Festival des Vieilles Charrues, 23è édition.
C’est un moment que j’attends chaque année, comme une date clé, un pivot qui rythme mon timing. Il y a avant les Vieilles Charrues. Ça se précise généralement au repos du laboureur, une soirée de fête qui réunit à Carhaix tous les bénévoles qui œuvrent pour ce festival, devenu au fil des ans le premier festival de France, l’un des premiers d’Europe. Drôle de parcours, quand même, fascinante destinée que celle de cette petite fiesta entre amis, initiée par un groupe de potes il y a une vingtaine d’années. Un truc pas sérieux, juste de la déconne, entre lancer de kabigs et course de chameaux à Landeleau. « Au début, il faut quand même avouer que c’était du grand n’importe quoi ! » m’avait confié un jour, dans un éclat de rire, Pierre Iglesias, le photographe historique du festival. Puis les choses se sont structurées, précisées, les concerts sont devenus de plus en plus grands, les têtes d’affiches de plus en plus connues, alors le public a suvi. Le festival a dû migrer, quitter le centre ville pour investir la prairie de Kerampuilh, juste devant le manoir du même nom. Au delà du festival, il faut comprendre ce que les Vieilles Charrues représentent pour une région rurale comme le centre-Bretagne. C’est toute région qui s’implique, des milliers de gens donnent quelques jours de leur temps, prennent sur leurs congés pour venir travailler bénévolement pour le festival. Le résultat, il est visible quand on arrive à Carhaix et qu’on voit les infrastructures routières. Le festival des Vieilles Charrues a permis à toute une région de sortir de l’enclavement, de s’ouvrir au monde et aujourd’hui, juste retour des choses, c’est le monde qui a les yeux braqués sur ce bourg du centre-Bretagne. Se dire qu’on est un maillon de la chaîne qui a contribué à bâtir ce truc de dingues, c’est sûrement ce qui motive les bénévoles.
J-1. On aurait dit que les Vieilles Charrues, c’était demain. On aurait tellement patienté, compté les jours. À J-300 on aurait su que c’était juste un point dans l’avenir, une lumière dans la nuit, mais à trois mois et des poussières, à J-100 les choses se seraient précisées. On pourrait déjà commencer à tirer des plans sur la comète bretonne, noter les concerts inratables, the Black Keys ou Indochine, les classieux François and the Atlas mountain (recommandés par ma femme), Benjamin Clementine, Christine and the queens, Von Pariahs. On aurait des locaux de l’étape, Miossec, le brestois venu en voisin, évidemment, les petits jeunes de the Red goes black. On retrouverait des vieux potes comme Franz Ferdinand. Comme toujours aux Charrues, il y aurait quelques têtes d’affiche un peu mainstream, comme Vanessa Paradis, Julien Doré, Stromae, les inénarrables Fauve, les secoués du Shaka Ponk. On vivrait des instants délicieusement frenchy et pop avec Etienne Daho et Christophe. On retiendrait son souffle pour Détroit, signant le retour historique de Cantat sur la scène Glenmor, treize ans presque jour pour jour après la prestation vibrillonante de Noir Désir à Glenmor.
On saurait déjà que ça serait bien, comme chaque année, cette envie de vivre un long moment d’éternité, comme un jour sans fin. Le dimanche soir ça serait déjà fini. On regarderait les yeux briller d’émotion, ceux de Jean-Jacques, de Jean-luc, Jérôme, Paul et les autres. On saurait alors que le temps du rêve serait révolu, qu’on aurait plus qu’à remettre le compteur à zéro et recommencer à compter les semaines et les jours qui nous séparent de la prochaine édition. On regarderait la scène Glenmor, on lèverait notre verre vers le ciel étoilé de Kerampuilh pour Jean-Philippe Quignon, avec nous pour toujours et ensemble on lui chuchoterait, comme une confidence. « Tu vois, Jean-Phi, on l’a encore fait ! » Hey, hey, my, my.
• crédit photo : Mathieu EZAN, photographe officiel des Vieilles Charrues