Il y a une dizaine d’années, j’ai eu l’occasion de croiser un·e jeune photographe dans une salle de concert. À la fin du concert, cette personne est venue me voir pour me poser la question que je redoute par dessus tout et à laquelle j’évite soigneusement de répondre. Je voudrais votre avis sur mes photos. Généralement, je botte en touche. Là, devant l’insistance et une certaine forme de candeur, j’ai accepté. Le lendemain, je recevais un email avec un lien vers un dossier de photos. Une fois téléchargé, j’ai lu le dossier. Oui, lu, car c’est le terme qui convient. Une lecture d’images. Dans le tas, il y en une qui m’a percuté. Le genre de cliché que je regarde en me disant « ouais, c’est bon ça ». L’image m’avait accroché l’œil, elle me semblait techniquement maîtrisée, habilement cadrée et surtout, elle racontait une histoire. J’ai eu le·la photographe au téléphone, pour lui donner mon ressenti et lui parler de cette photo. À l’autre bout du fil, je sentais de l’incompréhension. Mon interlocuteur·trice n’avait pas capté la qualité de son cliché. J’en ai déduit qu’il ne s’agissait donc pas de maîtrise, encore moins d’intention, mais de hasard. La première qualité d’un photographe est autant de savoir construire une image que savoir définir ce qui est bon et ce qui ne l’est pas. Savoir faire le tri entre le bon grain et l’ivraie. Pourquoi j’aime cette photo. Pourquoi elle me parle, qu’est-ce qui la rend unique ? Quels sont les niveaux de lecture, qu’est-ce qui différencie une photo banale d’un cliché de qualité, un cliché qui passera le temps, qui restera ?
Pourquoi j’aime cette photo. Apprentissage de la lecture
Pour moi, une bonne photo, ça me parle, ça me raconte une histoire. Quand j’ai vu atterrir le livre de Brian Dilg sur mon bureau, avant même de lire le titre – Pourquoi j’aime cette photo, la science de la perception – j’avais lu la photo. Cette photo résume à elle seule le postulat du livre et illustre parfaitement la capacité à savoir lire une image. Il y a la forme, un groupe de petites filles. On lit l’enthousiasme, l’étonnement, la joie. Et puis en allant un peu plus loin dans la lecture, on découvre le fond, la cadrage, la construction, la dynamique de l’image. Le tout forme un ensemble cohérent. On est attendri par les personnages de second plan. On ignore ce qui provoque leur joie, cette fébrilité, cette émotion dans ce groupe d’enfants majoritairement composé de filles. On imagine qu’il s’agit d’un cliché daté, probablement des années soixante. Un seul personnage regarde le photographe, les autres, toutes les autres sont prises par le feu de l’action. Cliché admirable dû au talent (immense) du photographe Alfred Eisenstaedt, à qui l’on doit quelques clichés mythiques, comme le baiser de Times Square (1945) ou le portrait de Churchill faisant le V de la victoire. Sans oublier naturellement le cliché légendaire de Joseph Goebbels, ministre de la propagande du régime nazi, en 1933, réalisant qu’il se fait photographier par un photographe juif.
• Apprendre à lire pour apprendre à construire
Le postulat de ce livre me semble aussi intéressant qu’astucieux. Il s’agit d’apprendre à lire une image, d’hier ou d’aujourd’hui, la sienne ou celle d’un autre, pour apprendre à construire ses images de demain. Ce petit livre ne prétend pas vous donner des recettes-miracle pour faire une photo parfaite, non. Ce livre est un ensemble de pistes qui peuvent contribuer à vous aider à devenir meilleur. Il y a des paramètres qui sont techniques et auquel on n’échappe pas. On parle de focale, de point de netteté, de profondeur de champ, de cadrage, de plage dynamique. Mais une bonne photo ne se limite pas à l’accumulation de technique. Un jour que je parlais avec mon ami Géronimi, le photographe de mariage qui donne envie de se marier, je lui disais en plaisantant qu’il était un cœur d’artichaut. Et Gérald m’avait répondu avec la candeur que je lui connais : « Je photographie avec mon cœur. » La grande vertu du livre de Brian Dilg c’est qu’il va vous apporter autant des bases techniques qu’une somme de réflexions sur le lecture des images.
• Pourquoi j’aime cette photo ?
Voici une photo de Gérald Géronimi. C’est le mariage de Yoann et Rémi. La première fois que j’ai lu cette photo, ses qualités esthétiques m’ont sidéré. La plupart des photographes auraient sans doute cadré plus large, en faisant le focus sur les deux mariés. Mais ce n’est pas ici ce qui intéresse le photographe. Son regard est ailleurs, tourné vers le pubic, la famille. Mon regard se pose naturellement sur le personnage central, qui esquisse un léger sourire. Il est dans l’émotion, quand la plupart des autres sourient. Mon regard est triangulaire, passant alternativement du personnage central au personnage bras croisés, qui ne rit pas, que la situation semble même laisser perplexe et à cette fillette dont le regard est empli de joie et de tendresse. Ce cliché est tourbillonnant, c’est la famille, les ami·e·s qui sont au centre de l’attention du photographe. C’est le public qui cristallise ce moment de bonheur. Au premier plan, les deux mariés, quant à eux, sont dans le flou. On devine leur joie, elle est suggérée. Techniquement, c’est bien fait, bien pensé, bien construit. Les lignes de fuite, le cadrage, rien à redire. Mais surtout ce qui transpire de cette photo c’est le regard du photographe. Il est témoin, il relaye l’émotion, il photographie avec son cœur. Touché.
• Un livre technique et pédagogique
Pourquoi j’aime cette photo, la science de la perception est un livre à la fois technique et pédagogique. Illustré de signatures prestigieuses, d’Alfred Eisenstaedt à Elliott Erwitt en passant par Bruce Gilden ou Martin Parr et bien d’autres encore, le livre décortique, explique ce qui rend une image pertinente. Chaque propos est régulièrement ponctué de paroles d’experts qui, paradoxalement, ne sont pas photographes. C’est ce qui rend leur regard encore plus pertinent, encore plus intéressant. Pour le reste, c’est à vous qu’il appartient de l’apporter. Faire des photos, refaire, refaire encore, inlassablement. Aiguiser votre regard, trouver votre inspiration et comme le dit si joliment Gérald Géronimi, laisser parler votre cœur.
• vous pouvez acheter ce livre sur Amazon (19,90€)
• merci à Eyrolles Photo. Merci aussi à Gérald Géronimi, photographe.