivement, je choisis Nikkor Z 24-70/4 S. J’enlève le bouchon de la monture et là, Ô mes aïeux ! Le premier choc. Je découvre la nouvelle monture Nikon Z, bouche bée. Extatique, comme Jean-Pierre Marielle devant un cul sublime dans les Galettes de Pont-Aven, je suis fasciné, éberlué, scotché devant cette monture. Diamètre monstrueux (55mm), tirage mécanique de 16mm, la messe est dite. On se dit que cette monture va permettre à Nikon d’aller loin, très loin. Si je dois retenir une chose, une seule chose de la gamme Z, c’est bien ça. Cette monture qui ouvre à la marque jaune des perspectives optiques dantesques, inimaginables à ce jour. Ce n’est pas pour rien que Nikon a annoncé la couleur avec un 58mm Noct ouvrant à f/0,95 ! Objectivement (si j’ose dire), Nikon peut envisager d’aller encore beaucoup plus loin. Cette monture Z, c’est l’argument qui, à terme, peut anéantir la concurrence, comprendre Sony et sa monture rikiki initialement prévue, rappelons-le, pour un capteur APS-C.
Bref, je monte l’optique sur Nikon Z6, je loge une carte XQD dans le lecteur. Un seul lecteur, suis-je le seul photographe que ça ne choque pas ? J’utilise des cartes XQD de 64Go, un standard connu pour sa fiabilité et ses performances, alors un lecteur, moi, ça me va. D’autant que ce format de lecteur va bientôt accepter le prochain standard CF Express, avec des capacités énormes et des perfs sidérantes, clouant sur place des formats comme l’antique format SD. Non, soyons sérieux, si vous voulez vraiment un sujet qui (me) fâche, en voilà un. Machinalement, je regarde la semelle de Nikon Z6 et je m’étrangle. Il n’y a pas de connecteur de grip. Je déroule le scénario, vite fait.
Pas de connecteur de grip, ça veut dire pas de communication avec un grip éventuel donc… 1- pas de possibilité de shooter en mode portrait et d’activer des fonctions comme l’AF depuis le grip 2- pas d’extension d’autonomie. Là, je prends un gros coup de penn bazh* sur la tête, je pense qu’avec le flot d’insultes que j’ai énuméré, plus d’une oreille a dû siffler chez Nikon corp. Comment les ingénieurs de chez Nikon ont-ils pu faire pour commettre une erreur aussi grossière ? J’ai envie de vous répondre, sans offense aucune, parce qu’ils sont japonais. Dans le même ordre d’idée, pourquoi chez Canon ont-ils choisi la stabilisation par optique alors que tous les autres (Fujifilm, Sony, Nikon) ont opté pour une stabilisation boîtier ? C’est typiquement la mentalité japonaise. Naturellement, l’une des premières critiques à avoir été remontée à Nikon corp. tient dans l’absence de grip. Je sais de source sûre qu’un grip est dans les tuyaux pour la gamme Z. Mais il ne servira qu’à augmenter l’autonomie, ce qui est déjà une excellente nouvelle. Mais on aurait aimé plus, évidemment.
(penn bazh : gourdin en breton)
• Visée réelle, un bond de géant !
Je passe l’œil dans le viseur de Nikon Z6, pour la première fois. Pour la petite histoire, j’avais refusé de prendre ce boîtier en main au salon de la photo. Je ne voulais pas que notre première rencontre se passe à la va vite, entouré du brouhaha des gens. Le salon de la photo est le pire endroit qui soit pour tester du matériel photo. Non. Je voulais être seul, tranquille, peinard, à la fraîche, chez moi, dans mon studio. J’ai activé le bouton ON, réglé le viseur à ma vue. Je ne vais pas remettre le couvert sur tout ce qui peut opposer un viseur électronique à une visée reflex, tant il s’agit de deux mondes différents. La visée reflex restitue la réalité que le miroir capte de l’optique, quand la visée électronique interprète cette réalité. Reste à jauger, à évaluer la qualité de l’interprétation. Dans le cas de Nikon Z6, ça me semble pas mal, a priori. La suite va me prouver qu’il n’y a pas eu confrontation entre mon œil gauche et le viseur électronique, puisque j’ai travaillé pendant une longue session avec Nikon Z6 sans que mon œil en souffre.
Le confort de la visée réelle tient dans son nom. La capacité de ce viseur à interpréter la réalité, selon les réglages effectués par le photographe est naturellement un immense pas en avant. Mieux encore, la visée réelle révolutionne globalement l’approche de l’acte photographique. C’est véritablement du WYSIWYG (what yo see is what you get), ce que vous voyez dans le viseur c’est l’image que vous allez obtenir. En clair, si vous chiez vos réglages, en étant sur-ex ou sous-ex, si ça crame dans les hautes lumières, si votre réglage de diaph ou de vitesse n’est pas cohérent, vous allez le voir immédiatement dans le viseur et ça, évidemment, ça change tout. Du point de vue pédagogie, apprentissage de la photographie, la visée réelle est un merveilleux outil. La profondeur de champ, quand on ouvre grand, vous la visualisez en direct live.
• Ergonomie et écran tactile, le duo parfait
Un des premiers trucs que j’ai noté c’est l’absence de rétro-éclairage sur Nikon Z6. La raison est assez simple, c’est parce que c’est globalement inutile. Avec ce boîtier, tout se passe dans le viseur. Pendant un concert, une spectatrice m’a demandé pourquoi je photographiais ses chaussures, tête baissée vers le sol. J’avais l’œil dans le viseur et j’avais activé le bouton i. Ah ! Ce fameux bouton i… Il active un panneau constitué des principaux réglages du boîtier. En évoluant dans ce panneau, on peut activer les commandes de Nikon Z6, soit l’œil au viseur, soit en tactile sur l’écran arrière amovible. Via le menu (identique au menu des reflex Nikon dans sa présentation, les utilisateurs de la marque jaune apprécieront), on peut naturellement personnaliser son panneau d’information, ce que je me suis empressé de faire.
Pour moi mes choix sont : le format d’image FX/DX (j’ai désactivé les formats exotiques dont je ne me sers jamais, genre carré ou 16:9), qualité d’image (RAW/jpeg), sensibilité, mode de mesure, mode de mise au point, mode de zone AF. Puis, balance des blancs, taille d’image, correction d’expo, D-Lightning, accès aux réglages perso et mode silencieux. Donc, en clair, une fois que j’avais repéré que la touche i tombe sous le joystick, à droite, j’étais prêt. Le fait de pouvoir accéder à la quasi totalité de mes réglages de prédilection, directement sans quitter l’œil du viseur, c’est absolument priceless ! Accessoirement, c’est aussi d’une grande discrétion, car le photographe peut faire ses réglages sans illuminer son environnement. Sachant qu’il est aussi possible d’accéder aux réglages via la touche i sur l’écran tactile amovible. En fait, on peut tout faire, absolument tout, sans quitter un instant l’œil du viseur : les réglages, la prise de vue en visée réelle, la visualisation des images, c’est un immense pas en avant, mais qui a aussi ses contreparties…
• L’autonomie, talon d’Achille des hybrides ?
Ne vous avisez pas de comparer l’autonomie d’une appareil photo hybride, quelque soit la marque, avec celle d’un reflex. Dans mon D500, pour ne citer que lui, j’embarque une batterie dans le logement du reflex, plus une batterie de D4s (EN-EL18) dans le grip Nikon. Résultat ? Avec cet équipement, je shoote plein pot deux jours d’affilée sur un festival comme les Vieilles Charrues. Avec un mirrorless, la batterie est sollicitée sans arrêt, dès que vous enclenchez le bouton ON. Il en faut de l’énergie pour alimenter le viseur et tout le boîtier, donc oui, c’est très énergivore. En une soirée de concert, trois heures de shoot intense en mode AF-C suivi, l’œil constamment collé au viseur, j’ai épuisé la batterie de Nikon Z6. Quand je suis rentré au studio, l’indicateur de batterie s’affichait en rouge. Pour info, il faut environ deux heures pour recharger une batterie, donc l’achat d’une, voire de deux batteries supplémentaires me semble une recommandation raisonnable.
• La gamme optique
Contrairement à Canon, Nikon ne semble pas vouloir être partie prenante dans des annonces d’optiques à grande ouverture, si l’on excepte celle du 58mm f/0,95 Noct. Cette optique ultra lumineuse est un signal fort, autant qu’un exercice de style. On a l’impression que la marque jaune se positionne, en disant au monde « regardez de quoi on est capable » et encore, c’est que le début. Avec le calibre de leur monture, associé à un tirage mécanique ultra réduit, Nikon affiche clairement ses ambitions et je crois qu’ils ont raison. Nikon, sur le segment du mirrorless, a fait des choix qui à terme vont payer, non seulement au chapitre de la monture, comme à celui du support de carte (XQD, CFX). Beaucoup se sont étonnés que Nikon n’annonce pas de trans-standards basés sur le sacrosaint diaphragme à f/2,8 mais à f/4. Dans le même ordre d’idée, son 50mm ouvre à f/1,8. À dire vrai, avec une monture maousse comme celle qui équipe la gamme Z, les repères en matière d’ouverture sont un peu chamboulés.
• Premiers pas sur le terrain
J’ai profité d’une belle éclaircie pour partir en balade au Conservatoire botanique niché au cœur de Brest, dans le vallon du Stangalard. En mode zen (priorité ouverture), tranquille, 100iso, AF-S zone AF automatique, mesure matricielle. Premier constat, le viseur ne restitue pas la chatoyance des couleurs de la nature, en revanche, à l’allumage il n’y a aucun scintillement, la réactivité est instantanée. J’ai monté Nikkor Z 24-70/4 S, pour info il faut déployer le zoom un minimum pour pouvoir prendre des photos. La bague de zoom est assez confortable, quoiqu’un peu plus ferme que sur mes optiques Nikkor habituelles. Du point de vue de l’autofocus, rien à dire, Nikon Z6 accroche parfaitement, ce qui ne m’étonne pas plus que ça, après tout on est en plein après midi et les contrastes sont partout.
Le mirrorless engrange les images sans broncher sur la carte Lexar XQD. Le confort de prise de vue est accentué par la capacité qu’on a de tout visualiser en temps réel sans quitter l’œil du viseur. Le bouton i permettant l’accès à son tableau de bord de référence fait merveille ! Je croise des volatiles, je veux donc tester le mode AF-C et là… Je réalise que le collimateur reste allumé en rouge. J’ai dû rater un truc mais j’ai beau tourner le problème dans tous les sens, ce foutu collimateur ne s’allume pas en vert pour me signifier que le focus est fait. Renseignement pris auprès de Nikon, il s’avère que c’est « normal ». En mode AF-C les collimateurs ne s’allument pas en vert puisque l’AF est censé être fait en permanence. Les voies des ingénieurs Nikon sont parfois bien impénétrables. Je veux bien parier qu’ils devront rectifier le tir de ce point de vue là !
Une fois revenu au studio, sur iMac les images produites par Nikon Z6 ne déçoivent pas. C’est pur, c’est propre, ça pique et la dynamique des fichiers est, je dois l’admettre, assez fantastique. L’editing dans Capture One pro 12 se résume au strict minimum. La restitution des couleurs est excellente, même si dans certaines zones le contraste est un peu mou mais c’est de mon fait (D-Lightning était désactivé). Pour un premier test, je suis rassuré, Nikon Z6 fait parfaitement le job. On va pouvoir passer à la suite, le confronter à la dure loi du spectacle vivant et de ses lumières basses et indociles, au Vauban, en concert. L’aventure ne fait que commencer.
• merci au NPS Nikon France pour leur support et leur soutien.
• cet article n’est pas sponsorisé.
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