Des images de résistance.
J’ai été assommé. Séché, étourdi, KO debout. Incapable de parler, de dire un mot et encore moins de l’écrire. Ceux qui me connaissent savent que je ne suis pas du genre à me taire. La révolte, la rébellion, ça fait partie de mon ADN. Quand mon vieux, dans les années sombres de l’histoire de ce pays est revenu du camp de prisonniers où il croupissait, en Prusse orientale, libéré pour soutien de famille, le premier truc qu’il avait fait c’était d’entrer dans la résistance. Résister, dire non à la barbarie, à l’injustice, à l’ignoble. Se battre pour la liberté, l’égalité, la fraternité, c’est ce qui motivait ces gamins, à l’époque. Mon père, lui, ne voulait qu’une chose, qu’on lui foute la paix. Alors voir des mecs défiler dans les rues au pas de l’oie, ça ne lui inspirait rien d’autre qu’une singulière envie de leur botter le cul. Si j’écris ces mots librement aujourd’hui, c’est grâce à lui, dans tous les sens du terme.
Je n’avais pas prévu d’aller au Vauban, dimanche. Mais après les évènements survenus à Paris, ce vendredi 13 novembre 2015, il fallait que j’y sois. Comme un acte militant, un devoir familial, de résistance, être présent dans cette salle de concert, dans ma salle, chez moi, mon Vauban. Partager des regards, des sourires et de l’émotion avec les musiciens, les roadies, backliners, ingénieurs du son, lighteux. Il fallait que je sois au Vauban et c’était même pas négociable. C’était du rock, ce rock qui sent bon la bière et la bonne chaleur de l’animal, ce rock brutal mâtiné d’humanisme, l’engagement total des furieux de No One is innocent (précédés de Darcy et de Ultra Bullitt). Aller au contact, mon D4s serré dans ma main droite, j’ai affronté le concert dans l’œil du cyclone, où ce public de dingues pogotait violemment, mais sans haine. Non, c’était un pogo d’amour, une façon pacifique d’être là, ensemble, d’exprimer sa rage, de dire qu’on n’a même pas peur. Vivir con miedo es como vivir a medias comme disaient les républicains en faisant un bras d’honneur au Général Franco.
Avant le concert, tous les musiciens sont montés sur scène. François Maigret (aka Shanka), guitariste de No One is innocent, brandissant sa guitare, a lu ces quelques lignes. « Ceci est ma guitare. Il y en a beaucoup comme ça mais celle-ci est la mienne. Elle est ma meilleure amie. Elle est ma vie. Je dois la maîtriser, comme je dois maîtriser ma vie. Sans moi, elle ne sert à rien. Sans elle, je ne sers à rien… » Dans les yeux du public, il y avait quelques larmes, un souffle de vie qui s’envolait de Brest vers Paris, en direction du Bataclan. Résistance. Ne pas pleurer, ne pas laisser les larmes envahir mes yeux, composer, cadrer, déclencher, faire des images pour lutter contre l’oubli. Un hommage pour ne pas oublier ces gens, jeunes pour la plupart, fauchés aux terrasses des cafés, dans une salle de concert, ces gens qui sont morts et dont le seul tort était d’aimer la vie. En regardant Kemar, sur la scène du Vauban, je repensais aux propos de la joyeuse Mistinguett, dans les années mille neuf cent cinquante, qui avait écrit dans le livre d’or de l’Hôtel Vauban : « La vie est plus forte que la mort. » Kemar, Shanka et le groupe No One is innocent ont donné ce soir-là, une réponse à la barbarie. On ne nous fera jamais taire. Debout, le poing levé. Et comme disait le vieux Neil, rock’n roll is here to stay.
J’oublierai jamais. Je n’oublierai pas Kemar invitant le public du Vauban à faire, non une minute de silence en hommage aux victimes des attentats de Paris, mais une minute de bruit. C’est là que j’ai compris pourquoi j’étais venu, pourquoi j’étais là, en ce dimanche de novembre. Parce que c’était ma place, c’était chez moi. Quand j’ai prodé mes images, le lendemain, j’ai découvert l’image de Shanka brandissant sa guitare. This machine kills fascists serait son titre. C’était écrit sur la guitare de Woodie Guthrie, il y a longtemps. « Je dois la jouer. Même si certains voudront me tuer pour ça. Avec elle, je peux faire plus de bruit qu’un tank, qu’une mitrailleuse, qu’une grenade. »
• photo : This machine kills fascists. François « Shanka » Maigret, No One is innocent, Darcy, Ultra Bullitt sur la scène du Vauban (crédit photo Hervé Le Gall)
• merci aux musiciens de No One is innocent, Ultra Bullitt, Darcy, aux organisateurs Régie Scène (Jo, Carol) à GDP, à Charles et aux équipiers du Vauban, au staff de prod, à mes amis, Raphaël, à Pierre Hennequin, au p’tit gars qui a eu l’élégance de renverser sa bière sur mes Doc Martens et pas sur mon boîtier et à toi, public du Vauban, qui a répondu présent.
• merci à mon reflex Nikon. Tu es mon meilleur ami, tu es ma vie. Sans moi, tu ne sers à rien. Sans toi, je ne sers à rien. Nous sommes unis.
Christophe dit
Très chouette photo, et belle réflexion ! Le « This machine kills fascists » est particulièrement pertinent face à ces barbares. Ce mot, « barbares », est tellement galvaudé qu’il semble un bien pauvre choix d’épithète, et pourtant il est celui qui décrit avec le plus de précision ceux à qui on a affaire ici : des brutes qui valorisent la stupidité au point de revendiquer sciemment la destruction de la culture comme un de leurs objectifs, à côté du massacre des personnes. Et dans ce contexte, très clairement, tout instrument qui produit de la culture est une arme, politique et militante, qu’il s’agisse d’un crayon, d’une guitare ou d’un appareil photo.
Pierre Nadal dit
Attention, il y a une faute d’orthographe. C’est certainement « vivir con MIEDO ».
harvey dit
Bien vu, merci Pierre.