Il y a bien des années, un enfant qui avait vu le film Tintin et les Oranges bleues au cinéma, avait croisé le créateur de la BD, Hergé. Alors que celui-ci lui demandait s’il avait aimé le film, l’enfant répondit sèchement. Non. Et pourquoi ? poursuivit le célèbre dessinateur. Parce que Tintin n’avait pas la même voix dans le film que dans la bande dessinée. Ce propos peut sembler un peu surréaliste et pourtant il ne l’est pas. Il est la démonstration même de la puissance de l’imaginaire d’un enfant. L’imaginaire, l’âme, tout est dit. Hergé, grand raconteur d’histoire, avait souri à cette réponse pleine de bon sens. Lorsque j’ai reçu le livre de David duChemin publié aux éditions Eyrolles, L‘âme d’une image, beaucoup de souvenirs sont remontés à la surface.
Tant de palabres, de vaines discussions autour des techniques photographiques, des matériels, des marques, tout ça pour quoi, finalement ? Saint Ex disait que l’essentiel est invisible pour les yeux et qu’on ne voit bien qu’avec le cœur. Il n’avait pas tort. L’image naît d’une rencontre mais aussi d’une intention. Aujourd’hui, avec l’avènement du numérique, l’apparente gratuité de l’acte photographique, sa diffusion via les réseaux sociaux, il se produit un nombre incalculable d’images. Chaque année, des milliards de clichés se déversent devant nos yeux et un nombre infinitésimal vaut la peine qu’on s’y attarde. Pourquoi ? Parce que ces images sont vides des sens, elles n’ont aucune intention. Des images muettes et sans âme, qui ne racontent rien. Oui, rien. La photographie est un art qui consiste à raconter une histoire, un personnage, une situation. Un art qui transcrit la sensibilité de son auteur·e, qui en dit autant sur lui·elle que sur le sujet photographié. Je n’avais pas ouvert le livre de David duChemin que je savais déjà quel message L’âme d’une image révélait.
David duChemin signe un livre indispensable.
• Trouver chaussure à son pied
En ce moment, on parle beaucoup – moi le premier, j’en conviens – des nouveaux outils qui vont permettre de produire des images. On est à la croisée des chemins. Il y a une quinzaine d’années, on a connu la mutation de l’argentique vers le numérique. Aujourd’hui, avec l’arrivée sur le marché du mirrorless des deux géants de la photographie, Nikon corp. avec sa gamme Z, Canon avec son EOS R, la photographie numérique se déploie sur de nouveaux formats. La visée reflex et ses mécanismes contraignants vont disparaître progressivement, au profit du viseur électronique. Toujours plus fort, plus haut, plus loin, avec toujours plus de précision. Mais au fond le boîtier demeure un outil tenu par une main, piloté par un œil et un cortex. Cet outil merveilleux permet d’évoquer une situation, de figer un mouvement, traduire une sensibilité, un instant. Si vous pensez que changer de marque d’appareil photo va vous permettre de faire de meilleures photos, je suis au regret de vous le dire, mais vous êtes aux fraises. L’important pour moi n’est pas de savoir si Nikon est meilleur que Canon, même si j’ai ma petite idée sur le sujet. Lorsque j’ai switché, il y a quelques années, c’est simplement parce que je sentais les limites de mon outil. Avec mon reflex Nikon, j’avais le sentiment d’avoir trouvé chaussure à mon pied. Pour reprendre une expression qui m’est chère, il n’y avait pas d’opposition entre l’homme et sa machine. Mais la plus grande qualité de mon reflex Nikon (le somptueux D3s, à l’époque) c’était justement de se faire oublier. Vous savez ? Comme quand on conduit, et qu’on passe les vitesses sans même s’en apercevoir. Avec D3s, mon travail était devenu parfaitement intuitif. Ai-je fait de meilleures images avec Nikon D3s qu’avec un appareil plus modeste ? Dans la forme, sans doute pas mais dans le fond oui, c’est sûr. Le matériel, c’est important. Mais l’essentiel, c’est le pilote.
• Photographie. Le reflet de l’âme
J’entends souvent dire que si l’on met quarante photographes dans une fosse concerts, tous équipés peu ou prou de matériels identiques, on obtiendra les mêmes photos. Rien n’est plus faux et c’est même ce qui fait la magie de la photographie, car elle est le reflet de l’âme. Montre-moi tes photos et je te dirai quel photographe tu es (ou pas). On en arrive au concept essentiel à mes yeux, le photographe témoin, raconteur d’histoires. En couleur ou en noir et blanc, peu importe, une photographie doit transmettre une émotion, raconter une histoire. Il n’y a rien de pire qu’une photographie muette qui ne dit rien, c’est la définition même d’une photo ratée, une image sans âme. Je crois que le plus beau compliment qu’on puisse faire à un photographe, c’est de lui dire j’ai vu cette photo et j’ai immédiatement su qu’elle était de vous. Pour parler d’un photographe que j’aime, qui fixe des images de moments heureux, quand je vois une photo de mariage je sais si elle est signée Gérald Géronimi. Parce que ce photographe met une part de son âme dans ses clichés. Il y met aussi une dose d’humour, un zeste de tendresse, quelques clins d’œil, et comme il maîtrise son matériel, qu’il se sent si bien avec ses petits boîtiers Fuji, il nous sert un cadrage audacieux ou d’une simplicité confondante. Ironie de l’histoire, alors même que j’écris ce billet, Gérald lit le livre de David duChemin (il me l’a dit). Des conseils bien inutiles pour un photographe de son calibre, me direz-vous ? Non. Car Gérald sait qu’en photographie, chaque jour est une nouvelle lumière et un nouveau défi.
Les photographies de Gérald Géronimi me parlent, elles me racontent une histoire. Une histoire d’amour, de tendresse, de complicité. Ses photos sont une réussite pour plein de raisons. D’abord, derrière le viseur de son Fuji, il y a de la maîtrise. Ensuite, il y a une intention, c’est cette intention qui induit les choix techniques comme le cadrage, le choix de l’optique, le lieu, la mise en scène. Cette intention n’est pas seulement dans le regard du photographe, non. Elle est dans son cœur. J’ai souvent écrit qu’on ne peut pas faire de bonnes photos en faisant la gueule. Je crois n’avoir jamais vu ce natif de Marseille vivant à Lens d’un air maussade. La bonne humeur qu’il a en lui, se transmet dans ses photographies. Je regarde une photographie signée Gérald Géronimi et à l’instar de David duChemin je me dis « J’aurais pu la faire. Mais je ‘étais pas là, je ne l’ai pas vue et si j’avais été là, j’aurais vu différemment, parce que bien que nos yeux soient sans doute similaires, les cerveaux avec lesquels nous percevons le monde sont tous tellement divers que côte à côte, au même instant, nous aurions vu et photographié différemment. En vérité, non, je n’aurais pas pu la faire. » Tout est dit.
• L’âme d’une image est un livre de référence
Avec L’âme d’une image, David duChemin signe un livre majeur, un livre que tous les photographes doivent lire et posséder dans leur bibliothèque. Car oui, ce livre est un incontournable, un livre de référence. Il pose les bases de ce que doit être l’acte photographique, un acte tellement banalisé de nos jours. Qu’est-ce qui fait qu’une photographie me parle ? Qu’est-ce qui la rend si unique à mes yeux ? Est-ce sa perfection technique, son piqué remarquable ou son cadrage audacieux ? C’est un tout, un ensemble. Finalement, je crois que le plus beau compliment qu’on puisse faire à un photographe, quand on est soit-même photographe c’est de lui dire que sa photo, on aurait vraiment adoré la faire. J’ai feuilleté avec gourmandise L’âme d’une image et vous savez quoi ? Certaines photos m’ont parlé, comme un dialogue à trois. Le sujet et sa mise en situation, le photographe et le spectateur que je suis. Ce livre est un bel ouvrage, rempli de beaux clichés car l’auteur, David duChemin ne se contente pas de prodiguer de bons conseils, il les applique d’abord à lui-même et le résultat est là, sous nos yeux. J’ai rarement lu un livre où le propos de l’auteur me parle autant. « Je ne dis pas qu’il faut briser les règles. Je dis qu’elles n’existent pas. » affirme David duChemin dans l’un des derniers chapitres de son livre. En conclusion, je dis oui, un grand oui. Vous avez tellement raison, même si c’est un peu contradictoire avec la nécessité de les connaître, les règles. Mais nous sommes d’accord. L’acte photographique va bien au delà.
• merci aux éditions Eyrolles pour ce livre splendide, tant le fond que dans la forme.
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Stéphanie Poisson dit
Merci Hervé pour cette chronique enthousiaste !
À bientôt sur le salon, le stand des éditions Eyrolles sera comme chaque année tout près de la librairie.