Quand j’étais môme, je rêvais, comme beaucoup de gamins de mon époque, de jouer de la musique. Je crois me souvenir avoir été fasciné par un pote qui jouait « Jeux interdits » en arpège sur sa guitare sèche et évidemment je voulais en faire autant. J’en avais parlé à mère dont la méfiance légendaire vis à vis de mes envies était devenue une habitude. Pour me décourager, elle avait avancé l’argument ultime. Tu veux faire de la musique mon garçon ? Pas de problème. Mais tu dois apprendre d’abord le solfège. Le solfège. Décrypter ces bizarreries alignées, comme autant de signes cabalistiques totalement incompréhensibles, pour moi c’était trop. Je jetais l’éponge avant même d’avoir commencé, renonçant au combat avant même le premier coup de cloche, fut-il en mi mineur. Tout cela parce que ma mère avait dû tomber sur une prof de musique old style pour qui la musique passe nécessairement par le solfège. D’ailleurs, tous les grands musiciens n’avaient-ils pas commencé par apprendre le langage musical, hein ? Comme Wolfgang Amadeus Mozart par exemple. Moi, à cette époque, je ne voulais pas rejoindre un orchestre philarmonique, je m’en foutais d’Amadeus, je voulais juste jouer Michèle des Beatles pour épater les copines et surtout, me faire plaisir. J’ai appris, bien des années plus tard, que les deux compositeurs de ce groupe, John Lennon et Paul McCartney, n’avaient jamais appris le solfège, qu’ils jouaient à l’oreille, qu’ils avaient certes absolue, mais quand même. C’est d’ailleurs une école et un type d’enseignement qui se sont développés et qui sont monnaies courantes aujourd’hui. Les mômes apprennent d’abord à tirer des sons, avant d’apprendre à les identifier. Tirer des sons d’un instrument de musique, savourer une harmonie, c’est sans doute la chose la plus gratifiante qui soit. C’est du plaisir et le reste, c’est de la littérature.
Faire des photos en mode manuel. Et après ?
• Musique, photographie. Même combat.
La musique n’est pas un cas d’exception. En photographie, c’est un peu pareil. Là aussi, si je fouille dans mes souvenirs, je me rappelle d’une photographe à qui j’avais demandé un jour, dans une fosse concerts, le mode dans lequel elle travaillait. Illico, elle m’avait répondu « En mode M évidemment ! Si je ramène des photos à mon boss et qu’il réalise que j’ai tapé des clichés en mode semi ou auto, je vais me prendre une avoinée ! » Tout était dit. Hors du sacro saint mode manuel il n’était point de photographe. J’y ai cru, pendant longtemps. Un autre jour, dans une salle de concerts un soir, j’ai croisé un vieil ami, photographe professionnel de renom. On papotait avant le début du set et alors que j’avisais son nouveau matériel, je lui demandais en quel mode il avait l’habitude de travailler. Sa réponse m’avait sidéré : « Quand je suis fatigué, comme c’est le cas ce soir, j’utilise le mode programme. Les machines d’aujourd’hui sont tellement perfectionnées qu’on peut leur faire confiance. Je laisse au reflex les trucs emmerdants comme ça je peux me concentrer sur la compo, le plaisir quoi ! » À l’époque, je n’avais pipé mot mais j’étais outré. Quoi ? Comment ? Lui, ce photographe connu et réputé, travaillait en mode programme. Hérésie, gousse d’ail et excommunication, non mais sans blague ! Et pourtant, avec le recul, je réalise qu’il avait un peu raison, finalement.
À tout prendre, il vaut mieux sortir une jolie photo en mode programme, qu’une daube en mode manuel. Aussi, ami(e)s photographes en herbe qui débutez dans cette merveilleuse passion qu’est la photographie, je vous le dis. N’écoutez pas les vieux cons old style (suivez mon regard) qui prétendent qu’en dehors du mode manuel, de la compréhension des fondamentaux de la photographie – diaph, vitesse, sensibilité, profondeur de champ, focales, … et tant d’autres concepts tellement chiants ! – point de salut. Non. Faites confiance à votre reflex, qui est une machine évoluée, dotée de ce que les experts désignent sous le terme de ghost in the shell. Réglez votre reflex sur la sensibilité automatique (exprimée en iso), passez la molette sur le mode P, profitez d’un bel après-midi ensoleillé et sortez faire des photos. Appliquez-vous, exercez-vous à rendre ce que vous voyez dans le viseur simplement joli. Ne cherchez pas à faire des cadrages tarabiscotés, du moins au début, mais essayez de reproduire ce que vous voyez de la manière la plus élégante possible. Composez votre image, soignez la ligne d’horizontalité, en un mot faites de jolies photos, aussi jolies et agréables à votre regard qu’un bel accord le serait à votre oreille sur une guitare sèche. Il n’y a rien de plus enthousiasmant que de réaliser un beau cliché. Personne ne vous demandera le mode dans lequel vous l’avez réalisé. Le seul truc vraiment important, en photographie comme dans la pratique de n’importe quel art, c’est d’abord de se faire plaisir. Attachez-vous d’abord au plaisir du beau cliché, celui qui restera à jamais dans votre cœur. Sans le savoir, vous venez de découvrir la composition, qui est la base, la notion fondamentale de la photographie. Vous avez tout votre temps pour découvrir le reste. Comprendre le profit que vous pouvez tirer de certains réglages de votre appareil photo. Mais ça, c’est une autre histoire. C’est du solfège et ça viendra plus tard, si toutefois vous en avez envie… N’attendez pas. Faites-vous plaisir. La photographie, comme la musique, ça sert à ça.
• photo : God save the kouign par Hervé Le Gall au festival des Vieilles Charrues. Cette photo n’a pas été faite en mode programme, mais c’est pas grave. L’important, c’est la composition. Sinon les Vieilles Charrues 2015 c’est dans 44 jours.
Yves dit
Étonnant billet pour quelqu’un qui se « méfie comme de la peste du mot automatisme » et qui « ne conçoit pas de travailler en mode automatique ou semi automatique ».
DOCTEUR COULEUR dit
Bonsoir
Est ce que cela aurait pû vous venir à l’idée que le pro vous ai répondu qu’il bossait en mode P pour qu’il puisse en fait shooter sans entendre parler technique ?
Moi qui ne suis pas pro en prise de vue, lors de concert ou autre si quelqu’un me demande ce type de question je lui réponds justement que je shoot en P afin de me faire très rapidement du questionneur.
C’est une idée comme ça que je soumets mais en tous les cas c’est du vécu
bresson damien dit
Bonjour,
Photographe depuis 20 ans, j’ai été un apôtre du mode manuel également, « Si tu bosse pas en manuel t’es pas vraiment un photographe, un peu comme savoir trouver une vitesse et un diaph à l’œil nu.
Aujourd’hui, je prend plaisir avec les TV et AV, par contre le programme, est trop souvent un facteur
de problème en reportage. mais ça peux toujours servir, c’est pour cela que je l’appel le mode « Panique ».
Damien
Matériel CANON EOS1DIV, 5DII