Il y a quelques jours j’évoquais sur Twitter des souvenirs d’enfance, de cette époque bénie, baignée d’insouciance et de déconne où chaque moment libre était consacré à explorer ce truc magique qu’on appelle la photographie. À l’époque il fallait mettre des films dans nos reflex et pour varier les plaisirs il fallait de l’imagination et ça tombait bien parce qu’à l’époque, on n’en manquait pas, d’imagination. On ne pouvait pas compter sur des bidouilles de post traitement avec Photoshop ou Lightroom. Songez qu’en ce début des années soixante dix, Steve Jobs et son pote Wozniak étaient encore loin d’imaginer la révolution qui se préparait, c’est vous dire si les projets d’informatique personnelle n’étaient encore que de très vagues perspectives. Non, dans ces années-là, si on voulait s’amuser, c’était soit avant, à la prise de vue, soit après, dans le mystère des chambres noires, le nez collé à l’agrandisseur Durst, les effluves de révélateur et de fixateur plein notre nez.
On s’est bien marrés, en ces temps lointains. À l’époque, on avait déjà envie de produire des images différentes, pour concurrencer David Hamilton et ses flous artistiques, et à défaut de shooter de sublimes modèles nordiques pré-pubères, on se contentait d’aller photographier des vaches dans la campagne bretonne au petit matin. Un coup de buée sur la lentille, un filtre UV par dessus et on y était. On trouvait un vieux collant qu’on tendait avec un élastique sur la lentille frontale, puis avec une cigarette (oui, on fumait en cachette, c’était mal) on ménageait un trou au centre du tissu tendu et on obtenait un splendide dégradé. Un judas de porte qu’on fixait sur un vieux bouchon d’objectif et on avait un fish eye pour quelques francs. Ce qui caractérisait cette époque, c’est qu’on ne se prenait pas du tout au sérieux. On explorait, on apprenait mais surtout par dessus tout on se marrait bien. C’était notre double priorité. S’amuser sans se prendre au sérieux.
J’ai l’impression que c’est un truc qui s’est un peu perdu, avec le temps. À l’époque, on n’avait pas internet, les seules personnes à qui on montrait nos photos c’était nos mères (normal, elles payaient le matos, la pelloche et la chimie) et quelques rares potes, dans les clubs photos de quartier. Aujourd’hui, le môme fait une photo potable, bidouillée à la hussarde à la baguette magique dans Photoche, il publie sa vie, son œuvre sur FlickR et se met une plume dans le cul, c’est bon pour l’égo. Finalement, je comprends parfaitement le revival de l’argentique. D’ailleurs je l’avais prédit, mine de rien, il y a plus de cinq ans et nombre de gens bien intentionnés m’avaient ri au nez, ceux-là même qui se désespèrent aujourd’hui du prix indécent d’une cuve Jobo Daylight ou d’un Nikon F2. Le mouvement perdure, de plus en plus d’amateurs (comme de professionnels) y reviennent, parce que l’argentique c’est les fondements de la photographie, là où on peut retrouver cette sensation d’amusement, de passion, d’exploration. Un reflex, une pellicule de 24 ou 36 poses, des heures de plaisir. Finalement, la photographie n’a pas changé, elle est toujours magique, elle conserve ce pouvoir d’attraction un peu mystérieux.
Ce qui vaut pour vous est aussi valable pour moi. Pour 2014, j’ai envie de retrouver ces petits plaisirs que j’ai peut-être un peu oubliés, avec le temps. C’est sans doute à cause de ça que j’ai délaissé la scène pour aller chercher de l’image ailleurs, voir d’autres têtes, rencontrer d’autres conditions de prise de vue. L’envie d’aller chercher des images ailleurs, dans des conditions de prises de vue plus complexes, de mettre en œuvre d’autres techniques, de pousser le matériel dans ses retranchements, pour ramener de l’image, vivre cette sensation d’infini plaisir qu’on ressent lorsqu’on découvre une belle image. Ce moment de grâce qu’on a finalement pas envie de partager, de le garder pour soi. Si je peux vous donner un conseil, c’est bien celui-là. Allez faire des photos, soyez exigeant avec vous-même, le seul regard qui est important c’est le vôtre. Et surtout, surtout ! Amusez-vous. La photographie, ça sert à ça. Je vous souhaite une sublime année 2014, pleine de belles images et de plaisirs.
• crédit photo : Neil Young au Festival des Vieilles Charrues 2013 (photo Hervé Le Gall, artwork Julien Ledru)